En chiffres

Flotte fantôme : 75 % des navires de pêche industrielle passent sous les radars… 

Les nouveaux satellites et l’analyse d’images par l’intelligence artificielle (IA) mettent au jour un écart considérable entre l’activité maritime déclarée et la présence réelle des navires en mer.  Cette cartographie de la flotte fantôme est un outil clé pour renforcer l’efficacité du contrôle des activités illicites. L’avenir de l’océan, en débat en décembre 2025 à la Bpi, passe aussi par la connaissance et le contrôle des activités humaines à sa surface.

Deux navires en mer, sur fond brumeux
Photo de Bartosz Olżewski sur Pexels

Une obligation internationale d’identification des bateaux

Depuis 1958, l’Organisation maritime internationale (OMI), agence spécialisée des Nations unies, dirige la coopération internationale « dans le domaine de la réglementation et des pratiques gouvernementales relatives aux questions techniques de toute nature affectant les navires participant au commerce international ». Elle coordonne la sécurité et de sûreté maritimes ainsi que de prévention de la pollution marine et atmosphérique par les navires sur ce vaste territoire de plus de 360 millions de kilomètres carrés, (soit 71 % de la surface de la Terre). 176 États membres et trois membres associés ont rejoint L’OMI et font respecter les dispositions des conventions de l’OMI en ce qui concerne leurs propres navires.

L’identification en temps réel des bateaux est une de ces dispositions, mentionnée dans la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) de 1974. Les navires de pêche et ceux affectés au transport de personne et de marchandises des pays signataires, lorsque leur dimension excède une jauge déterminée, sont tenus depuis 2005 d’activer leur système AIS (système automatique d’identification). Ce système standardisé transmet automatiquement des données comme l’identité du bateau, son nom, sa position GPS, son cap, sa vitesse… Ce système est recommandé pour tous les bateaux, car il permet de localiser un navire en détresse, d’éviter les collisions, de signaler la pose de filets de pêche ou d’identifier le bâtiment le plus proche d’une embarcation en détresse afin de secourir au plus vite les rescapé·es. Mais les données de l’AIS permettent aussi de contrôler la pêche, l’accès à des zones réglementées, de détecter les trajectoires suspectes et d’attribuer la responsabilité d’une pollution marine, volontaire ou involontaire. 

Un système automatique d’identification qui offre une vue partielle

Des sites, comme marinetraffic, vesselfinder, infocapagde…, exploitent ces données sous formes de cartographies et permettent de se faire une idée de la densité du trafic maritime. À titre d’exemple, en 2014, 70 000 bateaux étaient suivis. Aujourd’hui, l’application PredictWind revendique le suivi de 280 000 bateaux, y compris des yachts, par AIS (ou sa version plus récente S-AIS, par satellite).

Cependant, l’obligation de suivi public ne concerne que les navires des pays signataires de la convention SOLAS et uniquement les navires de plus de 300 tonneaux (voyages internationaux) ou 500 tonneaux (voyages nationaux) ou les navires à passagers (chapitre V de la Convention SOLAS). Les petites embarcations et les navires de guerre sont dispensés. Une bonne partie du trafic maritime passe donc sous les radars. 

De plus, le système a ses limites : il s’active ou se désactive manuellement, il n’y a pas non plus d’obligation de redondance des équipements pour parer aux défaillances du système, et une saisie manuelle (potentiellement erronée) est nécessaire. Autant d’indices plaidant pour un sous-dimensionnent du trafic maritime réel. 

Vu du ciel, un trafic maritime plus vaste

L’ONG Global Fishing Watch, qui crée et diffuse publiquement des connaissances sur l’activité humaine en mer, s’est associée à trois universités pour étudier le trafic maritime sur la période 2017-2021. Les partenaires ont croisé les données d’identification par AIS et S-AIS avec les images des satellites Sentinel-1 et Sentinel-2, avec l’aide d’une intelligence artificielle. Cette étude, publiée dans la revue Nature en 2024, conclut à l’insuffisance du dispositif. « 72 % à 76 % des bateaux de pêche et 21 % à 30 % des navires de transport (marchandise, énergie, personnes…) ne sont pas enregistrés par les systèmes de suivi traditionnels » résume un article de L’Humanité en octobre 2024 (à lire dans Europresse à la Bpi), qui précise également que des bateaux naviguent dans des zones protégées, sans autorisation. 

Une carte, publiée sur le site de Global Fisching Watch, donne à voir des activités qui étaient auparavant invisibles pour les systèmes de surveillance publics et montre l’industrialisation de l’espace maritime.

La technologie pour produire de la connaissance et mieux protéger

Pour faire face à la recrudescence de la pêche illicite, au cœur des débats du sommet de l’ONU sur l’océan (Unoc-3) à Nice, ces données sont précieuses. Une étude, publiée dans Science en janvier 2025, a utilisé le même procédé de croisement de données pour étudier la pêche dans les aires marines protégées (AMP) et constate : « nous avons détecté la pêche industrielle dans 47 % des AMP côtières du monde entre 2022 et 2024, dont deux tiers (67 %) n’étaient pas suivis par les systèmes de surveillance publics. »

Le non-signalement des navires par l’AIS ne signifie pas forcément que ces navires fantômes, ou dark vessels comme les nomme la recherche, se livrent à des activités illégales. Toutefois, leur présence dans certaines zones soumises à autorisation est suspecte. De même, leur concentration à certains endroits du globe peut permettre de déduire des comportements et déclencher des contrôles plus fréquents. La majorité de ces dark vessels naviguent autour de l’Asie du sud et de l’Afrique. Dans les eaux indiennes, vietnamiennes et malaisiennes, 96 % de la pêche industrielle est réalisé sans signalement de position. On trouve ces mêmes navires dans la Méditerranée, côtés européens et africains.

Les chercheurs et chercheuses misent sur une détection automatique des positions à partir de l’analyse des données de satellites plus performants comme Sentinel-1D, lancé en novembre 2025 par une IA entraînée. « L’utilisation de l’apprentissage automatique (machine learning) dans l’analyse des images satellites représente un saut technologique dans la surveillance des océans » affirme L’Humanité. Pour les organisations de protection de l’océan, l’IA est un levier décisif pour faire face à l’urgence environnementale et à la protection des océans. En marge de l’Unoc à Nice, une table ronde intitulée « AI & BlueTech » réunissait experts, institutions et startups autour du sujet du potentiel de l’intelligence artificielle et des technologies marines dans la préservation des écosystèmes océaniques.

Publié le 01/12/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Carte des activités humaine en mer, depuis l'espace | Global Fishing Watch

« Notre objectif est de créer et de diffuser publiquement des connaissances sur l’activité humaine en mer afin de permettre une utilisation équitable et durable de nos océans. Nous utilisons des technologies de pointe pour transformer les mégadonnées en informations exploitables. Nous pensons que l’activité humaine en mer devrait être connue de tous afin de préserver l’océan mondial pour le bien de tous. »

Géographie des mers et des océans

Alexandra Monot
Bréal, 2018

Les mers et océans, comme toute entité de la surface de la Terre, possèdent des paysages, disposent de ressources, font l’objet de convoitises, mais portent également des régions très différentes. Cet ouvrage propose de défricher ce vaste et passionnant thème.

À la Bpi,  Géographie, Urbanisme, 912.68 MON

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