Trois questions à
Philippe Gaudin, philosophe, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions de l’École pratique des hautes études (IESR-EPHE). Il est le conseiller scientifique du cycle de rencontres Religions, des mots pour les comprendre.
Pourriez-vous donner une définition de la laïcité ?
La laïcité est le fait d’encadrer la liberté de conscience et de culte par la loi de la société, qui est de nature politique et non pas religieuse. Cela est donc lié au fait que l’État, autonome par rapport aux cultes, protège toutes les convictions philosophiques et/ou religieuses pourvu qu’elles respectent ce cadre légal.
Existe-t-il une laïcité française ?
La France a une histoire religieuse et politique particulière où l’influence du catholicisme a été déterminante. La laïcité y a un style marqué par la séparation de l’école puis de l’État d’avec les cultes dans une atmosphère de conflit, aujourd’hui dépassée. Il me paraît plus juste et plus constructif de dire que les pays démocratiques sont laïques, mais avec des spécificités qui viennent de leur histoire, plutôt que de dire que la France est le seul pays de la laïcité.
Enseigner la laïcité, votre mission au sein de l’IESR, qu’est-ce que cela veut dire ?
Aujourd’hui les défis pour penser et faire vivre la laïcité sont nouveaux. Le monde dans lequel nous vivons connaît un puissant processus de sécularisation, c’est-à-dire que la société, et pas seulement l’État, sort de la religion et tente de résoudre ses problèmes uniquement par la science, la technique, l’économie, le droit et la politique. En même temps, une nouvelle pluralité religieuse et de nouvelles revendications identitaires se manifestent.
Le monde moderne, gorgé de rationalité, ne vient pas à bout des souffrances existentielles, identitaires et sociales.
Il faut donc ressourcer le pacte politique et notamment enseigner la laïcité, former à la laïcité. Cela doit être fait dans toutes les dimensions de cette question. Elles sont philosophique, juridique, historique, anthropologique, sociologique, etc. Si on veut comprendre l’épaisseur de la question laïque, il faut connaître les faits religieux. Et pas seulement le judaïsme et le christianisme. Aujourd’hui, en Europe, il devient nécessaire de tenter de comprendre l’islam, le bouddhisme…
Les professeurs sont sans doute les premiers concernés mais tous les fonctionnaires le sont aussi. Quant aux entreprises, même si la laïcité de l’État ne s’y applique pas, elles doivent de plus en plus apprendre à réguler le fait religieux dans leur propre cadre juridique.
Cette pédagogie de la liberté républicaine et démocratique qu’incarne la laïcité peut également concerner les cadres religieux. C’est ainsi que se créent un peu partout en France des diplômes universitaires, ouverts à tous, mais particulièrement conçus pour des religieux connaissant mal la culture et le droit français : on s’y familiarise avec la laïcité, l’histoire et la sociologie des religions.
Propos recueillis par Caroline Raynaud et Lorenzo Weiss, Bpi
Article paru initialement dans de ligne en ligne n°19
Sélection de références
Vers une laïcité d'intelligence ? : l'enseignement des faits religieux comme politique publique d'éducation depuis les années 1980
Philippe Gaudin
Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2014
Cet ouvrage est le fruit d’un travail de recherche sur l’étude et l’analyse de l‘enseignement des faits religieux depuis 30 ans.
À la Bpi, niveau 2, 37.014 GAU
Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires