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Appartient au dossier : Un·e auteur·rice, un objet

Le tarbouche de Zeina Abirached

Zeina Abirached, illustratrice et autrice de bande dessinée, navigue entre Orient et Occident dans chacune de ses œuvres, du Piano oriental jusqu’à Prendre refuge, écrit à quatre mains avec Mathias Énart en 2018.
Alors que la Bpi propose une rencontre avec Zeina Abirached le 2 février 2019, elle nous présente un objet particulier, un chapeau, qui raconte son histoire intime autant que celle de son pays d’origine, le Liban.

Une photographie de chapeau rouge sur une tête d'homme en noir et blanc dessinée par Zeina Abirached
© Zeina Abirached

Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

« Ce n’est pas le tarbouche de mon arrière-grand-père. Il lui ressemble sans doute, mais ce n’est pas lui. Ce tarbouche, je l’ai acheté dans une boutique d’artisanat libanais, à Beyrouth, il y a quelques années. Il était vendu au rayon « souvenirs du Liban », à côté de magnets en forme de cèdre et de sous-verres reproduisant les colonnes de Baalbeck.

Mon arrière-grand-père, Abdallah Chahine, devenu Abdallah Kamanja dans mon livre Le Piano oriental, portait le tarbouche dans les années 1950 à Beyrouth, à un moment où ce couvre-chef hérité de l’Empire ottoman, était déjà, lui aussi, un vieux souvenir. Lui, s’en servait lors de ses promenades dans Beyrouth, pour rythmer ses pas, en frappant, poc, le feutre dru, poc, du plat, poc, de sa main, poc et participer à la symphonie de la rue grouillante de chants, de klaxons et de cris de marchands ambulants.

Aujourd’hui, le Beyrouth d’Abdallah Kamanja a disparu… Il m’arrive parfois de me demander si ce paradis perdu a existé ailleurs que dans notre imaginaire collectif. Ailleurs que dans les photos de Bonfils, ailleurs que dans les cartes postales en couleurs, rehaussées à la main, ailleurs que dans les toiles des peintres du siècle dernier… ailleurs que sur les magnets et les sous-verres d’une boutique de souvenirs…

Alors, pensant à Roubaud reprenant Baudelaire, La Forme d’une ville change plus vite, hélas !, que le cœur des humains, j’ai acheté, dans un magasin climatisé, le long de la corniche d’Aïn el-Mraïssé, un tarbouche en feutre rouge fabriqué en 2012. Je l’ai posé sur ma table à dessin à Paris et j’ai écrit, pour tenter d’accorder les battements de mon cœur à ceux de ma ville natale. »

Zeina Abirached
Article paru initialement dans de ligne en ligne n°19

Publié le 28/01/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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