Interview

ManiFeste 2021, à la croisée des arts
Trois questions à Frank Madlener

Musique

Concert Vertigo du 3 juin 2021 à l'Ircam © Hervé Véronèse, Centre Pompidou.

La réouverture des lieux culturels s’accompagne d’une nouvelle édition du festival ManiFeste de l’Ircam, qui propose une variété d’expériences et de rencontres. Créations, formats innovants et dialogues entre les arts ou entre les générations de compositeurs et de musiciens sont au programme. La rencontre entre les œuvres et le public commence aux pieds de l’Ircam, dans l’espace public, avec une installation lumineuse haute de plusieurs mètres sur la façade du bâtiment, qui se veut un hommage à Brancusi.

Frank Madlener, directeur de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) répond à nos questions sur ces approches multidisplinaires du son et leur réception par le public.

ManiFeste a été maintenu durant la pandémie et le public a répondu présent. Peut-on avancer que le contexte sanitaire favorise une quête d’inattendu ? L’installation éphémère Infinite Screen de AROTIN & SERGHEI sur la façade de l’Ircam, n’est-elle pas une façon de la susciter ? D’aller à la rencontre d’un nouveau public ?

ManiFeste expose la vitalité de la création contemporaine, en particulier celle de la jeune génération : le goût et le plaisir de l’inconnu. Sortir de la crise Covid, c’est pouvoir sortir du vocabulaire de la survie pour embrasser la vie, donc l’art. Nous voulons pouvoir habiter temporairement le monde qu’une œuvre constitue plutôt que d’être assignés au seul quotidien répétitif.

Le domaine sonore est aujourd’hui un « attracteur » majeur pour toutes les autres disciplines : les arts de la scène, les arts visuels, le cinéma, les fictions littéraires. Écouter pour voir, d’une certaine façon. Il nous faut aussi sortir la création de ses lieux consacrés, pour mieux participer à l’imaginaire collectif. Précisément pour sa création Vertigo, inspirée de Hitchcock, le compositeur Brice Pauset a travaillé en complicité avec deux plasticiens, Serghei et Arotin. Ceux-ci ont notamment transformé la tour de l’Ircam en surface d’écrans, colonnes de lumière, faisant signe vers les colonnes sans fin de Brancusi.

Concert : orchestre et projection d'images
Concert Vertigo du 3 juin 2021 à l’Ircam © Hervé Véronèse, Centre Pompidou.

Comme à l’accoutumée, ManiFeste fait la part belle aux rencontres entre pratiques artistiques. Avec les Musiques-Fictions (Daniele Ghisi / Maylis de Kerangal, Marie NDiaye / Gérard Pesson), quelle nouvelle expérience du récit permet la musique ?

La littérature est un art de la fiction, c’est aussi une pratique savante de l’oralité. En renouvelant le genre de la fiction radiophonique avec des autrices contemporaines, les Musiques-Fictions invitent à une écoute collective et immersive sous un dôme de haut-parleurs. Au texte, toute l’intelligibilité ; au sonore, toute la dramaturgie ; à la musique et à l’électronique, un monde (une chambre) à soi.

Naissance d’un Pont de Maylis de Kerangal, première aventure initiée, c’est aussi la naissance d’une collection.

En 2020, les salles étaient pleines pour les concerts d’Éliane Radigue ou Rebecca Saunders, et cette année, les places sont parties très vite pour Répons de Pierre Boulez. Sous-estime-t-on la « popularité » des classiques de la musique contemporaine ? Cette popularité profite-t-elle aux jeunes compositeurs ?

Il y a quelques œuvres devenues iconiques dans la musique contemporaine, ainsi Répons de Pierre Boulez qui met en scène l’apparition fulgurante de l’électronique dans une salle de concert. Je songe aussi à certaines œuvres de Ligeti rendues populaires par le cinéma de Stanley Kubrick (2001 Odyssée de l’Espace). Rendre populaire, c’est sortir de l’état d’exception, renouveler l’expérience de l’écoute, envahir davantage les ondes radiophoniques et les programmes des saisons musicales. Bref, dépasser la séparation inconsistante entre création et répertoire, entre création et patrimoine (immatériel).


Publié le 11/06/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

ManiFeste 2021 (31 mai - 31 juin) │ Ircam

Le site du festival propose le programme en ligne de tous les événements, des extraits, des vidéos, le magazine L’Étincelle #21 et la brochure-programme à télécharger.

Concert Vertigo de Brice Pauset │ YouTube - Ircam

Vertigo, de Brice Pauset, a été joué en public le 3 juin 2021 au tout début du festival. Le concert est à retrouver sur la chaîne YouTube de l’Ircam.

https://www.youtube.com/watch?v=HI7mWzQeiEE

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