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Appartient au dossier : Jeanne d’Arc dans l’histoire contemporaine

Jeanne d’Arc dans la littérature moderne et contemporaine

Jeune fille pauvre devenue cheffe de guerre, avant de disparaître tragiquement, la figure de Jeanne d’Arc se prête particulièrement aux rêveries littéraires. Des livres très nombreux, d’écrivain·es plus ou moins illustres, sont consacrés au personnage dans tous les genres littéraires : poésie, essais, romans, livres pour enfants, etc. Balises vous donne un aperçu de la multiplicité de regards portés sur elle pour accompagner la rencontre « L’histoire est-elle une religion comme les autres ? » proposée par la Bpi en janvier 2023.

Recueil. « Jeanne d’Arc » de Charles Péguy, adaptation de André Chancerel et Marcel Péguy. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Oubliée pendant la Renaissance, l’histoire johannique est méprisée au temps des Lumières : au milieu du 18e siècle, Voltaire consacre à la Pucelle d’Orléans un texte satirique qui cible la crédulité religieuse. Il faut attendre le 19e siècle pour que  les écrivain·es s’emparent du mythe de Jeanne d’Arc d’une manière positive. Le mouvement romantique se passionne pour la période médiévale et découvre avec passion cette héroïne alliant le dénuement et la gloire, qui réconcilie le merveilleux et l’histoire. L’intérêt pour le personnage se renforce encore à partir de 1874, lorsque s’ouvre le procès en canonisation de Jeanne d’Arc ; cette question alimente la chronique et contribue à forger le culte de la jeune femme, finalement déclarée sainte en 1920. Depuis,  écrivain·es et romancier·es ne cessent d’explorer l’histoire de cette héroïne, dont le mythe est mis au service de convictions ou de fictions qui parfois se croisent ou se superposent. 

Jeanne d’Arc, un personnage historique

Dès le début du 19e siècle, les historiens Philippe-Alexandre Le Brun de Charmettes en 1817, puis Jules Quicherat en 1841, retrouvent, rassemblent et traduisent les archives concernant Jeanne d’Arc. Ces recherches inspirent des écrivains d’abord soucieux de livrer un portrait de la jeune fille au plus proche des sources historiques. Henri Wallon, par exemple, s’appuie sur les documents historiques et livre une première biographie de Jeanne d’Arc(1860). ll est suivi par Anatole France qui, s’avouant d’abord perplexe devant certaines parties du mythe, se laisse gagner par la fascination (Vie de Jeanne d’Arc, 1908). Au 20e siècle, Regine Pernoud poursuit cette tradition historiographique avec plusieurs ouvrages : Vie et Mort de Jeanne d’Arc (1953), Jeanne d’Arc et la Guerre de Cent Ans (1990), entre autres.

Jeanne d’Arc, dans les creux de l’Histoire

Dans une veine moins strictement scientifique, se trouvent aussi des œuvres dans lesquelles l’histoire se mêle aux convictions personnelles ou aux problématiques contemporaines. C’est le cas par exemple de Jules Michelet, républicain anticlérical et écrivain romantique, conteur autant qu’historien, qui fait de sa Jeanne d’Arc (1841) l’incarnation d’un idéal populaire plutôt que religieux : Jeanne est ainsi présentée comme une jeune femme issue du peuple, sacrifiée par le roi Charles VII et rejetée par l’Église. 

Les lacunes qui demeurent malgré la relative profusion de sources historiques permettent aussi aux écrivain·es de laisser libre cours à leurs imaginaires, si bien qu’une abondante production littéraire relève plutôt du roman historique que de la biographie sourcée. Certain·es auteur·rices vont ainsi proposer une version de l’histoire à laquelle se mêle une part de fiction, comme Régine Deforges (La Hire ou la Colère de Jehanne, 2005) qui insinue que Jeanne serait la demi-sœur du roi, ou Hubert Montheilhet (La Pucelle, 1988) qui raconte l’histoire du point de vue d’un jeune vénitien. Michel Tournier (Gilles et Jeanne, 1983) suit la trame historique, mais cette fois pour centrer son récit sur Gilles de Rais, et chercher à démêler la relation méconnue entre la future sainte et son compagnon d’armes devenu criminel.

Jeanne et la patrie en danger

Les écrivains de la droite nationaliste convoquent la figure de Jeanne d’Arc, à partir du 20e siècle, sur fond de tensions avec l’Allemagne et de résurgence du patriotisme. La Première Guerre mondiale fait ressurgir la figure de la Pucelle d’Orléans comme celle qui est parvenue à réunir et à sauver la France, à une époque où le pays était au bord de l’explosion. Pour Maurice Barrès (Autour de Jeanne d’Arc, 1916), elle est une figure d’union sacrée face à l’envahisseur et doit inspirer les soldats français, par son courage politique, son combat moral et son association avec la Lorraine, territoire à reconquérir suite à la défaite de 1870.

À sa suite, Charles Maurras, penseur de l’Action française, propose en 1931 sa Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc. Il offre une vision de la sainte qui tranche avec le récit républicain et anticlérical d’une partie de ses prédécesseur·ses : sa Jeanne, guerrière engagée contre les ennemis de la France, est profondément royaliste et patriote. 

Robert Brasillach, écrivain de l’Action française et futur collaborationniste condamné à mort en 1945, poursuit cette tradition dans sa Méditation sur la raison de Jeanne d’Arc (préface au Procès de Jeanne d’Arc, 1941). Elle incarne pour lui le « nationalisme français dans ce qu’il a de plus réaliste, de plus profond, de plus attaché à la terre ». Fidèle au roi et à sa patrie, elle est aussi une figure mystique dont l’insolence invite au redressement moral. 

Georges Bernanos, opposé au fascisme, reprend également la figure johannique, mais cette fois au service de la Résistance. Dans la Prière à Jeanne d’Arc transmise par la BBC en 1941, et dans la Lettre aux Anglais, parue la même année, Jeanne métaphorise la France : même vaincue, elle garde foi en ses valeurs — qui s’opposent à l’Occupation et au nazisme — et espère un renouveau. 

Jeanne d’Arc, une sainte

La dimension spirituelle de l’histoire retient l’attention d’autres écrivain·es qui s’interrogent sur la vocation de la jeune bergère, et sa foi inébranlable. Dès 1897, Charles Péguy lui consacre un drame en prose et en vers, Jeanne d’Arc, qu’il développe ensuite dans son triptyque Les Trois Mystères : Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910), Le Porche du mystère de la deuxième vertu (1911), Le Mystère des saints Innocents (1912). Jeanne, confrontée aux malheurs de la guerre, se tourne vers Dieu pour répondre à la question du Mal et reçoit une réponse à la fois humaniste et mystique : la révélation qui lui est faite vaut pour le rachat des péchés de toute l’humanité. 

Dans Jeanne relapse et sainte (1934), Georges Bernanos propose une figure de l’héroïne conforme à ses propres obsessions : la sainteté comme prolongation de l’enfance et la foi comme dépassement de l’angoisse. Sa Jeanne défie et dérange les hommes de cour ou d’église, qui ont perdu toute spiritualité dans des querelles de pouvoir, tandis que la fragilité de la jeune fille bouleverse les calculs et invite au courage. 

Jeanne d’Arc, plus loin du mythe

Jeanne d’Arc inspire aussi des écrivain·es qui s’éloignent des imaginaires convenus en proposant une vision beaucoup plus personnelle de la sainte. Lorsqu’il s’empare du personnage en 1925, Joseph Delteil présente Jeanne comme une jeune fille fantasque et fougueuse, venue « au monde à cheval, sous un chou qui était un chêne » et qui entend les voix de ses « copines du ciel ». S’il suit la trame de la geste johannique, Delteil choque par son style humoristique et les expressions triviales qu’il met dans la bouche d’une Jeanne fort éloignée de l’idéal traditionnel et compassé. Son livre lui attire les foudres d’une partie des catholiques, mais il le fâchera aussi avec ses ami·es surréalistes, dont André Breton qui refuse toute référence à Jeanne, considérant le mythe comme une « vaste saloperie ». 

Dans un genre encore plus parodique, Jean-Bernard Pouy transpose l’histoire johannique dans le monde contemporain, avec Nous avons brûlé une sainte (1984). Jeanne, renommée Anne, a pris la tête d’une petite bande de jeunes hommes, dont la Hire, Xaintrailles et Gilles de Rais qui s’en prennent aux rockers londoniens (les Anglais) comme aux policiers (les Bourguignons) ; l’histoire se termine dans un incendie, à Rouen bien entendu. Fidèle à l’esprit du néo-polar, ce roman survolté s’inspire de la part rebelle du mythe johannique : une jeunesse à la fois désespérée et romantique décide de s’affranchir de toutes les conventions pour vivre une grande aventure. 

En 2022, Claude Lebrun propose, avec Fantaisies guérillères, une nouvelle version de l’histoire. Cette fois, Jeanne d’Arc a été choisie par Yolande d’Aragon à des fins strictement politiques. Mais la jeune fille élue pour guider le peuple vers son roi légitime s’avère bien éloignée de l’image éthérée de la sainte : c’est une femme forte, y compris physiquement, lesbienne et un peu cannibale. Revisitant en profondeur le mythe, il mêle des expressions moyanneuses à des références queer et pop qui font entrer Jeanne d’Arc dans la modernité du 21e siècle.

Publié le 26/12/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Jeanne d'Arc. Histoire et mythes

Jean-Patrice Boudet et Xavier Hélary (dir.)
Presses universitaires de Rennes, 2014

Cet ouvrage revient sur la figure de Jeanne d’Arc, abordant notamment son procès en condamnation en 1431, sa procédure, sa régularité et sa temporalité. Les auteurs évoquent aussi la naissance du mythe dans l’histoire politique et religieuse française, ainsi que son utilisation par le Front national. ©Electre 2014

À la Bpi, niveau 2, 944-58 JEA

Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d'Arc

Pascal-Raphaël Ambrogi et Dominique Le Tourneau
Desclée de Brouwer, 2017

Une somme encyclopédique de connaissances sur la sainte, son action, son image, son procès, son époque, les lieux où elle a vécu, les auteurs, artistes, musiciens, cinéastes qu’elle a inspirés. Une entrée donne notamment la liste (et pour certains le texte) des cantiques et cantates composés en son honneur. Avec un index thématique (3 000 entrées) et des renvois internes dans le corpus. ©Electre 2017

À la Bpi, niveau 2, 235 JEAN.A 2

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