Article

Monnaies locales complémentaires : un pari gagnant ?

Une monnaie complémentaire est une monnaie alternative à la monnaie officielle d’un pays. Elle n’émane pas d’un gouvernement national mais elle est indexée sur la monnaie principale en vigueur dans le pays. Elle est utilisée sur un territoire restreint pour payer certains produits et services. Ainsi, elle dynamise l’économie locale en soutenant le commerce de proximité et en privilégiant des circuits courts. Il existe plus d’une cinquantaine de monnaies locales en France et une trentaine en projet. 
Pour accompagner la rencontre Pêche, Eusko, Abeille : le boom des monnaies locales, organisée à la Bpi en septembre 2019, Balises vous présente les principaux enjeux des monnaies locales.

affiche pour l'Eusko, monnaie complémentaire
Joxemai [CC BY-SA 4.0] via creative commons

Les monnaies locales complémentaires (MLC) ont fleuri en France à partir de 2010 : l’eusko en Pays basque, la pêche dans l’Est parisien et Paris,  le Sol-Violette à Toulouse… La plupart de ces monnaies sont portées par des collectifs dont la priorité est de redonner la maîtrise de la monnaie aux citoyens. Par leurs échanges en monnaie locale, les utilisateurs agissent à l’échelon local. Ils contribuent à dynamiser l’économie d’un territoire en tissant des liens sociaux et en encourageant des démarches écologiques ou sociales. La MLC est adossée à l’euro et peut être convertie. Un fonds de réserve en euros, correspondant à la monnaie en circulation, est constitué pour garantir la monnaie locale. Ce fonds et ses éventuels bénéfices sont investis dans l’économie réelle et dans des projets éthiques, contrairement aux monnaies nationales massivement injectées dans les marchés financiers ou captées par les multinationales.
Par exemple, l’eusko est la monnaie locale du Pays basque et la MLC la plus importante en Europe. 3 200 particuliers et 820 professionnels l’utilisent en janvier 2019. 1 000 000 d’euskos sont en circulation et son équivalent en euros est conservé dans un fonds de garantie placé dans des banques non spéculatives. Une taxe sur le change a permis de verser des dons à 48 associations en 2018.

Un dispositif complexe

Certains critères peuvent mettre en péril la viabilité ou réduire l’impact d’une monnaie locale ont été identifiés. 

La taille du territoire et la qualité de l’offre sont des facteurs déterminants pour l’attractivité d’une monnaie. Pour que la monnaie circule rapidement et crée de la richesse, il faut miser sur un réseau de commerces conséquent. Les commerçants doivent s’engager à respecter un cahier des charges. En retour, ils attendent plus de visibilité et une croissance de leur clientèle. Pour pérenniser leur action, les réseaux de monnaies complémentaires ont tout intérêt à recruter des adhérents en dehors du cercle des convaincus et faire vivre la communauté en pratiquant des prix attractifs ou en proposant de nouveaux services.

Implanter une monnaie locale et la faire fonctionner réclame des ressources humaines et matérielles importantes. Il faut démarcher les commerçants et les entreprises, faire connaître la MCL, mettre en place des comptoirs de change, proposer des modes de paiements numériques… L’association peut rencontrer des difficultés à fonctionner sur la base du bénévolat et doit souvent embaucher du personnel. Les coûts de fonctionnement ne sont pas à sous-estimer.

Les modèles économiques des associations ne sont pas tous identiques. Les utilisateurs de la monnaie, particuliers et professionnels, paient une cotisation annuelle pour entrer dans le réseau mais cette recette peut s’avérer insuffisante pour couvrir les frais de fonctionnement ou le financement de programmes. Certaines associations imposent donc des taxes supplémentaires : la taxe à la reconversion, acquittée par ceux qui sont autorisés à convertir (bien souvent les seuls professionnels) et les frais de fonte de monnaie (la monnaie perd de la valeur avec le temps si elle n’est pas utilisée).

La position des pouvoirs publics, gage d’efficacité ?

L’impact réel de ces monnaies est difficile à mesurer par manque d’indicateurs concrets, par manque de recul et en raison de la diversité des expérimentations. La vitesse de circulation de la monnaie, soit le nombre de fois qu’une unité monétaire change de mains en un temps donné, est le seul indicateur d’efficacité disponible. Pour le SOL-Violette, la monnaie locale et citoyenne de Toulouse, l’indice de circulation annuelle en 2015 était de 6,8 alors que celui de l’euro est estimé à un peu plus de 2. Ce score confirme le bon fonctionnement du SOL-Violette et suppose une bonne diffusion de ses valeurs.

Malgré l’absence d’indicateurs, les rapports s’accordent sur le fait que l’apport financier de ces dispositifs est faible mais non négligeable. L’intérêt des MLC réside principalement dans la mobilisation des citoyens sur des sujets sociaux et environnementaux et l’action de proximité qui renforce la résilience des territoires. Au regard des opportunités qu’offrent les MLC pour accompagner les politiques territoriales, notamment en matière d’économie, d’inclusion, d’environnement et d’éducation populaire, les risques de contrefaçon, de blanchiment, de la fraude fiscale ou d’inflation sont acceptables. Le fait que ces monnaies soient adossées sur l’euro rassure également. Les pouvoirs publics ont donc donné un statut légal aux monnaies locales avec la publication de l’article 16  de la loi relative à l’économie solidaire et sociale du 31 juillet 2014.

La plupart des rapports préconisent des rapprochements entre acteurs publics et associations à l’origine de MLC sur des programmes communs et invitent les collectivités et acteurs politiques à jouer le jeu pour soutenir le développement des monnaies locales. Cette collaboration pourrait commencer par l’autorisation des paiements en MLC par les collectivités territoriales ou un appui méthodologique des services publics aux associations sur leurs projets. L’ADEME se propose ainsi d’apporter son expertise et même un soutien financier à des projets. 

Certains élus rêvent de projets à plus grande échelle. Ainsi, en juin 2018, le Rollon est lancé en Normandie, fruit de la collaboration entre la Région Normandie et l’association de la Monnaie normande citoyenne, composée de citoyens, d’entreprises, d’associations, de collectivités, de filières et de l’association de la monnaie locale rouennaise, l’Agnel. Toutefois, un projet à grande échelle, sur une initiative politique, peut-il échapper aux dérives spéculatives d’une monnaie nationale ?

Publié le 04/09/2019 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Créer une monnaie complémentaire, livre

Créer une monnaie complémentaire : manuel à l'usage des citoyen-ne-s

Bernard Lietaer
Le Bord de l'eau, 2018

Des pistes, fondées sur diverses expériences, pour créer des monnaies citoyennes, éviter les difficultés et assurer la pérennité de ces projets.

À la Bpi, niveau 3, 333.4 LIE

D'autre monnaies pour une nouvelle prospérité

D'autres monnaies pour une nouvelle prospérité

Christophe Fourel, Jean-Philippe Magnen, Nicolas Meunier
le Bord de l'eau, 2015

Version remaniée du rapport remis au gouvernement en avril 2015 sur la situation de la France en matière de monnaies locales complémentaires. Des avis d’experts sur les monnaies complémentaires en France et dans le monde.

Le rapport intital est consultable en ligne sur le site du ministère de l’Économie et des Finances.

À la Bpi, niveau 3, 333.4 FOU

Repenser la monnaie : transformer les territoires, faire société

Marie Fare
C. L. Mayer / Institut Veblen pour les réformes économiques, 2016

Marie Fare considère la monnaie comme un bien commun. Elle explore donc les possibilités offertes par les MLC, qui permettent aux territoires de se doter de nouvelles richesses et aux citoyens de se réapproprier un droit inclus dans le contrat social.

À la Bpi, niveau 3, 333.4 FOU

Nouvelle fenêtre

Le rapport de l'ADEME (mars 2016)

Le développement des monnaies locales complémentaires en France ne cesse de s’accélérer. Caractérisées par un large spectre de dispositifs, elles ont des objectifs divers : éducation populaire, promotion de l’économie locale et des circuits courts, etc. Certaines de ces initiatives intègrent un volet destiné à œuvrer pour la préservation de l’environnement en se mettant au service de la transition écologique et énergétique. Cette étude vise à produire de la connaissance sur les monnaies locales et complémentaires dites environnementales, à définir l’efficacité économique de ces monnaies au regard de leur utilité sociétale et à évaluer leur impact environnemental.

Nouvelle fenêtre

Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Intitulé « Nouvelles monnaies : leurs enjeux macro-économiques, financiers et sociétaux », ce rapport étudie le développement de moyens de paiement innovants.

Nouvelle fenêtre

Le réseau Monnaies locales complémentaires citoyennes

Ce site propose une carte interactive, les compte-rendus de rencontres, des échanges d’informations, de nombreux retours d’expériences, des ressources sur les monnaies locales…

Nouvelle fenêtre

Les dispositifs de monnaies locales en quête de ressources : entre expérimentation et modèles socio-économiques

Peu de travaux se sont penchés sur la manière dont les dispositifs de monnaies locales se financent. Ce texte vise précisément à identifier les ressources et les dépenses engagées par ces dispositifs, pour mieux définir la nature des projets.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet