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Appartient au dossier : Top 10: les grands juristes français

Les ténors du barreau

Les avocats figurent  en bonne place parmi notre choix de grands juristes. Leur rôle n’est-il pas, à travers la défense de leurs clients, de faire évoluer la loi et de créer des « revirements de jurisprudence » ? Qu’il s’agisse de la loi Veil, de la loi en faveur de l’abolition de la peine de mort, ou de bien d’autres, ce sont souvent les avocats qui ont fait germer l’idée d’une modification de la loi, pour épouser au plus près les contours de la société.

Portraits de Robert Badinter,  Gisèle HalimiJacques Vergès

Robert Badinter (1928-2024)

Portrait  photographique de Robert Badinter
By iBooCREATION (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

Robert Badinter reste dans les esprits le père de l’abolition de la peine de mort. Né dans une famille juive de Bessarabie, son père mourut en déportation en 1943. Licencié en lettres et en droit en 1948, il s’inscrit au Barreau de Paris en 1951, obtient son doctorat de Droit en 1952.

Lauréat du concours d’agrégation en 1965, il fonde la même année avec Jean-Denis Bredin le cabinet d’avocats Badinter, Bredin & partenaires, où il exercera jusqu’à sa nomination comme Garde des Sceaux en 1981. Il sera le défenseur, entre autres, du baron Édouard-Jean Empain, de l’Aga Khan…

En 1973, il n’évitera pas la condamnation à mort de deux prisonniers, Bontems et Buffet, qu’il considère comme innocents. Dès lors, il se jette corps et âme dans le combat en faveur de l’abolition de la peine de mort. Il sauvera la tête de six condamnés à mort, coup sur coup. Dans sa défense de Patrick Henry, risquant la peine capitale pour l’enlèvement et le meurtre d’un enfant, il dira aux jurés : « La guillotine, c’est prendre un homme vivant et le couper en deux morceaux. »

Ce procès, et l’acquittement de son client, seront décisifs dans le processus qui a mené à l’abolition… Parallèlement à sa carrière d’avocat, il devient maître de conférences, puis professeur des universités (Dijon, Besançon, Amiens, Paris-I). Son nom restera indissociable de l’abolition de la peine de mort en France : en tant que Garde des Sceaux (1981-1986), il porte le projet au Parlement, qui sera voté avec la loi du 9 octobre 1981. Il fera voter d’autres mesures : dépénalisation de l’homosexualité, suppression des juridictions d’exception (cour de sûreté de l’État, tribunaux permanents des forces armées en temps de paix…), élargissement du droit d’action des associations pour la poursuite des crimes contre l’humanité et des infractions racistes.
Entre 1986 et 1995, il sera Président du Conseil constitutionnel, puis élu sénateur des Hauts-de-Seine, inscrit au groupe socialiste (1995-2011). Son action sera aussi importante en faveur de la réinsertion des détenus ; il participera à la rédaction du Nouveau Code pénal en 1992. Il dira de son combat : 

« Ce qui me passionne, ce sont les formes judiciaires de l’injustice. »

Couverture de Les Épines et les Roses

Les Épines et les Roses
Robert Badinter, Fayard, 2011
Journal décrivant le fonctionnement et les évolutions de la justice française ainsi que ses liens à la politique entre 1981, année de l’abolition de la peine de mort et 1986, départ de Badinter de la Chancellerie. Il mêle au récit des évènements l’expression de ses convictions sur les actions menées : dépénalisation de l’homosexualité, progrès des droits des victimes, etc…
À la Bpi, niveau 2, 344.4(091) BAD

Couverture de L'Abolition , prix Fémina

L’Abolition 
Robert Badinter, Fayard, 1998
Histoire de l’abolition de la peine de mort en France, par son principal artisan.
À la Bpi, niveau 2, 343.81 BAD

couverture de La Prison républicaine

La Prison républicaine (1871-1914)
Robert Badinter, Fayard, 1992
De la naissance de la République à 1914, l’idéologie pénitentiaire demeure la même: la prison est un lieu de peine, mais aussi d’amendement. Cet idéal lui commande de se pencher sur les prisons, de les transformer, de les humaniser. Or, la République n’a jamais prélevé les ressources nécessaires à la fin de la misère, de la promiscuité, etc… À travers l’histoire des prisons, c’est un visage secret de la République que ce livre, issu d’un séminaire conduit à l’EHESS, nous révèle.
À la Bpi, niveau 2, 343.85 BAD


Gisèle Halimi (1927-2020)

Gisele Halimi
By Olivier « toutoune25 » Tétard [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

Issue d’une famille juive traditionaliste, Gisèle Halimi résumera son autobiographie par la phrase suivante: « Ne vous résignez jamais ». 
Son combat commencera tôt : à 13 ans, elle entamera une grève de la faim pour arrêter de faire le lit de ses frères et de les servir à table. À 15 ans, elle échappera de justesse à un mariage arrangé avec un homme de 20 ans de plus qu’elle. Halimi prête serment comme avocat à Tunis en 1945. Son combat contre l’anticolonialisme se mêle à son action professionnelle. Elle s’inscrit au barreau de Paris en 1956.

Entre 1956 et 1962, elle s’engagera politiquement et professionnellement dans la guerre d’Algérie, où elle défendra le FLN. 
Elle se fera connaître du grand public en mai 1960, lorsqu’elle défend Djamila Boupacha et réussit à mobiliser l’opinion publique (Tribune de Simone de Beauvoir dans Le Monde, « Pour Djamila Boupacha » ; dessins de Picasso…); condamnée à mort en 1961, Boupacha sera finalement libérée après deux décrets de 1962. 

Le second grand engagement de Gisèle Halimi est celui du droit à l’avortement. Elle signera le 5 avril 1971 le « Manifeste des 343 » publié dans le Nouvel Observateur et créera par la suite avec Simone de Beauvoir le mouvement « Choisir la cause des femmes ». Lors de sa plaidoirie en faveur de Marie-Claire (octobre 1972), Halimi dira aux jurés :

« On vous dit que vous devez « dire le droit ». Bien sûr. Mais « dire le droit » n’a jamais voulu dire devenir une justice robot et se désintéresser des grands problèmes de notre vie. Dire le droit, c’est faire la jurisprudence, nous l’avons appris à la faculté. »

L’avenir le dira, mais le procès de Marie-Claire sera le point de départ de l’abrogation de la loi anti-avortement (loi Veil du 17/01/75). En 1981, Gisèle Halimi débute sa carrière politique, élue députée de l’Isère. En 1982, elle sera rapporteur de la loi supprimant le délit d’homosexualité. Ambassadrice de la France auprès de l’Unesco (1985-1986), conseillère spéciale de la délégation française à l’Assemblée générale de l’ONU (1989), Halimi incarne à la perfection l’« avocate-militante », plaidant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des prétoires, rédigeant des articles, signant des pétitions, « engagée personnellement dans la vie de la cité. »

Couverture de La Cause des femmes

La Cause des femmes, précédé par Le Temps des malentendus
Gisèle Halimi, Gallimard, 1992
Une jeune fille de seize ans, Marie-Claire C…, se fait avorter avec la complicité de sa mère. Employée de métro, mère célibataire de trois filles qu’elle élève d’une manière exemplaire, Mme Chevalier est jugée devant le tribunal de Bobigny. « Procès d’un autre âge », disent les personnalités (médecins, savants, artistes) et les femmes citées par la défense comme témoins. L’association Choisir transforme le procès de ces femmes en acte d’accusation contre la loi de 1920 qui réprime l’avortement, et, dans les faits, ne touche que les pauvres. En quelques semaines, l’affaire de Bobigny crée un mouvement d’opinion irréversible. Récit des souffrances et bilan de son combat. Gisèle Halimi signe l’avant-propos de cet ouvrage, elle y assimile cette phase de la libération des femmes à la désobéissance civique. Refuser une loi injuste pour en faire naître une autre, conforme au droit pour les femmes de choisir de donner (ou non) la vie.
À la Bpi, niveau 2, 300.1(44) HAL

Le Procès de Bobigny : sténotypie intégrale des débats du Tribunal de Bobigny, 8 novembre 1972
Choisir la cause des femmes, Gallimard, 2006
Publié en 1973, ce livre qui reprenait la sténotypie intégrale des débats du tribunal de Bobigny (novembre 1972), a lancé le mouvement d’opinion qui devait aboutir à la remise en cause de la loi de 1920 réprimant l’avortement. Dans cette nouvelle édition, Marie-Claire, la jeune fille avortée, revient sur les événements et l’avocate Gisèle Halimi évoque la désobéissance civique face à une loi injuste.
À la Bpi, niveau 2, 343.99 CHO

Couverture de Ne vous résignez jamais

Ne vous résignez jamais
Gisèle Halimi, Plon, 2009
Le témoignage d’une femme emblématique de l’époque actuelle, qui, dans le droit fil de son combat contre l’injustice et la discrimination, livre quelques clés aux femmes et aux hommes d’aujourd’hui en revenant sur son parcours de féministe.
À la Bpi, niveau 2, 300.1 HAL

 


Jacques Vergès (1925-2013)

Né en 1924 ou 1925 (Vergès restera mystérieux sur sa réelle date de naissance ainsi que sur d’autres pans de son existence), Jacques Vergès est un brillant avocat, connu pour son engagement anticolonialiste et pour la défense des « indéfendables ». Il grandit à La Réunion, puis il entre en 1941 dans la Résistance, avant de rejoindre les Forces françaises libres en 1943 en Angleterre.
En 1945, il s’inscrit au Parti communiste français, aux côtés de son père, élu du PCF. Il part trois ans à Prague comme secrétaire de l’Union internationale des étudiants, avant de revenir en France en 1955 et de s’inscrire au barreau de Paris. Son engagement dans le communisme et l’anticolonialisme se prolongent dans sa défense du réseau des « poseuses de valises » ; il défendra l’une d’elles, Djamila Bouhired, qui deviendra sa femme par la suite.
En 1957, il quittera le PCF, qu’il juge « trop tiède » sur la question du FLN. Après une mystérieuse disparition entre 1970 et 1978, il revient sur le devant de la scène et se fait connaitre pour défendre les « indéfendables ». Klaus Barbie, Laurent Gbagbo, Carlos, Slobadan Milosevic… sont parmi ses clients les plus controversés.

La personnalité mystérieuse de l’avocat sera retranscrite dans un film qui lui est consacré, L’Avocat de la terreur, de Barbet Schroeder. Jacques Vergès, grand avocat, certes, mais bon avocat ? La question reste en suspens. La défense de rupture, qui consistait pour lui à se servir du prétoire comme d’une tribune, dénonçant le système, faisant des accusateurs les accusés, aurait produit des résultats mitigés : un grand nombre de condamnations à perpétuité. Par son engagement politique et sa dénonciation du système judiciaire, il reste un modèle pour les nouvelles générations d’avocats.

Couverture du Journal, de Jacques Vergès

Journal : la passion de défendre
Jacques Vergès, Ed. du Rocher, 2008
Journal de bord de Jacques Vergès, du 1er janvier au 9 avril 2006, dans lequel il exprime ses convictions, ses pensées, et raconte son quotidien. 
À la Bpi, niveau 2, 344.53 VER

Couverture de Les Erreurs judiciaires

Les Erreurs judiciaires
Jacques Verges, PUF, 2002
Retrace l’histoire de procès célèbres où la justice pénale a failli en condamnant des innocents
À la Bpi, niveau 2, 344.4 VER

À voir aussi :

L’Avocat de la terreur, de Barbet Schroeder, Wild Side Video, 2008
Un fascinant documentaire de Barbet Schroeder, réalisé en 2008 sur la personnalité de
Jacques Vergès, mêlant biographie et histoire politique du vingtième siècle et du terrorisme.
Réellement passionnant. 

Publié le 10/10/2013 - CC BY-SA 4.0

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