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Il pleut des cordes
Dictée FLM

Cette dictée, écrite par Fiston Mwanza Mujila avec les dix mots sélectionnés par la délégation à la langue française et à la francophonie, était destinée aux candidats dont le français est la langue maternelle (FLM).

déluge d'eau
Illuvia, by Gisella [CC BY-NC 2.0], via Flickr

IL PLEUT DES CORDES

Qui l’eût cru ? Même la neige que j’ai tant dépréciée dénote une certaine élégance.
Je suis arrivé[1] à Kinshasa en début de soirée. J’étais hanté[2] par une seule idée : déposer mes valises, me ruer au dépanneur afin de me procurer quelques produits[3] de première nécessité et repartir, bras ballants, rendre visite à ma sœur aînée. J’avais calculé dans l’eau. C’était sans compter avec le ciel. Il drache depuis quatre heures trente-sept minutes. On dirait le déluge. Ce fleuve qui dégringole ramène à la mémoire ma feue grand-mère qui radotait à qui voulait l’entendre que la pluie est une malencontreuse poudrerie, que la pluie est l’une des plus belles anarchies, que la pluie est l’une des belles fantaisies de la nature. Celle que je vois se défenestrer du ciel, entrecoupée d’orages bruyants et tristement lugubres tels les coups de semonce, correspond parfaitement à ses[4] mille vérités de poétesse d’occasion.
Il faudrait jeter un coup d’œil sur mon faciès de pithécanthrope pour appréhender mon désarroi. Je rigole de rage. De ma fenêtre, j’assiste impuissant au désastre. Les rues sont veuves de toute viande humaine : aucun chauffeur de tap-tap roulant à vive allure, aucun débile, fada ou autre cinglé en mal d’adolescence, aucune créature à quatre pattes… La ville se laisse manger par les eaux.
Je tourne dans mon appartement à la manière d’un félin privé de liberté. Je m’ennuie admirablement. Je ne sais plus à quel saint cracher ma solitude. J’avale tour à tour  une goutte de bière, une tasse de ristrette ainsi qu’un gobelet de soja. En dépit de ce bourrage de ventre, la désespérance me démembre. Je suffoque à l’idée de passer la nuit à chialer et à me méprendre sur le dérèglement climatique.
Vous ne me croiriez pas si je vous disais que je me déglingue. Je suis assis dans les ténèbres. Ma lumerotte tombe en panne toutes les vingt secondes. Je ne peux même plus m’égarer dans le dernier Dany Laferrière  ou un quelconque roman de Bofane, Darrieussecq ou Mabanckou. Cerise[5] sur le gâteau de ma crucifixion : le poste téléviseur zappe de lui-même. On passe du sport à la musique, d’un film de Marlon Brando ou de Simone Signoret à une émission consacrée aux champagnés, sapeurs et dandies[6] congolais, chafouins et vigousses par-dessus le marché noir, usant d’un vocabulaire excentrique et de paraboles cousues de fil rouge[7] pour décrire leur monde : le fameux costume trois-pièces[8], l’écharpe en cachemire, la bière, la rumba et le fleuve.

[1] L’orthographe « arrivée » ne peut être acceptée. La phrase « j’assiste impuissant au désastre » (milieu du second paragraphe) indique clairement que le narrateur est un homme.
[2] « hantée » non accepté. Même remarque que ci-dessus.
[3] Bien que respectant moins la logique du texte, l’orthographe « quelque produit » est également acceptée.
[4] L’orthographe « ces » ne peut pas être acceptée car elle ne correspond pas à la logique du texte. « Ses » renvoie de façon évidente à « ma feue mère ».
[5] « Cerise » est nécessairement au singulier, puisque la phrase renvoie à l’expression « La cerise sur le gâteau » (voir le dictionnaire des expressions et locutions, Alain Rey, ed. Le Robert 1993).
[6] L’orthographe « dandys » est également acceptée
[7] L’orthographe « fils rouges » au pluriel n’est pas acceptée. Une seule faute sera cependant comptée si les deux mots sont mis au pluriel.
[8] L’orthographe « trois pièces » sans trait d’union est également acceptée. Une seule faute ne pourra être comptée pour l’ensemble « trois pièces ».

Publié le 07/04/2016 - CC BY-NC-SA 4.0

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