Sélection

Appartient au dossier : Lectures d’été 2023

Lectures d’été 2023 #4 : 5 récits dans la nuit

Entre d’obscures nuits polaires et de lumineuses errances sans sommeil, Balises et Tu vas voir ce que tu vas lire vous proposent une sélection de 5 récits nocturnes pour nourrir vos lectures estivales.

Un livre ouvert posé sur une rembarde en bois, avec les lumières d'une ville la nuit à l'arrière-plan
Matthias Münning via Unsplash

D’autres chroniques sont à retrouver sur Balises et sur Tu vas voir ce que tu vas lire, les pages Facebook et Instagram du service littérature de la Bpi.

Publié le 14/08/2023 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Éloge de l'obscurité

Sigri Sandberg
Noir sur blanc, 2021

Et si l’expérience de la vraie nuit, la jouissance d’un ciel étoilé, devenait un droit humain ? Dans nos vies qu’accompagnent en permanence éclairage artificiel et lumière bleue de nos écrans, l’obscurité est une ressource rare. Sigri Sandberg, journaliste norvégienne, décide de partir à sa recherche et d’affronter sa peur du noir en séjournant seule, durant quelques journées d’hiver, dans les montagnes de son pays, en pleine nuit polaire.

Par courts fragments thématiques, s’appuyant sur cette expérience solitaire, l’autrice questionne notre rapport intime à la nuit. À rebours de la symbolique culturelle négative associée à l’obscurité, elle fait apparaître, au fil de ses réflexions documentées, le nécessaire équilibre entre ombre et lumière dans nos vies. Elle évoque notamment la façon dont la pollution lumineuse perturbe nos équilibres psychiques et dérègle nos rythmes biologiques. Son texte hybride, entre récit et essai, questionne en creux les excès d’une humanité coupée de la nature et du monde vivant.

À la Bpi, niveau 3, 839.6 SAND.S 4 MO

Les Vilaines

Camila Sosa Villada
Métailié, 2021

Camila, María et Nadina ont construit leur identité trans sur les bases d’un passé chaotique et violent. Toutes gravitent autour de Tante Encarna, figure divine de cent soixante-dix-huit ans, mère protectrice et reine d’une communauté trans torturée mais lumineuse. Leur terrain de vie nocturne est le parc Sarmiento, dans la ville de Córdoba, en Argentine : ce poumon vert devient, à la nuit tombée, le lieu de tous les désirs, qu’ils soient amoureux, inavouables ou prostitués. Une nuit, elles découvrent un bébé abandonné sous les ronces et décident de l’adopter clandestinement. À travers cet enfant, qu’elles baptisent Éclat des yeux, le rêve d’un avenir digne émerge, mais se heurte à la cruauté et au rejet qui façonnent leur quotidien.

Dans Les Vilaines, Camila Sosa Villada raconte la prostitution, la dépossession du corps, le monde où la férocité de l’homme s’érige en modèle. Elle révèle la violence subie par les trans, perpétuelle et omniprésente, ressuscitée par la nuit, prête à surgir au milieu de chaque page et sur chaque partie du corps. Mais elle écrit aussi le bonheur d’être trans, dans une fresque flamboyante qui mêle trash et lyrisme, brutalité et douceur, souffrance et humour, réalisme et fantastique. Elle lance un cri de tolérance phosphorescent, mû par un instinct de solidarité tendre et implacable.

À la Bpi, niveau 3, 868.3 SOSA 4 MA

Les Rigoles

Brecht Evens
Actes Sud, 2018

Jona veut fêter sa dernière nuit en ville avant son départ pour Berlin, où l’attend sa jeune compagne. S’ensuit une errance dans ce monde urbain, de nuit, et plus particulièrement dans le quartier des rigoles, dont les rues sont bordées de restaurants, boîtes de nuit et autres lieux de fête. Les personnages se croisent, les histoires se mêlent : celle de Jona, celle de Vic, le chauffeur de taxi… Tous·tes se cherchent et s’inventent dans les lumières de ces mondes artificiels et colorés avant de se réveiller, désenchanté·es, à la lueur de l’aube.

L’univers graphique de Brecht Evens est haut en couleur, dense et détaillé. On passerait des heures à fouiller du regard certaines planches, à la recherche des personnages aperçus ou d’éléments insolites. Pas de case ou de cadre dans ce roman graphique : les scènes se succèdent, en petits formats, en pleine page, dans la même image, sur des fonds foisonnants de détails ou sur fond blanc… Le texte est également présent dans cet album et peut être lui aussi très dense, alternant par couleurs pour représenter la parole de chacun·e. Nous, lecteur·rices, sommes immergé·es dans cette grande fête nocturne un peu décadente, cette débauche de couleurs de laquelle nous ne souhaitons plus sortir. Un ravissement pour les yeux et pour l’esprit.

À la Bpi, niveau 1, RG EVE R

L'Homme qui danse

Victor Jestin
Flammarion, 2022

Direction La Plage, une discothèque en bord de Loire fréquentée par Arthur entre 1990 et les années 2020. Chaque chapitre du roman compose une étape intérieure du héros, et porte le prénom d’une personne qu’il a connue en ce lieu. Espace de déconnexion et d’expérimentation intérieure, La Plage, après avoir été un obstacle, constitue une révélation et un véritable refuge pour Arthur. Nuit après nuit, nous suivons la quête identitaire du jeune homme, d’abord timide et maladroit, que nous découvrons en pleine mue, déployant toute son énergie à façonner son corps et à devenir un danseur exemplaire. Il se transforme peu à peu en un adulte sensible et en décalage, espérant trouver chaque soir le bonheur avec un amour authentique et sans demi-mesure.

On reconnaît bien la plume sensible et introspective de Victor Jestin, à travers la description précise de l’atmosphère nocturne et l’observation minutieuse de la superficialité des relations et des personnes qui fréquentent la discothèque. Tel un sociologue, l’écrivain brosse le tableau, en filigrane, des relations de pouvoir, des déviances, mais aussi des plaisirs éphémères inhérents aux établissements de nuit. La fluidité de l’écriture accompagne le corps dansant d’Arthur qui déambule, soirée après soirée, pour mieux communier avec la musique. La discothèque, puis la danse, cristallisent pour le personnage, et peut-être pour les lecteur·rices, le lieu de tous les possibles : « On n’est jamais seul, quand on danse avec quelqu’un. »

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ JEST 4 HO

Paris, mille vies

Laurent Gaudé
Actes Sud, 2020

Un soir de juillet, sur le parvis de la gare Montparnasse, le narrateur est interpellé par un homme étrange : « Qui es-tu, toi ? ». Intrigué par cette question, il se laisse guider par cette ombre dans une longue promenade à travers la nuit parisienne. Il est alors emporté dans une danse macabre où vivant·es et mort·es se mêlent ; le bruit et la musique l’envahissent et le font voyager dans le temps et l’espace. Au fil de son parcours, des bribes de l’histoire de Paris semblent se rejouer sous ses yeux. Aux jeunes résistant·es mort·es à Denfert-Rochereau succèdent les érudit·es du Quartier latin de la fin du Moyen Âge. Les fantômes des communard·es et des surréalistes sont aussi de la fête.

L’écriture poétique de Laurent Gaudé accentue l’atmosphère onirique de ce roman court comme une nuit en ville ; les lecteur·rices sont emporté·es dans cette frénésie nocturne, où les scènes et les époques s’entremêlent. Une belle déclaration d’amour de l’auteur à Paris et aux personnes, célèbres et anonymes, qui ont fait son histoire ou qui, comme lui, s’y sont forgé des souvenirs.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ GAUD 4 PA

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