Sélection

Appartient au dossier : En luttes !

La BD part au combat

Balises met en lumière des bandes dessinées sur le thème du combat pour accompagner le 47e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, dont la Bibliothèque publique d’information est partenaire.

Ces sept BD, issues de la sélection officielle de l’édition 2020 du festival, mettent en scène des personnages en lutte. Ils combattent la maladie, les discriminations, les injustices, un ordre politique. Leurs histoires racontent des combats historiques ou contemporains, personnels ou collectifs, autobiographiques ou inspirés de faits réels.
À travers ces récits engagés, la bande dessinée confirme sa formidable capacité à ébranler et émouvoir.

Publié le 20/01/2020 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

In Waves

AJ Dungo
Casterman, 2019

Aux origines, était le surf. Pour son premier roman graphique, le Californien AJ Dungo raconte en parallèle : la naissance du surf et l’histoire tragique de Kristen. Les séquences en bichromie sépia présentent une histoire du surf des pionniers hawaïens aux figures novatrices de Duke Kahanamoku et Tom Blake, qui révolutionnent la pratique. Un petit précis d’histoire du surf solidement documenté. Les séquences en bichromie de bleus, couleurs froides de l’océan et de la tristesse, reviennent sur l’histoire d’amour d’AJ avec Kristen, une surfeuse passionnée qui lutte pendant dix ans contre un cancer des os qui l’affaiblit par vagues jusqu’à la submerger.

La BD tisse un canevas touchant et sensible de deux époques et de deux couples de personnages pour parler du deuil et de la souffrance. Le surf se vit comme une philosophie, un réconfort, et même une thérapie qui rythme le quotidien. Le dessin épuré, précis et fort, tout autant que l’expressivité froide et fermée des faciès, se montrent poignants tout en pudeur pour faire ressentir la violence du combat contre la maladie et la force mentale de Kristen. Le graphisme léger et apaisant donne à voir les mouvements fluides et permanents de l’eau tout en entraînant le lecteur dans un déferlement d’émotions.

À la Bpi, niveau 1, RG DUN I

Je suis au pays avec ma mère

Isabelle Pralong, Irene de Santa Ana
Atrabile, 2019

C’est l’histoire de Cédric, jeune réfugié en procédure de demande d’asile en Suisse. Le lecteur suit ses errances à travers les images et les retranscriptions de ses rêves, issus du travail de psychothérapie qu’il a entrepris avec la psychologue, Irène de Santa Ana. Ce roman illustré, singulier et poignant, montre la lutte de Cédric contre les méandres administratifs, mais également ses réflexions existentielles sur les nombreuses épreuves qu’il a traversées. Cette matière onirique est la métaphore de son état psychologique et témoigne de la violence subie, de ses peurs et de la complexité de son ressenti. Chaque rêve a ses tonalités, son style épuré, expressionniste, avec ses postures exagérées et ses aplats subtiles de couleurs sombres. Les songes font resurgir les traumatismes, révélant une personnalité brisée, entre souvenirs plus ou moins fidèles et reconstruction mentale, au fil de séances parfois interrompues lorsque Cédric se retranche dans la clandestinité.

Ce témoignage fort et puissant porte un point de vue atypique mais plein d’humanité sur l’insécurité mentale d’un adolescent déraciné.

À la Bpi, niveau 1, RG PRA

Saison des roses

Chloé Wary
FLBLB éditions, 2019

Saison des roses narre l’histoire de Barbara, capitaine de l’équipe féminine de football de Rosigny-sur-Seine. Elle est au centre d’une lutte pour sauver l’équipe des Roses de Rosigny, menacée de disparaître. Pour des raisons économiques, la présidente du club choisit de sacrifier l’équipe féminine sans débat et sans vote au profit de l’équipe masculine. La résistance s’organise et la question du sexisme dans le sport est abordée avec force et panache. Les filles font le pari d’affronter les garçons sur le terrain pour défendre leur place.

Au plus juste et à partir de sa propre expérience, Chloé Wary évoque le combat au quotidien contre les idées reçues et les injustices qui en découlent. Un graphisme naïf, des couleurs acidulées, des dialogues pittoresques pour des personnages au caractère bien trempé servent en sous-texte un discours réfléchi et résolument optimiste sur la valeur de l’engagement, tout en faisant le constat d’une réalité discriminante.

À la Bpi, niveau 1, RG WAR S

Le Bateau de Thésée

Toshiya Higashimoto
Vega, 2019

Tokyo, de nos jours… la vie de Shin bascule lorsque sa femme meurt pendant l’accouchement de leur enfant. Face à ce drame, il retourne à Hokkaido, lieu de son enfance. Alors qu’il retrouve les traces de son passé familial, on apprend que son propre père fut un criminel responsable du massacre de vingt et une personnes, principalement des enfants, dans l’école primaire de son village. Arrivé sur les lieux, Shin se trouve brusquement enveloppé dans un épais brouillard. Lorsque ce dernier se retire, le jeune homme se retrouve devant l’école, qui est censée avoir été rasée après le drame. En réalité, Shin a été mystérieusement transporté dans le village six mois avant la tragédie. La trajectoire des familles des victimes, mais aussi et surtout celle de l’assassin, sont alors scrutées.

Au-delà du sordide de l’affaire, l’auteur décrit avec sensibilité le parcours de son personnage et, comme chez Jiro Taniguchi dans Quartier lointain, l’approche fantastique d’aller-retour entre passé et présent nous permet de mieux comprendre les enjeux entre les générations. Empreint de nostalgie, le manga entretient le mystère dans cette quête de vérité et de réparation du passé. Shin peut vérifier l’écart entre ce qu’il lui a été rapporté sur l’histoire de son père et le déroulement des événements. Il se heurte à la part de fatalité dans un monde complexe dont les rouages lui échappent et lui coûtent des retournements de situation inattendus et malheureux.

Thriller uchronique, le manga est aussi une très belle transposition du mythe du bateau de Thésée. La métaphore du bateau, dont toutes les parties sont remplacées progressivement jusqu’à ce qu’il ne contienne plus aucune de ses parties d’origine, permet toutes sortes d’interrogations et réflexions sur la notion d’identité. Tel Thésée, Shin pourra-t-il remplacer les planches pourries de l’histoire familiale sans en changer foncièrement l’essence ?

À la Bpi, niveau 1, MA BAT

Algues vertes

Inès Léraud et Pierre Van Hove
La Revue dessinée, Delcourt, 2019

La journaliste Inès Léraud et l’illustrateur Pierre van Hove retracent en images leur enquête sur le scandale des marées vertes bretonnes. Après trois ans d’investigation, publiée en partie dans La Revue dessinée, la BD s’engage dans un reportage efficace sur ces algues toxiques qui pullulent en Bretagne depuis les années soixante-dix, avec ses conséquences sanitaires, économiques et politiques. Pas moins de trois personnes et une quarantaine d’animaux y ont succombé. L’ambiance verdâtre colore l’ensemble de ce roman graphique et transmet l’odeur putride du gaz émis par la décomposition de ces algues sur les plages. Les témoignages, les documents scientifiques, les coupures de presse, les lettres et les mails justificatifs font s’accumuler les preuves et illustrent la lutte inlassable de ces lanceurs d’alerte.

Portée par un dessin simple et une mise en scène assez statique, très factuelle, didactique et dense, cette BD est un formidable moyen de rendre accessible un sujet d’actualité complexe, qui décrypte ses fondements lointains de l’agriculture intensive au puissant lobbying. Une lecture instructive et révoltante, autant qu’une prise de conscience ironique.

À la Bpi, niveau 1, RG LER A

Couverture de la BD Révolution

Révolution - 1. Liberté

Florent Grouazel et Younn Locard
Actes Sud, Éd. de l'An 2, 2019

Avril 1789. Les notables des trois ordres qui constituent le Royaume de France s’apprêtent à sièger aux États généraux, à Versailles. À Paris, Marie, une gamine des rues à l’œil crevé, échappe de justesse aux balles de la garde lors de la répression d’une émeute dans la manufacture de papiers peints Réveillon, située Faubourg Saint-Antoine. Sa sœur Louise la cache, mais cette action lui coûte sa place. Comment survivre sans revenus quand les marchandises taxées aux barrières de l’octroi disposées aux entrées de Paris font augmenter les prix sans cesse ? La colère du peuple monte pendant que l’aristocratie calcule et complote pour préserver ses intérêts et que les députés lancent des sujets qui vont bien au-delà de la crise financière.

Florent Grouazel et Younn Locard proposent un nouveau regard sur la Révolution en s’attachant à des personnages issus de divers milieux et ballottés par les événements. Marie et sa sœur, le député breton Kervélégan et son frère jumeau, la reine des poissardes Reine Adu… font vivre l’histoire à leur échelle. Ils entraînent le lecteur dans les salons versaillais, à l’Assemblée nationale, dans les rues de Paris ou sur les lieux d’affrontement, offrant des points de vue différents sur les événements. Ils partagent leurs interprétations et leurs doutes, ajoutent à la confusion. Le rôle des parisiennes est mis en lumière. Cette lecture des événements historiques moins factuelle évite l’écueil des clichés sur la Révolution française. L’enchaînement des événements prend du sens et certains éléments font étrangement écho aux luttes populaires contemporaines.

Le récit de ce premier volume s’étale sur plus de trois cents pages denses mais captivantes. Les vignettes sont extrêmement détaillées et vivantes et, dans les scènes de combats, elles se succèdent en montrant toutes les actions sous différents angles en alternant les plans, comme dans un film. Les dorures et fioritures outrancières des salons contrastent avec les couleurs froides des rues.

À la Bpi, niveau 1, AL REV 1

Couverture de l'album La traversée

La Traversée

Clément Paurd
2024, 2019

La Traversée conte l’errance de Firmin et du capitaine, deux soldats égarés à la recherche du champ de bataille où exercer – croient-ils – leur bravoure.  En chemin, ils croisent une ferme incendiée, rencontrent des paysans en fuite et affrontent des villageois hostiles. Car si la guerre semble lointaine, ses conséquences n’en sont pas moins sensibles et vont peu à peu changer nos deux héros : difficile de dissimuler la confusion et l’absurdité derrière de grands mots héroïques, difficile de respecter la discipline quand plus rien ne la justifie…

Le graphisme épuré de ce petit théâtre de l’absurde n’empêche pas une grande inventivité. Clément Paurd joue avec les codes de la bande dessinée, supprime les cases et les bulles, multiplie les dessins en double-page. Par ces moyens, l’auteur parvient à insuffler une réelle humanité à ses personnages, sortes de marionnettes minimalistes, et beaucoup d’humour à cette fable pacifiste.

À la Bpi, niveau 1, RG PAU T

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