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Appartient au dossier : Un·e auteur·rice, un objet

La plume de geai d’Emmanuelle Bayamack-Tam

Dans Arcadie (2018), le dernier roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam, la narratrice enterre une boîte contenant des trésors, et notamment une plume de geai. Avant d’en proposer une lecture à la Bibliothèque publique d’information le 11 février 2019, Emmanuelle Bayamack-Tam nous parle de son rapport à cet objet particulier.

Une plume de geai bleue sur l'herbe
CC0 Creative Commons – Pixabay

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« À la page 250, la narratrice d’Arcadie enterre une petite boîte contenant un noyau de pêche, des coquillages, une cigale en bakélite, un échantillon de parfum et une plume de geai. L’ensemble, ce mélange d’objets naturels et d’objets manufacturés, constitue une sorte de capsule temporelle qu’elle envoie parler d’elle aux générations futures. La plume de geai fait chez moi l’objet d’un investissement fétichiste qui remonte à l’enfance, et des plumes de geai figurent dans mes propres capsules temporelles, discrètement insérées dans le récit, presque indétectables.

Celles qui m’intéressent, à l’exclusion de toute autre, sont les plumes alaires du geai dit des chênes, soit cinq centimètres de kératine et de barbules, grisâtres et effrangées d’un côté, bleues et lustrées de l’autre. C’est ce bleu sensationnel qui m’a fait empocher ma première plume de geai comme un talisman. Ce bleu, qui naissait d’un blanc lumineux pour être ensuite dévoré par le noir en un dégradé presque insaisissable, me paraissait répondre à des objectifs secrets, et mettre en résonnance mon espace mental et une réalité sensible.

Cette plume a décidé pour moi d’un « comportement lyrique » que des années plus tard, j’ai trouvé défini dans L’Amour fou de Breton, une invention de la poésie comme façon d’être au monde, de le penser et de l’écrire. Loin des symboliques mièvres ou crypto chamaniques qui lui sont attachées, j’ai pris cette plume pour un signal qui m’était personnellement adressé même s’il n’était qu’en partie déchiffrable.

Il s’avère que le geai est un volatile très ordinaire : caqueteur, bruyant, charognard à ses heures, et doté d’un plumage sans éclat. S’il n’arborait pas ses extraordinaires vectrices rayées de bleu et de noir, il serait parfaitement insignifiant – et très éloigné, en tout cas, de l’oiseau de féérie que la plume laissait augurer, voire espérer. Mais que cet écart entre désir et réalité puisse être un des lieux de l’écriture, et la déception être intégrée au processus romanesque, nous le savons depuis La Recherche, ses cathédrales, ses tragédiennes, ses voyages à Venise et ses jeunes filles en fleurs. »

Publié le 29/01/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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