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Les chef·fes d’orchestre en gestes

Les chef·fes d’orchestre mettent en jeu tout leur corps durant un concert. Chaque mouvement indique aux musicien·nes une manière spécifique de jouer leurs parties. Depuis les années 2000, leur gestuelle est étudiée et captée dans le cadre de projets d’orchestre virtuel, comme celui, lancé en 2022, par l’Université de Côte d’Azur et l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam).Cette étude des interactions entre les humains et les machines est le thème d’une rencontre intitulée « Corps virtuose » organisée par l’Ircam et la Bpi en juin 2024.

Photo capturant l'énergie de la cheffe d'orchestre dirigeant des musicien·nes
Lin Liao dirigeant le Basel Sinfionietta dans le cadre de la première mondiale de Waves © Zlatko Mićić

Des mains expertes

La main droite des chef·fes d’orchestre est la plus importante, car elle assure la « battue » de la mesure, donne le tempo. C’est le point de repère des musicien·nes. Elle se doit d’être très précise, en particulier pour des œuvres avec de nombreuses signatures rythmiques. Les « battues » varient selon le nombre total de temps dans la mesure. Le premier temps de la mesure est toujours battu vers le bas, le dernier vers le haut. Le plus souvent, la « battue » s’accompagne de gestes qui donnent à sentir l’atmosphère de la musique. Celle-ci peut être ample, ronde ou discrète. 

Avec la main gauche, les chef·fes d’orchestre jouent sur l’intensité du son, c’est-à-dire le volume sonore, qui peut aller du pianissimo au fortissimo. La main gauche précise également les nuances, les phrasés et donne le départ aux instrumentistes pour attaquer. Son rôle permet de savoir s’il faut jouer davantage rythmé ou plus legato (lié). De cette main, les chef·fes d’orchestre donnent la levée, c’est-à-dire le signal que tel pupitre va pouvoir attaquer. Pour les instruments à cordes, c’est, par exemple, le moment pendant lequel iels remettent leurs archets en place. Lorsqu’il s’agit de signifier à l’orchestre un arrêt pour mettre fin à un mouvement ou à une œuvre, un geste clair et précis est effectué, afin que tous les instruments s’arrêtent en même temps. Une bonne indépendance de ses deux mains est indispensable pour exercer le métier de chef·fe d’orchestre.

Pour diriger l’orchestre, les chef·fes peuvent s’aider d’une baguette, mais elle n’est pas indispensable. Véritable repère, elle permet aux instrumentistes les plus éloigné·es, généralement les cuivres et les percussions, de mieux voir les gestes effectués. Pour des mouvements plus lyriques et moins rythmiques, les chef·fes d’orchestre peuvent être amené·es à déposer la baguette. Iels ont alors plus de liberté pour « sculpter le son ».  

Tout le corps dans le concert

Le visage, et particulièrement le regard, font partie de la gestuelle des chef·fes d’orchestre. Ces éléments transmettent des émotions et créent une complicité avec les musicien·nes. Certain·es chef·fes jouissent d’un magnétisme qui entraîne littéralement l’orchestre, amenant plus de rythme et d’énergie aux performances. Les gestuelles effectuées diffèrent s’il s’agit d’une symphonie, d’un concerto ou d’un opéra. Elles peuvent être d’une grande ampleur ou très discrètes, mais doivent toujours correspondre à la musique jouée. Chaque chef·fe dispose de sa propre technique, d’un langage personnel auquel l’orchestre doit s’adapter. Une gestuelle puissante peut signifier une volonté de maîtriser l’orchestre ou bien d’apporter de la théâtralité à la performance, à l’inverse d’une gestuelle plus discrète.

Par exemple, le chef néerlandais Bernard Haitink s’efface et donne de la place et du temps aux solistes pour qu’iels s’expriment pleinement. Ses gestes, clairs et précis, sont exécutés en totale complicité avec l’orchestre, élément clé de la réussite d’un concert. D’autres chef·fes sont plus expressif·ves, proposant des indications par des mimiques ou des mouvements du corps, comme Mikko Franck qui, d’un coup d’épaule, signifie à un·e soliste, qu’iel va pouvoir commencer à jouer ou reprendre sa respiration au moment d’une pause. 

Enfin certain·es font des démonstrations tout en puissance, c’est le cas de Marin Alsop, première femme à exercer la fonction de directrice musicale d’un des plus grands orchestres américains : l’Orchestre Symphonique de Baltimore. 

Chef·fe 2.0 

La gestuelle des chef·fes fait l’objet de recherches depuis plusieurs années, pour capter leurs mouvements en temps réel. Les outils employés jusque-là permettaient seulement à la machine de suivre le déroulé d’une gestuelle avec des temps de retard. Percevoir tous les types de gestes suppose de décoder en avance chaque intention. Le but des projets menés actuellement est d’améliorer les capacités d’anticipation par l’intelligence artificielle.

En 2022, l’université de Côte d’Azur, en partenariat avec l’Ircam, a lancé une étude pour traduire la gestuelle des chef·fes d’orchestre en données Midi. Différentes solutions sont proposées, comme le fait d’utiliser Gesture Follower, un logiciel de captations des gestes. Cela implique que les chef·fes portent un casque de réalité virtuelle et pointent de manière précise vers des objets dans un espace virtuel. Ce processus est jugé actuellement trop invasif d’un point de vue ergonomique pour être retenu. 

L’autre solution, développée avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), emploie des éléments de robotique et d’intelligence artificielle. Elle consiste à positionner des capteurs sur le corps des chef·fes afin d’avoir le plus de sources possibles et ainsi obtenir des données plus fiables. Un test est prévu à l’occasion d’un concert à Berlin en mai 2024.

La suite du projet est d’intégrer cette gestuelle à des éléments scéniques, afin de recréer un spectacle vivant, avec des effets sonores, des mouvements de décors, des jeux de lumière.

Publié le 27/05/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Que veulent dire les gestes des chefs d'orchestre ? | Culture Prime, 22 juin 2021

Dans cette vidéo, Christian Merlin, producteur à France musique, décrypte les gestes du chef d’orchestre finlandais Mikko Franck.

 

La Chef d'orchestre

Zahia Ziouani
A. Carrière, 2010

Dans cette autobiographie, la cheffe d’orchestre Zahia Ziouani revient sur son parcours, de ses débuts au conservatoire de Pantin, jusqu’à son ascension dans le milieu masculin des chefs d’orchestre. Elle explique également sa manière de diriger et évoque les influences musicales qui ont marqué sa carrière, comme le chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache.

À la Bpi, 78.1 ZIOU 2

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