Lectures d’été 2025 – À perte de vue
Avec cette première sélection estivale, vous allez en prendre plein les yeux ! Balises et Tu vas voir ce que tu vas lire vous proposent cinq ouvrages (romans, essai, recueil de poésie) dans lesquels la vue occupe une place centrale. Création picturale, peinture, lumière, collection d’images, détails microscopiques, paysages, il s’agit toujours d’ouvrir les yeux !
Tous les ans, Balises et Tu vas voir ce que tu vas lire vous proposent une sélection de lectures d’été : romans, essais, bandes dessinées, romans graphiques, recueils de poésie. Notre sélection estivale 2025 vous donne l’occasion d’éveiller vos sens !
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Publié le 07/07/2025 - CC BY-SA 4.0
Notre sélection
Bleu Bacon
Yannick Haenel
Stock, 2024
Yannick Haenel accepte de vivre une expérience insolite et unique : passer une nuit, seul, enfermé dans les salles de l’exposition Francis Bacon, au Centre Georges-Pompidou.
Bleu Bacon est le récit de ce périple esthétique et sensoriel. Le corps à corps avec les tableaux de Bacon conduit l’auteur vers un voyage intérieur. L’effet sur lui est brutal. Immédiatement le voilà saisi d’un terrible mal de tête. Anesthésié, pétrifié, son corps – tel ceux représentés sur les tableaux – est mis à mal. Cette réception soudaine de l’œuvre de Bacon laisse place ensuite à des études stylistiques, des évocations d’éléments biographiques déterminants à l’origine de certains tableaux. La couleur bleue, très présente dans la palette baconienne, est le fil d’Ariane du livre et sert d’entrée à l’analyse de tableaux emblématiques : filets d’eau, carnations, traits de lumière… Autant de ponctuations picturales qui se retrouvent aussi dans la représentation des visages, corps et crucifixions. L’œuvre démesurée et provocante de Bacon entraîne chez Yannick Haenel réminiscences et tourments pour, finalement, avoir sur lui un effet cathartique.
Le tour de force de l’ouvrage est de plonger les lecteur·rices dans la peinture de Bacon qu’elle leur soit déjà connue ou non, et de présenter cet artiste de génie avec une grande humanité. Un livre viscéral et poétique qui rend hommage à un peintre foudroyant.
À la Bpi, 840″20″ HAEN
Le Livre du large et du long
Laura Vazquez
Éditions du sous-sol, 2023
Une voix nous invite à la suivre au cœur de l’organisme de la terre. Elle ne ménage pas ses lecteur·rices. Franche, directe, contemporaine – « mon gars, tu captes » – elle nous montre comme elle les voit, nous fait sentir, telles qu’elle les absorbe, les multiples réalités du monde, vivantes, mouvantes, destructrices. Les moindres détails des corps, des végétaux sont observés au microscope. Et la voix – sensible, souvent folle, désabusée, inquiétante – se glisse tour à tour dans l’esprit du scientifique, dans un brin d’herbe, dans la main du lycéen tueur, dans le corps de l’amie ou de l’amante. Elle est obsédée par le besoin de disséquer et, héritière des surréalistes, ouvre jusqu’aux larmes pour y trouver des mondes, du sang, des bourgeons prêts à éclore.
L’œil de la poétesse Laura Vazquez s’engouffre dans toutes les sinuosités, ouvre les cicatrices et entre par les plaies. Ce « livre monde » – et monstre – succède à son premier roman, La Semaine perpétuelle. Y accéder n’est pas une évidence, tant l’on est d’abord assailli par la multiplicité des fragments explorés à la loupe dans ces vers. Mais passée cette découverte, à la réouverture du livre, la beauté et la violence de certaines visions opèrent et laissent une sensation d’étrangeté et de puissance.
À la Bpi, 840″20″ VAZQ
Arctique solaire
Sophie Van der Linden
Denoël, 2024
Anna Boberg (1864-1935), peintre suédoise peu connue en France, femme et fille d’architecte, est le sujet de ce court roman baigné par les aurores boréales et les lumières du Grand Nord. L’autrice s’inspire de la vie de l’artiste pour raconter, à la première personne, le destin et l’expérience singulière de cette femme, qui au tout début du 20e siècle se rendit plus de 30 fois dans les îles Lofoten, au large de la Norvège, pour passer l’hiver à peindre.
C’est le récit d’une femme libre, incroyablement courageuse et déterminée. Elle s’aventure, seule, dans ce pays rude et inhospitalier. Elle passe des mois dans une petite cabane construite par son mari et ne vit là que pour sa peinture, essayant de capter la lumière exceptionnelle de ce paysage unique et majestueux. À la manière d’un roman épistolaire, elle s’adresse à son cher mari, resté sur le continent, avec lequel elle partage ses doutes, ses enthousiasmes, sa solitude. Dans un style dépouillé et tout en retenue, l’autrice se glisse avec bonheur dans les pas de cette héroïne discrète, nous fait partager, par petites touches, ses aspirations et sa quête d’absolu, mais aussi ses tiraillements et ses difficultés. La découverte d’une artiste fascinante, une réflexion sur la peinture et un hommage sensible aux paysages et aux lumières arctiques.
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D'images et d'eau fraîche
Mona Chollet
Flammarion, 2022
Avec D’images et d’eau fraîche, Mona Chollet nous révèle sa passion pour les images de tous ordres. À l’époque où le selfie est devenu une pratique courante et où beaucoup mettent en scène sur les réseaux un quotidien idéalisé rendu « instagrammable », l’autrice s’intéresse à un autre type de communauté : celle des internautes qui collectionnent les images, non pour s’exposer directement, mais pour partager leur sensibilité et leur monde intérieur à travers des compilations de photographies d’art, de tableaux, de dessins… Elle nous fait part de son univers, à travers une sélection d’œuvres qu’elle a elle-même postées sur Pinterest et qui jalonnent ce joli livre-album.
Cet ouvrage est un essai qui interroge notre lien à l’image. Il est aussi mais surtout une balade éclectique au cours de laquelle nous retrouvons certaines des icônes qui ont marqué nos inconscients. Nous goûtons enfin à l’émotion d’en découvrir de nouvelles qui deviendront peut-être de futurs talismans. Pouvons-nous vivre d’images et d’eau fraîche ? Peut-être pas, mais Mona Chollet, délaissant dans ce dernier livre les problématiques de société auxquelles elle s’attelle habituellement, partage avec nous un plaisant stratagème qui rend la vie plus douce.
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Le Fils de l'homme
Jean-Baptiste Del Amo
Gallimard, 2021
Le fils, la mère et surtout le père. Puis le père du père. En réapparaissant dans la vie d’un garçon de neuf ans et de sa jeune mère, un homme dont le nom n’est jamais mentionné vient percuter le cours de leur vie. Il les emmène dans une maison isolée de montagne pour un temps que l’on devine indéterminé. Une maison dans laquelle lui-même a grandi dans l’ombre de son propre père. Dans cet environnement rude, sauvage, inquiétant mais aussi merveilleux aux yeux de l’enfant, ce trio va plonger progressivement dans une angoisse croissante, la violence de l’homme pouvant surgir à tout moment, comme une fatalité traversant les générations.
En jouant sur différentes temporalités, passant même par un prologue préhistorique, Jean-Baptiste Del Amo fait la généalogie de la virilité, de la paternité, de la domination mais aussi des souffrances qu’elles peuvent engendrer. En très peu de dialogues, et dans un style très riche et imagé, l’auteur nous fait éprouver la sensation de toucher, sentir, entendre les faits et gestes des personnages. Les paysages deviennent presque tangibles à travers des descriptions à la précision vertigineuse.
À la Bpi, 840″20″ DELA.J 4 FI
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