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Médias, science et politique : radiographie d’une crise de confiance

Défiance dans les médias, les partis politiques, les institutions… Comment objectiver et mesurer ces tendances sociétales et tenter d’y apporter des réponses ? Tel est l’enjeu d’outils tels que le Baromètre de l’esprit critique, créé par Universcience et dont les résultats de la quatrième édition viennent d’être communiqués en mars 2025.

Infographie : les Français et les moyens d'information. Des sources d'information en rupture pour les 15-24 ans. L'identité de la personne qui relaie est importante pour les 15-24 ans. L'IA devient une source d'information pour suivre l'actualité : 21 % des 15-24 ans
© Baromètre de l’esprit critique 2025 / EPPDCSI / R.Moretto

Climat de défiance

En février 2025, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publie les résultats de son Baromètre de la confiance politique. Un chiffre inquiète : seulement 26 % des personnes interrogées en France déclarent avoir confiance dans la politique, contre 47 % en Allemagne et 39 % en Italie. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale affichent également des indices de confiance particulièrement faibles (27 % et 24 %). Au-delà des institutions, c’est la démocratie elle-même qui est remise en question : un quart des Français·es pensent que la démocratie de leur pays fonctionne correctement contre 51 % des Allemand·es. Une défiance qui pousse une partie de la population française à se détourner de la politique.

Le baromètre La Croix / Verian / La Poste, qui mesure la confiance dans les médias en France, fait, quant à lui, état d’une « fatigue informationnelle » et d’une défiance généralisée envers les moyens d’information. En 2025, 32 % des personnes interrogées pensent que l’on peut avoir confiance dans ce que disent les médias sur les sujets d’actualité, et 82 % d’entre elles font état d’une lassitude, voire d’un rejet par rapport à l’actualité.

Or la possibilité de s’informer auprès de médias fiables et crédibles constitue un des fondements de l’esprit critique (voir pages 4-5). Le rapport des Français et des Françaises à l’information scientifique est-il aussi fragilisé ? Qu’en est-il de leur capacité à discerner le vrai du faux ?

L’esprit critique à la loupe

C’est ce que tente de mesurer, depuis 2022, le Baromètre de l’esprit critique, lancé par Universcience avec l’institut de sondage OpinionWay. Cette enquête, encadrée par un conseil scientifique, repose sur trois axes : le rapport des Français·es à la science, à l’information, à l’esprit critique, auxquels s’ajoute chaque année une grande thématique. Après la vaccination en 2022, le réchauffement climatique en 2023, l’intelligence artificielle en 2024, le focus de cette année porte sur l’alimentation. Le baromètre le plus récent révèle ainsi que, si le bien manger est au cœur des préoccupations (75 % des personnes interrogées font attention à l’équilibre de leurs repas), 8 Français·es sur 10 partagent au moins une information erronée sur l’alimentation.

Concernant l’esprit critique, ce baromètre est révélateur de la manière dont les Français·es le définissent et le perçoivent. Une question complexe à laquelle ils et elles apportent une réponse à plusieurs dimensions : pour 43 % des sondé·es, il s’agit de « faire preuve de raisonnement logique et rationnel » ; pour 40 %, c’est « être capable d’échanger avec des personnes ne pensant pas comme eux » ; et pour 39 % c’est avant tout « s’informer davantage avant de prendre position ».

Curiosité intacte, disparités grandissantes

En dépit d’un climat de défiance généralisée, le Baromètre de l’esprit critique délivre une certaine dose d’optimisme : les Français·es font preuve d’une réelle curiosité. Ils et elles s’intéressent à un grand nombre de sujets, comme les enjeux de société (79 %) ou l’actualité internationale (73 %). Et contrairement aux idées reçues, les réseaux sociaux ne représentent pas leur première source d’information, et la radio reste le média qui inspire le plus confiance devant Internet et la télévision. Une nouveauté est mise au jour concernant les 15-24 ans : en 2025, 21 % d’entre elles et eux se servent de l’intelligence artificielle pour s’informer sur l’actualité.

Malgré une baisse de 7 points par rapport à 2024, l’intérêt pour les sujets scientifiques reste prégnant. 82 % des personnes interrogées considèrent que les sciences permettent de développer des nouvelles technologies utiles à tous et toutes, 80 % pensent qu’elles permettent de mieux comprendre le monde et 79 % qu’elles permettent d’améliorer nos conditions de vie. Là encore, l’intelligence artificielle s’affirme comme outil pour s’informer sur les sujets scientifiques, alors que le recours aux sources documentaires diminue. Quant aux disparités de genres ou de générations, le baromètre vient malheureusement confirmer certaines idées reçues : l’intérêt pour les sciences reste largement plus prononcé chez les hommes (71 %) que chez les femmes (55 %).

Le fossé entre les générations se traduit en partie dans la confiance dans les nouvelles technologies (la moitié des 15-24 ans s’informe sur les réseaux sociaux, contre 28 % pour le reste de la population) mais aussi dans la volonté, pour ces plus jeunes, de discuter de préférence avec des gens qui pensent comme elles et eux (58 %).

Traduire ces enseignements en actes

Le baromètre propose une photographie de l’état de l’esprit critique dans la société, mais ambitionne aussi de nourrir des actions concrètes et des politiques publiques. Ainsi, pour lutter contre la grande défiance vis-à-vis de la science relevée dans les catégories de population les moins diplômées, rurales et féminines, la bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie a conçu un kit de médiation sur l’éducation aux médias et à l’information scientifique. Adressé aux bibliothèques départementales, il vise à toucher des publics davantage éloignés de ces enjeux, en particulier la population rurale.

Infographie : les 15-24 ans davantage intéressés par les sciences et leur accordent une plus grande confiance
© Baromètre de l’esprit critique 2025 / EPPDCSI / R.Moretto

Le Printemps de l’esprit critique est également une manière de traduire ces enseignements et cet outil en actes. Cet événement national, destiné à promouvoir l’esprit critique sur tout le territoire, a touché plus de 30 000 personnes en 2024. Cette année, il se tient du 1ᵉʳ mars au 30 avril dans 120 lieux partenaires : centres de sciences, associations, universités, musées, bibliothèques…

Il s’agit aussi de porter ces sujets au niveau politique. Ainsi, en mars 2024, Bruno Maquart, président d’Universcience, lançait un appel au sursaut à l’Assemblée nationale : « il ne s’agit plus simplement de permettre à chacun de compléter ses connaissances, mais plutôt d’aider à trier et à qualifier l’information pour que chacun puisse avoir un avis propre et fondé […] la base d’une vie démocratique saine. » 

Une démocratie qui, aujourd’hui, en a cruellement besoin.

Publié le 24/03/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Baromètre de l'esprit critique | Universcience

Chaque année, depuis 2022, Universcience réalise une étude portant sur le degré de développement et de représentation de l’esprit critique dans l’opinion publique, et fait un focus particulier sur un sujet d’actualité.

Au programme | Le printemps de l'esprit critique

Le Printemps de l’esprit critique est un événement national qui promeut l’esprit critique auprès de tous les publics sur tous les territoires. Sa 4e édition se tient du 1er mars au 30 avril 2025.

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