Appartient au dossier : Riad Sattouf
Les dessins du petit Riad
Lorsque Riad Sattouf raconte sa jeunesse dans L’Arabe du futur, il décrit avec humour l’admiration que suscitent les portraits qu’il dessine tout petit, et qui ressemblent toujours à s’y méprendre à Georges Pompidou. Dans le tome 2 de la série, le petit Riad découvre ébloui, au fil d’une leçon improvisée, quelques « trucs » pour varier ses compositions. Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique de l’exposition Riad Sattouf, l’écriture dessinée, analyse comment l’auteur a restitué graphiquement ce moment décisif de son enfance.
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Située dans le premier tiers du tome 2 de L’Arabe du futur, cette planche raconte un des moments les plus marquants de la jeunesse de Riad Sattouf. L’action se déroule en Syrie, lors d’une visite de la famille du jeune Riad à la famille de la demi-sœur de son père. Dans les pages qui précèdent ce passage, le lecteur a fait la connaissance de Maha, la demi-sœur, intégralement vêtue de noir, de son mari et de leurs trois enfants. L’une d’entre eux, Leila, est veuve depuis deux ans et est revenue vivre chez ses parents. Le jeune Riad a apporté des feuilles et des crayons, « pour frimer » indique une phrase de commentaire. Dans la page qui précède celle qui nous intéresse, le père libyen de Riad explique comment son propre père a eu deux femmes, et des enfants de ces deux épouses.
Comme dans toutes les pages du récit, le dessin en noir et blanc est accompagné d’une couleur unique qui, par convention, situe l’action : rose quand on se trouve en Syrie, bleu clair quand Riad et sa famille retournent en France. Autre constante, toutes les pages sont divisées en trois bandes horizontales.
La première bande clôt l’exposé du père qui, finissant de justifier la polygamie (à la fin de la page précédente, il qualifie ce système de « merveilleusement pensé »), provoque la colère muette de sa propre épouse française : un éclair sort des yeux de la mère de Riad dans la troisième case.
Au bas de deux des cases de cette première bande, on voit le jeune Riad, accroupi, occupé à dessiner tandis que son père parle. On peut penser que, loin de vouloir frimer, Riad dessine pour s’extraire de la situation et ainsi ne pas être touché par l’orage familial qui menace.
La deuxième bande change de point de vue et fonctionne comme un zoom avant. Un texte off introduit Leila, intéressée par le dessin du gamin. Le premier croquis du petit Riad est placé stratégiquement au centre de la page, formant une tache blanche qui attire l’œil.
Le découpage fonctionne sur le principe d’un plan fixe (Riad debout et Leïla accroupie), entrecoupé par des gros plans sur le dessin. D’abord tout simple, le dessin est notoirement amélioré après une intervention énergique de Leïla dont témoignent les « scritch » écrits en gros et en majuscules.
La troisième bande rompt ce rythme binaire et débute par la seule case complètement muette de la page. L’intervention inattendue de Leïla foudroie littéralement Riad, qui reste bouche bée. Cette révélation est interrompue par les questions de Leïla, qui poursuit sa leçon improvisée.
Le fait que la deuxième case, surplombée du laconique « J’étais ébloui ! », soit dépourvue de tout trait de contour peut symboliser le fait qu’un univers d’une richesse insoupçonnée (celui du dessin) s’ouvre librement à l’apprenti dessinateur. Ce dispositif permet également de placer avec plus de lisibilité les deux bulles de dialogues en bas des deux dernières cases, alors que débute une nouvelle séquence qui va se poursuivre dans la page suivante.
Les aplats de rose et de noir rythment la page et guident la lecture. Découpant la lumière, ils sont parfois « réalistes » – toutes les cases ou Riad et Leïla sont ensemble, par exemple – ou de pure convention – quand ils viennent en soutien au dessin de Pompidou devenu ensuite celui d’Hafez Al-Hassad.
Jean-Pierre Mercier,
conseiller scientifique à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême et conseiller scientifique de l’exposition Riad Sattouf, l’écriture dessinée
Publié le 17/12/2018 - CC BY-NC-SA 4.0
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