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Joe Sacco, en quête graphique

Dans Payer la terre, l’auteur de bande dessinée Joe Sacco enquête sur les Territoires du Nord-Ouest du Canada. Il raconte l’histoire des Denes, un peuple autochtone, et de leurs terres colonisées et exploitées depuis plusieurs siècles par les gouvernements successifs. Dans cette planche, Joe Sacco s’interroge sur la posture de l’enquêteur et la manière de la mettre en image.

Planche extraite de la BD Payer la terre de Joe Sacco
© Joe Sacco 2020 / Éditions Futuropolis pour la traduction française.

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« Cette planche a une fonction essentiellement informative. En haut, on voit trois cases alignées dans lesquelles je répète le visage de Carol avec de légères variations. Puis, les autres vignettes sont positionnées comme des cartes à jouer jetées sur une table. Je construis mes planches de cette façon depuis toujours, c’est devenu ma marque de fabrique. J’aime qu’elles sortent de l’ordinaire. D’un point de vue esthétique, c’est plus intéressant et plus agréable à dessiner. »

Dessiner la pensée

« Dans le premier strip, je veux mettre l’accent sur les pensées de Carol qui sont à la fois liées les unes aux autres et indépendantes. C’est pour cette raison que je les ai séparées en répétant le visage. En principe, je n’aime pas dessiner des visages en gros plan pour raconter l’histoire, mais c’est parfois nécessaire pour mettre l’accent sur le texte. Sur cette page, je devais également représenter une abstraction, ce que je trouve assez difficile à faire. Habituellement, je fais peu de dessins symboliques. J’ai donc choisi de pousser cette idée abstraite et de jouer avec en dessinant une machine qui pompe dans la tête du personnage. Ça rend la page visuellement plus intéressante. »

Se mettre en scène

« Je me suis toujours dessiné dans mes livres, probablement parce que je n’envisage pas la BD reportage comme un journaliste qui s’exclut du récit pour garantir une certaine forme d’objectivité. Au contraire, j’utilise ma propre expérience pour nourrir le récit.
Dans cet extrait, j’essaie de montrer les interactions entre une communauté et l’Autre. Dans ce cas précis, je suis l’Autre, d’où l’intérêt de me représenter. Je ne me considère ni comme un colon, ni comme un défenseur de la colonisation. Mais en réalité, ce qui compte, c’est la manière dont les membres de la communauté me perçoivent. Je suis assimilé aux nombreux chercheurs qui, pour leurs travaux, viennent se servir dans les récits des populations autochtones. Bien souvent, celles-ci n’obtiennent pas de retour, ne voient pas les résultats des recherches, ne bénéficient d’aucun avantage à s’ouvrir et à se raconter. C’est ce que j’interroge en dressant un parallèle entre mon travail et l’industrie de l’extraction. J’extrais des informations de leur histoire et de leur mémoire, comme l’industrie pétrolière extrait du pétrole et du gaz naturel sur leurs territoires. »

Définir son propre style

« Le choix du noir et blanc est surtout dû au fait que je ne sais pas utiliser la couleur. Je m’oblige à travailler les textures, comme sur le pull de Deborah. J’attache beaucoup d’importance aux hachurages et aux ombrages, parce que c’est précisément ce que permet le noir et blanc. J’emprunte ces techniques aux auteurs de BD underground que j’admire comme Robert Crumb. Je préfère quand le dessin est un peu crasseux. Finalement, j’ai appris à composer avec mes limites et à les transformer en atout. Aujourd’hui, c’est avec ce style que les gens me connaissent et j’essaie d’en faire le meilleur usage possible. »

Publié le 27/01/2020 - CC BY-NC-SA 4.0