Comment l’information scientifique est-elle vérifiée #4 : Le mouvement du libre accès Un nouveau modèle de diffusion de la recherche
La recherche se fait en commun : chaque chercheur a besoin, pour ses propres travaux de recherche, de s’appuyer sur les résultats de recherches antérieures. Ils y ont accès par les revues scientifiques, outils privilégiés de la diffusion de la recherche. Pourtant, au tournant des années 2000, l’augmentation des tarifs d’abonnements a rendu très problématique l’accès à ces revues pour une partie des chercheurs. De nouvelles plateformes se sont créées pour publier et diffuser des travaux de recherche plus largement.
Alors que les informations scientifiques ont été massivement médiatisées pendant la pandémie de Covid-19 et souvent remises en cause dans un même élan, Balises revient sur la manière dont la science est produite et contrôlée.
Crise de l’édition scientifique
Au tournant du siècle, avec l’arrivée d’internet, les éditeurs scientifiques vont proposer directement en ligne des revues qui existaient auparavant seulement sous forme imprimée. Considérant que la diffusion en ligne permet d’augmenter le lectorat dans les bibliothèques abonnées, ils augmentent significativement leurs tarifs, particulièrement pour l’accès aux revues de sciences techniques et médicales (c’est moins le cas dans les sciences humaines et sociales). De plus, de nombreuses nouvelles revues sont proposées par lots – ou « bouquets » – aux bibliothèques qui souhaitent s’abonner. Ainsi, il faut payer pour un nombre conséquent de publications, qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins, pour pouvoir recevoir les titres que l’on souhaite mettre à disposition.
Les dépenses en matière de périodiques ont ainsi augmenté de 402 % entre 1986 et 2011. Cela rend problématique l’accès aux travaux de recherche dans les institutions les moins fortunées, par exemple dans les pays en développement. En outre, le fait de rendre très coûteux donc difficilement accessible une partie des résultats scientifiques est contradictoire avec l’éthique, qui suppose que la science doit être partagée et discutée en commun. Une certaine transparence est donc requise dans l’accès aux résultats publiés.
Le mouvement du libre accès
Évidemment, ces pratiques éditoriales ont fait réagir les chercheurs et les bibliothèques qui sont en charge de l’achat des abonnements au sein des institutions. Plusieurs mouvements de protestations vont gagner les universités comme la pétition « The Cost of Knowledge » qui appelle au boycott d’Elsevier, un des principaux éditeurs scientifiques.
Parallèlement, les institutions de recherche, parfois avec l’aide des États qui les financent partiellement, s’organisent pour publier et diffuser elles-mêmes les publications scientifiques. Refusant d’une part l’abus de position dominante de la part des éditeurs, et constatant d’autre part qu’avec Internet et les traitements de texte, les tâches éditoriales traditionnelles sont grandement simplifiées, elles vont créer leurs propres plateformes éditoriales.
Le mouvement du Libre Accès à l’information scientifique ou Science ouverte va naître de ces réflexions. Il vise à proposer un accès libre et gratuit à l’information scientifique, pour tous les lecteurs, sans authentification ni autorisation.
Voie verte ou voie dorée ?
Deux formes d’accès libre sont à distinguer :
Les archives ouvertes ou la voie « verte » du libre accès
Sur une archive ouverte, toute personne ayant ouvert un compte et attesté de sa qualité scientifique, peut déposer des documents scientifiques. Ceux-ci ne sont donc ni relus ni vérifiés par la plateforme – ce qui peut être trompeur pour le public.
Les archives ouvertes permettent à un chercheur de déposer un travail de recherche, avant son éventuelle publication dans une revue scientifique (version « pre-print ») ou un article qui a déjà été publié (version « post-print »). Dans le cas du pre-print, il s’agit d’articles qui n’ont pas été relus ni corrigés par d’autres chercheurs. Ils sont diffusés sur une archive ouverte pour être partagés et susciter éventuellement des discussions et des corrections, mais sans caution scientifique. Les post-prints sont des articles publiés, dont les droits d’accès sont libérés après une période donnée. En France, la loi pour une République numérique de 2016 autorise le dépôt sur une archive ouverte d’une publication si celle-ci est publiée depuis plus de six mois dans le domaine des sciences techniques et médicales ou depuis plus de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales. L’éditeur ne peut s’y opposer.
HAL est, en France, l’archive ouverte la plus utilisée. Cette plateforme est maintenue et financée par le CNRS. On trouve par exemple sur HAL une grande partie des thèses soutenues dans les universités françaises.
Les revues en accès libre ou la voie « dorée » du libre accès
Ces revues sont conçues nativement pour être en libre accès. Les frais d’édition, de diffusion et de relecture sont pris en charge par la plateforme, comme le ferait une maison d’édition traditionnelle, mais les revues sont intégralement et gratuitement accessibles en ligne. Open Edition, plateforme de revues et de monographies en sciences humaines et sociales fonctionne selon ce modèle. Cette plateforme est financée par la TGIR (Très grande infrastructure pour la recherche) et BSN (Bibliothèque scientifique numérique).
Deux modèles pour l’édition scientifique
Voie dorée ou voie verte, le libre accès présente de nombreux atouts : gratuité, transparence, diffusion rapide, liberté de réutilisation des résultats diffusés. Il permet ainsi de maintenir le lien entre science et société. Mais le libre accès montre aussi des limites : il repose sur la bonne volonté des chercheurs qui doivent déposer ou publier eux-mêmes leurs articles.
Les plateformes payantes, qui publient souvent les revues les mieux cotées, arguent d’ailleurs du sérieux de leurs circuits de relectures et de l’efficacité de leur diffusion pour perdurer. Et de fait, après vingt ans d’existence du libre accès, les deux modèles – gratuit et payant – coexistent et se complètent.
Ce volume d’Hermès s’intéresse, dans une perspective résolument pluridisciplinaire, aux différentes questions que pose la « science ouverte » avec toutes ses formes de mises à disposition des connaissances produites par des scientifiques : revues gratuites, mise en ligne des publications par les institutions, modèle auteur-payeur, archives en libre accès, bibliothèques numériques ouvertes.
Dans ce livre court, Peter Suber explique ce qu’est l’accès ouvert et ce qu’il n’est pas, ses avantages pour les auteurs et leurs lecteurs, la manière de le financer, sa compatibilité avec le droit d’auteur, la façon dont le mouvement pour l’accès ouvert est passé d’un mouvement confidentiel à un mouvement global, et enfin ses perspectives d’avenir. Basé sur les recherches et les écrits de l’auteur pendant une dizaine d’années, ce livre s’avère un outil indispensable pour les chercheurs, les bibliothécaires, les documentalistes, les administrateurs, les agences de financement, les éditeurs et les décideurs.
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