Éditeur chez Actes Sud, Bernard Magnier est spécialiste des littératures africaines. En 2008, il était le conseiller scientifique pour « D’Encre et d’exil : L’Afrique… si près, si loin », huitième édition des rencontres internationales des écritures de l’exil organisées par la Bpi.
Photographie forcément fragmentaire à l’échelle d’un continent aussi vaste, cette édition rassemblait des auteurs de l’Afrique subsaharienne, essentiellement francophones, de générations différentes.
Dix ans après, pour Balises, Bernard Magnier observe les changements à l’œuvre et l’étonnante vitalité de ces littératures.
Depuis l’édition « L’Afrique… si près, si loin », qu’est ce qui a changé dans les littératures africaines subsahariennes ?
Dix ans, c’est un peu court pour mesurer une évolution, mais on peut esquisser quelques tendances sur une période un peu plus longue. Dire que le profil des écrivains a changé. Ceux qui sont apparus dans les années 1950, 1960 ou même 1970, étaient nés dans des villages et parlaient plus volontiers de ces lieux. Les écrivains qui émergent aujourd’hui sont nés dans de grandes villes et ont des propos d’urbains. Ils parlent de la ville, de l’émigration, etc.
Ils ont souvent fait des études plus longues et ont une approche peut-être plus « intellectuelle » que leurs aînés. Ce sont de grands lecteurs, attentifs aux littératures du monde et cela se sent dans leurs œuvres. La place faite aux femmes est plus importante qu’auparavant. Dans les années 1970, il n’y avait pratiquement pas d’écrivaines, j’entends de femmes écrivant de la fiction. Aujourd’hui, elles sont au premier plan. Fatou Diome, Léonora Miano, Marguerite Abouet. Voilà trois femmes parmi les plus en vue de ces littératures.
La thématique de l’exil est-elle plus présente ?
Oui. Auparavant, contrairement aux écrivains du Maghreb comme Driss Chraibi ou Kateb Yacine, ceux de l’Afrique subsaharienne parlaient rarement d’exil, à quelques rares exceptions comme Ousmane Sembène. À partir des années 1990 et 2000, l’émigration est abordée d’une façon beaucoup plus immédiate. Le premier livre d’Alain Mabanckou, Bleu, blanc, rouge (1998), raconte les déboires d’un jeune homme qui arrive à Paris.
Les écrivains abordent aujourd’hui tous les sujets : ils refusent d’être cantonnés à la défense de tel ou tel aspect de l’Afrique. Ils ne s’interdisent aucun sujet, aucun lieu d’écriture. Sami Tchak (Togo) écrit un livre qui se passe au Mexique et un autre du côté de Cuba. Tierno Monénembo (Guinée) écrit sur le Brésil, Abdourahman Ali Waberi (Djibouti) sur les États-Unis. Tout récemment, Marc Alexandre Oho Bambe, plus connu sous son nom de slameur Capitaine Alexandre, a placé son premier roman Diên Biên Phù, au Vietnam. Ce phénomène est relativement nouveau.
Quels autres changements voyez-vous ?
Les littératures africaines sont beaucoup plus visibles. Les traductions sont plus nombreuses et de meilleure qualité. Auparavant, elles étaient réalisées par des amateurs éclairés, à présent on fait appel à des professionnels. Les délais sont beaucoup plus courts. Il suffit de regarder les copyrights pour s’en rendre compte ! Alors qu’un roman était traduit cinq ou dix ans après sa parution, il l’est à présent quelques mois après sa sortie, comme n’importe quel livre.
Le paysage éditorial s’est également ouvert. Pendant un temps, les littératures africaines étaient publiées par des éditeurs spécialisés, à l’exception des éditions du Seuil, très tôt attentives à ces littératures ; puis quelques grandes maisons comme Actes Sud ou Gallimard s’y sont intéressées. Aujourd’hui, les auteurs africains sont présents dans à peu près toutes les maisons d’édition. Ils viennent de presque tous les pays du continent et de nouveaux auteurs apparaissent, du Zimbabwe, du Mozambique, du Cap-Vert…
Le lectorat s’est élargi. Dans les années 1960, les lecteurs étaient principalement ceux qui avaient des attaches personnelles avec l’Afrique ; dans les années 1980, il s’agissait plutôt de militants. Aujourd’hui, ce sont des lecteurs qui lisent aussi bien des auteurs tchèques que péruviens ou… congolais. Les auteurs africains font partie de notre paysage littéraire, ils passent à la télévision, ils reçoivent des prix, etc.
Les auteurs invités à D’Encre et d’exil soulignaient que la situation du livre et de la lecture en Afrique ne leur permettait pas d’être écrivains dans leur pays d’origine. Les auteurs ont-ils cette possibilité désormais ?
D’abord, ce n’est pas sûr qu’ils le souhaitent. Ensuite, la reconnaissance passe toujours par Paris, Londres ou Lisbonne (pour les lusophones). Dans les pays francophones d’Afrique, l’édition africaine reste précaire. Les quelques maisons d’édition qui existent ont beaucoup de difficultés, et elles n’ont guère de diffusion internationale. Un exemple assez frappant : dans l’élan des indépendances, une multinationale, les Nouvelles Éditions Africaines (NEA), s’était implantée à Dakar, Abidjan et Lomé. Aujourd’hui, il existe les NEAS au Sénégal, les NEI en Côte-d’Ivoire et les NEA-Togo. Chaque entité publie ses nationaux, mais il y a peu de diffusion vers les autres pays. De plus, les librairies sont extrêmement fragiles en Afrique et le prix du livre, quand il n’est pas en poche, est prohibitif.
Les écrivains africains continuent donc de quitter leurs pays ?
Oui ou à partager leur temps entre ici et là-bas. Beaucoup d’entre eux (parmi les plus en vue) vivent en Europe, en France. Est-ce un exil ? Dans la majorité des cas, ils n’ont pas été exclus du pays, ils n’ont pas subi de violences extrêmes. Est-ce pour autant un exil totalement choisi ? Est-ce que les conditions d’épanouissement d’un écrivain existaient dans ces pays ? C’est moins sûr.
Conséquence regrettable de tout cela, on voit émerger une littérature à deux vitesses : d’un côté, une littérature fabriquée, publiée et lue en Afrique ; de l’autre, une littérature faite en exil – en éloignement d’avec le continent africain –, publiée et lue en Europe, avec des thématiques, un univers littéraire, une langue différents. Et les lecteurs initiaux disent : « ce n’est pas pour nous ». J’ai entendu plusieurs fois, en Afrique, ce genre de réflexions à propos de tel ou tel auteur : « il est parti, il ne parle plus pour nous ». Mais pourquoi un écrivain africain devrait-il toujours écrire sur l’Afrique ?
En Europe, nous avons la même réaction que les lecteurs africains : nous attendons toujours d’un auteur africain qu’il nous parle de l’Afrique, éventuellement de son pays, et qu’il soit omniscient sur l’Afrique ! À cela s’ajoute une autre injonction. Les lecteurs africains disent à leurs auteurs : « vous devez aborder les problèmes qui fâchent, puisque vous avez la parole ! » C’est sans doute l’héritage des premières années et d’Aimé Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches ».
Beaucoup de pays africains connaissent la guerre, y a-t-il des écrivains parmi les exilés ?
Pour qu’il y ait des romans sur ces sujets d’une grande violence, personnelle et collective, il faut du temps. Ainsi, pour le Rwanda, il a fallu attendre. Il y a eu tout d’abord des témoignages, des récits, des interviews… Je crois que la réalité était trop vaste, trop douloureuse, trop proche. Gaël Faye n’est pas tout à fait le premier, mais il est parmi les premiers à faire avec Petit pays quelque chose qui est entre récit et roman. Il tient beaucoup à ce que cela soit une fiction, un roman, mais c’est quand même très attaché à ce qu’il a pu directement ou indirectement vivre.
Qu’est-ce qui vous touche dans les littératures africaines ?
Si je me suis intéressé à ces littératures, c’est parce que ces écrivains étaient vivants au moment où je faisais mes études. J’appartiens à une génération qui, au collège, au lycée, à l’université, n’étudiait que des morts ! Ces écrivains étaient vivants aussi parce qu’actifs dans la vie de la cité. Senghor était président de la République, Césaire était député – j’assimile les Caraïbes, car on parlait alors des littératures négro-africaines –, tel autre était leader syndicaliste, etc.
Deuxième raison : à l’époque, en plein nouveau roman, cette littérature me semblait venir de l’urgence.
Enfin, troisième raison, littéraire cette fois, j’y trouvais des mots neufs, des manières nouvelles de dire, d’écrire. Aujourd’hui, je peux presque reprendre les mêmes termes. C’est une littérature vivante, avec des écrivains qui ont une espèce d’urgence à dire.
Une autre motivation m’amène à faire ce travail : il me semble qu’en mettant en avant ces littératures, singulièrement les littératures de l’Afrique, l’image de ce continent peut être renversée. Le jour où un Africain ne sera plus vu automatiquement comme un musicien, un footballeur, quelqu’un qui court vite ou longtemps, le jour où en le croisant on se dira « il est peut-être prix Nobel de littérature », ce jour-là, nous aurons fait un grand pas !
En Côte d’Ivoire, dans les années 1970, l’époque est insouciante. L’autrice raconte à travers l’adolescence d’Aya l’école obligatoire, le travail facile, les hôpitaux équipés, l’absence de définition ethnique, dans une région d’Afrique sans guerre et sans famine.
Max Lobe est retourné chez lui. Il est allé dans la forêt camerounaise rencontrer Ma Maliga pour qu’elle lui raconte ce qu’elle sait du mouvement de l’indépendance au Cameroun et de son leader Ruben Um Nyobè. Le roman est le récit de Ma Maliga, femme vive et espiègle malgré son âge bien avancé, volubile, généreuse, digressive, dotée d’un bon sens stupéfiant. En racontant, elle n’oublie pas de boire, et de faire boire son interlocuteur. C’est donc avec un mélange de légère ivresse, en tout cas une grande allégresse, et de profonde gravité, que le lecteur découvre l’histoire de l’indépendance du Cameroun et sa guerre cachée.
Alexandre, un ancien soldat français devenu journaliste engagé dans les luttes anticoloniales, revient au Vietnam vingt ans après la défaite française de Diên Biên Phù. Après avoir épaulé Alassane Diop, son ancien camarade de régiment sénégalais, pour l’indépendance de son pays, il part sur les traces de Maï Lan, la femme qu’il a aimée et à laquelle il n’a jamais cessé d’écrire des poèmes.
Un jeune homme est abandonné par son premier amour. Mireille vient de le quitter, de briser le lien ultime de l’enfance. Ivre mort, il perd tout contrôle de lui-même, sombre dans la violence et se retrouve en garde à vue. Le jeune homme est noir, beaucoup trop noir pour échapper à son destin.
Isaro est une enfant adoptée qui mène à Paris une vie d’étudiante insouciante. Elle reçoit régulièrement par la radio des nouvelles de son pays d’origine qui lui rappellent le drame de sa vie : le massacre de sa famille par une tribu ennemie. Elle part en Afrique à la recherche de ses racines. Quant à Niko, simple d’esprit, il vit isolé dans une grotte habitée par des singes.
Cette fiction restitue le parcours d’Addi Bâ, un jeune Guinéen né en 1916, accueilli en France à l’âge de 13 ans. Soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint la Résistance et crée le premier maquis des Vosges en 1942.
Burundi, 1992. Gabriel a 10 ans. Il vit dans un confortable quartier d’expatriés avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur Ana. Alors que le jeune garçon voit ses parents se séparer, la guerre civile se profile et, par vagues successives, la violence envahit le quartier.
Confrontées à une terrible injustice familiale, des femmes congolaises se mobilisent pour faire valoir leurs droits. Commencent alors une lutte politique et sociale, une quête du bonheur et un regain d’espoir au sein de leur famille et de leur couple.
À la Bpi, niveau 3, 846.3 DONG 4 PH
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