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Appartient au dossier : L’art de lutter

L’art de lutter 3/4 : La Rose et le Réséda

La Rose et le Réséda, de Louis Aragon, est un appel à l’union de la Résistance pendant la Second Guerre mondiale. Le poème parait d’abord dans le journal marseillais Le Mot d’ordre le 1er mars 1943, puis il est diffusé clandestinement pour encourager les résistants.
Au-delà de ce qu’elles en racontent, les œuvres d’art peuvent-elles avoir une influence sur le déroulement des soulèvements populaires ? Alors que la programmation Front(s)s populaire(s) du Cinéma du Réel 2019 s’interroge sur la manière dont les images de luttes participent aux mouvements de révolte, Balises pose la question en cinéma, en peinture, en poésie et en chanson.

Image d'une fenêtre arquée en pierre qui donne sur un jardin de rose et réséda
Simon Borasci, Bpi

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La forme poétique de La Rose et le Réséda, constituée de deux rimes et un refrain, rappelle les poèmes médiévaux et en particulier les chansons de troubadours. De prime abord, Aragon parait raconter l’histoire de deux hommes qui convoitent la même femme, alors qu’il parle de deux soldats résistants qui doivent s’unir afin de libérer la France de l’armée d’occupation. En fait, il s’agit d’un véritable « poème de contrebande » : avec sa référence historique cryptée, son thème profond passe inaperçu et lui permet de passer la censure et d’être officiellement publié pendant la guerre.    

 « Il coule il coule il se mêle 
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat »


Le poème se termine sur l’idée que le sang des résistants doit couler pour l’avènement d’une « saison nouvelle », de rose et de réséda. Après la Libération, le poème est édité dans le recueil d’Aragon, La Diane française, et dédié à quatre résistants fusillés pendant la guerre : Gabriel Péri, membre du Parti communiste ; Honoré d’Estienne d’Orves, officier de marine catholique ; Guy Môquet, militant communiste ; et Gilbert Dru des milieux de la Jeunesse chrétienne.

Ces quatre résistants représentent la pluralité des engagements résistants. La dédicace faite par Aragon incarne l’union au-delà des clivages politiques et religieux auxquels le poème appelle pendant l’occupation allemande. Son titre fait référence aux groupes opposés au sein de la Résistance, la rose (rouge) symbolisant le communisme et le réséda (une fleur blanche) symbolisant le royalisme et, par extension, le catholicisme. Comme le résume le refrain du poème : « Celui qui croyait au Ciel / Celui qui n’y croyait pas ».

Grâce à l’anaphore (répétition de la même construction syntaxique) « Celui qui », Aragon rapproche les deux phrases et ainsi les soldats. En réitérant le refrain tous les quatre vers, l’écrivain évoque la nature interminable de la guerre et le cercle vicieux de la violence. La Liberté ou la France personnifiées par « la belle » constituent le point commun entre les deux soldats et toutes les factions opposées de la Résistance.

Communiste, Aragon entre lui-même dans la clandestinité de la Résistance sous le nom de François la Colère juste après la première publication du poème en 1943. La Rose et le Réséda continue à être diffusé de manière clandestine dans les tracts tels que Contribution au cycle de Gabriel Péri, afin de rassembler et de motiver les résistants dans un « commun combat ». Tout au long de l’Occupation, de nombreux poèmes tels que ceux de Paul Éluard ou Robert Desnos sont rendus publiques par tractage, par la diffusion radiophonique ou par la presse clandestine. Cette activité créative permettait aux groupes de résistants de se réunir et de lutter contre l’Occupation à travers leur art.

Publié le 15/03/2019 - CC BY-SA 3.0 FR

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