Interview

Laïla Pakalnina, à l’écoute du monde

Cinéma

Laïla Pakalnina, 2019

La documentariste lettone Laïla Pakalnina accorde une attention toute particulière à la composition sonore dans ses films emplis de bruits d’oiseaux, de vent et d’eau mais souvent dénués de musique et de parole.
À l’occasion de sa venue lors de la rétrospective que lui consacre La Cinémathèque du documentaire en mai 2019, Balises lui a demandé comment elle construit ses partitions audiovisuelles.

À partir de quels éléments construisez-vous la bande-son de vos films ?

J’enregistre le son d’ambiance mais il s’agit souvent d’un son témoin, et je ne l’utilise pas forcément au montage. Lors du tournage, j’enregistre également des sons seuls que je pense pouvoir intégrer au film.
Et puis au montage, nous cherchons dans une banque sonore que nous constituons au fil des ans quels sons originaux nous pourrions intégrer au film. Enfin, il nous arrive souvent de sortir de la salle de montage pour aller enregistrer de nouveaux sons, qui correspondent à ce que je souhaite raconter ou suggérer.

J’ai particulièrement utilisé la post-synchronisation dans Pays de cocagne. Le film se déroule dans une décharge et nous avons filmé de très près des animaux sauvages. Il était impossible de capter en direct les bruits ténus que faisaient les rongeurs, les chats ou les oiseaux sur place, alors nous avons reconstruit toute la bande-son a posteriori.

Pourquoi inclure tant de sons de la nature dans vos films ?

Il n’y a pas de parti-pris philosophique particulier. Les bruits de la nature sont plus faciles à entremêler. Les bruits de la ville, au contraire, se mélangent moins bien entre eux, cela donne très vite un magma dont les éléments sont difficiles à discerner. C’est plus compliqué de composer une bande sonore audible dans ces circonstances.

Pourquoi utiliser si peu la musique et le langage ?

La musique et le langage donnent toujours une direction très forte au sens du film. Même quand la musique est douce, elle intime au spectateur une lecture spécifique de manière presque agressive. Je m’en méfie beaucoup et je préfère que les spectateurs décident par eux-mêmes ce qu’ils veulent voir et entendre, et la signification qu’ils veulent donner au film.

Dans Pays de cocagne, il y a davantage de musique, mais il s’agit de circonstances particulières : avant de tourner le film, j’ai rencontré le compositeur Shigeru Umebayashi à la Mostra de Venise. Nous avons discuté et j’ai beaucoup aimé les compositions qu’il m’a fait écouter. Sans vraiment nous connaître, nous nous sommes alors promis de collaborer. Je ne savais pas, à ce moment-là, que c’était un compositeur très célèbre qui avait entre autres écrit la musique d’In the Mood for Love ! Il a néanmoins accepté d’écrire la musique du film.

Au premier plan, une vacher et au second, un ferry.
Le Ferry, Laïla Pakalnina (1994)

Vos films sont souvent filmés en plan large tandis que les sons donnent un sentiment de grande proximité. Pourquoi dissocier le point de vue et le point d’écoute ?

Il me semble que c’est comme ça que nous construisons notre expérience quotidienne : chacun se focalise sans cesse sur un son en particulier ou un détail visuel, chacun opère des « zooms mentaux » pour appréhender ce qui l’entoure. C’est beaucoup plus intéressant de reconstituer cette expérience complexe du monde que de proposer une séquence univoque du point de vue de l’image et du son.

Il y a une raison technique aussi : lorsque j’ai commencé à tourner des films au VGIK, l’Institut national de la cinématographie de Moscou, à la fin des années quatre-vingt, nous utilisions des caméras construites pendant la Seconde Guerre mondiale et elles faisaient beaucoup de bruit. Lorsqu’on enregistrait un son direct, on entendait toujours en arrière-plan le bruit du défilement de la pellicule.
Alors, j’ai commencé à post-synchroniser des sons pour reconstruire un environnement sonore sans le bruit de la caméra. Le Ferry est le premier film dans lequel j’ai utilisé cette technique. À ce moment-là, je me suis rendu compte qu’il était plus intéressant de ne pas forcément synchroniser une image avec le son correspondant. Par exemple, dans Le Ferry, sur un plan au cours duquel le bateau avance sur l’eau, j’ai posé le bruit d’un tremblement de terre. Cela ouvre l’imagination.

En fait, l’image et le son ne constituent pas deux grilles de lecture séparées. La dramaturgie de mes films est constituée de manière évolutive, et les éléments dominants changent en fonction des scènes. C’est une question de rythme : à un moment c’est une lumière qui va dominer la scène, puis il s’agira d’un mouvement, ensuite d’un son… Le film est une matière sensible en mouvement perpétuel.

Publié le 07/05/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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