Interview

Appartient au dossier : Être ingénieur aujourd’hui

Ingénieurs en quête de sens
Entretien avec Laurent Perez

Sciences et techniques

Loos-en-Gohelle [CC BY-SA 2.0] via FlickR,

De nombreux jeunes ingénieurs se préoccupent de questions environnementales et sociales. Laurent Perez, ingénieur en bâtiment durable et directeur de l’association Ekopolis, spécialisée dans l’écoconstruction et l’aménagement urbain, commente ces évolutions et précise les nouveaux enjeux auxquels la profession doit répondre.
En février 2021, la rencontre « Quels métiers pour les ingénieurs de demain ? » organisée à la Bpi explore elle aussi ces questions d’actualité.

De plus en plus de jeunes ingénieurs délaissent les grands groupes au profit de petites structures. Comment l’expliquer ? 

Quand je fais passer des entretiens de recrutement, je rencontre beaucoup de jeunes ingénieurs qui occupent un emploi auquel ils ne trouvent pas de sens. Bien souvent, on leur demande de travailler comme on le fait depuis vingt ans, sans réflexion sur le long terme. Aujourd’hui, ces jeunes expriment leur désir de produire en tenant compte de l’impact que cela aura sur les décennies à venir.

Les mobilisations collectives, comme les marches pour le climat, montrent qu’il y a une prise de conscience de l’urgence écologique. Le pendant professionnel de ce mouvement, pour les jeunes ingénieurs, c’est de réfléchir à ce qu’ils produisent dans leur agence ou leur bureau d’études. Lorsque leurs missions sont décorrélées de leurs préoccupations environnementales, cela ne leur convient plus. 

Nous savons aujourd’hui qu’il est possible de construire autrement, de faire des bâtiments à énergie zéro, avec des matériaux biosourcés. Les jeunes découvrent que le bâtiment durable n’est pas quelque chose d’utopique mais un véritable marché. Ils recherchent des entreprises qui embauchent dans le secteur de l’écoconstruction car ils ne veulent plus construire de logements pour un promoteur qui ne se soucie pas de l’environnement. Cela crée un effet d’engouement pour ce domaine.

Écoconstruction de logements sociaux en 2010 par une entreprise qui emploie et forme des personnes éloignées du marché du travail à Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais.

Les formations des ingénieurs prennent-elles en compte ces évolutions ?

Les enseignements évoluent, mais très lentement. Les professeurs que je connais disent que c’est encore compliqué de proposer des cours sur le développement durable. Ces programmes existent mais ne sont pas intégrés au tronc commun, ils restent optionnels. Les écoles gardent une vision très techniciste du métier alors qu’une approche globale permettrait d’intégrer une dimension responsable aux enseignements.

En revanche, les étudiants sont conscients des enjeux. Des collectifs d’étudiants comme le Réseau français étudiant pour le développement durable (REFEDD) se mobilisent pour faire évoluer leur école, tant au niveau des cours que de l’organisation de la vie étudiante : restauration, gestion des déchets, etc.

Quels nouveaux métiers avez-vous vu apparaître dans le secteur du développement durable ?

Quelques nouvelles professions, techniques notamment, apparaissent dans des domaines très spécifiques. Mais j’ai surtout remarqué une prise de conscience qui a fait évoluer les métiers de l’intérieur. Par exemple, les architectes ont largement interrogé leurs pratiques pour être en adéquation avec des préoccupations environnementales : comment bien utiliser les ressources naturelles et énergétiques ? quelle contribution apporter au monde et comment s’y prendre ? Ces questions sont très présentes autour de moi.

C’est une tendance que l’on trouve aussi du côté des entreprises. Certaines deviennent des « entreprises à mission », c’est-à-dire qu’elles doivent être économiquement viables tout en inscrivant une mission environnementale dans leurs statuts. Cette mission vient interroger leur rôle dans la société. Je travaille avec de plus en plus d’entreprises du bâtiment ou de promoteurs immobiliers qui cherchent à donner du sens à ce qu’ils font. 

Quels sont les enjeux pour les ingénieurs qui souhaitent s’orienter vers le développement durable ?

Les ingénieurs intéressés par le développement durable doivent être capables de sortir de leur domaine d’expertise pour fluidifier les interactions avec les autres corps de métier. La transversalité est une compétence indispensable pour contribuer au monde de demain. Par exemple, il ne suffit pas de construire une voiture électrique qui n’émet pas de CO2 : il faut prendre en compte les dépenses d’énergie lors de sa fabrication, l’origine des matériaux, les conditions de travail des ouvriers. 

Un ingénieur doit se sentir responsable de la manière dont son travail affecte ce qui l’entoure et s’interroger sur son rôle dans la société. Par exemple, il ne peut pas se contenter de faire une étude thermique : il doit parler à l’architecte de l’impact de son étude sur le bâtiment. Ils doivent travailler ensemble, se comprendre et s’écouter mutuellement pour améliorer le confort de la construction. À mon sens, le savoir-être est aussi important que la technique qui, seule, ne sert à rien. 

Il faut donc décloisonner les missions…

Décloisonner, communiquer, transmettre, oui. Il faut avoir en tête que de nombreuses compétences sont transférables d’un domaine à un autre. Je vois beaucoup d’ingénieurs qui travaillaient dans la finance ou dans l’automobile arriver dans le champ du développement durable parce qu’ils veulent redonner du sens à leur métier. Cela demande de l’agilité mais c’est possible. C’est aussi avec des gens qui s’engagent que l’on invente les métiers de demain.

Publié le 25/01/2021 - CC BY-SA 4.0

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