Adelon Nisi est pianiste, improvisateur et compositeur. Passionné par la musique à l’image, il accompagne régulièrement des films muets à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et prend part depuis 2014 à des festivals cinématographiques comme Mon premier festival (cinéma le Louxor, Forum des Images), Toute la mémoire du monde (Cinémathèque française), et Paris Polar, Musidora (CNC).
Le 16 décembre 2018, ce sont les films muets de la séance du Ciné-concert Cinéma des premiers temps qu’il accompagne à la Cinémathèque du documentaire, à la Bpi.
En quoi consiste l’accompagnement musical d’un film muet ?
L’accompagnement sert à renforcer le film, à mettre en évidence des éléments sous-jacents, à appuyer la dramaturgie, à relancer l’attention. Ce n’est pas la même chose que de composer la musique d’un film parlant, dans lequel il y a déjà des dialogues, du sound design, etc.
Comment vous préparez-vous pour accompagner un film muet ?
Je regarde le film une première fois puis je me renseigne sur le réalisateur, les acteurs, le contexte géographique et historique de sa conception. C’est la même approche pour interpréter la musique classique, il ne suffit pas d’ouvrir la partition et de lire piano, forte, presto, il faut aller au-delà : analyser la musique et connaître le compositeur.
Je regarde le film une deuxième fois pour le découper en sections, divisées en fonction de la narration. Un bon accompagnement de film muet commence par cette prise en compte des changements de séquences et des différentes parties à l’intérieur même d’une scène. Finalement, je regarde le film une dernière fois pour tester mes idées au piano.
En tant qu’accompagnateur, je suis libre mais je dois également prendre appui sur l’univers du cinéaste et sur ce que les images me font ressentir. Je peux aussi m’inspirer de musique écrite. Pour les ciné-concerts, je m’inspire la plupart du temps de compositeurs du 20e siècle.
Quelle part d’écriture l’improvisation comporte-t-elle ?
Pour un long-métrage, j’invente un, deux ou trois thèmes principaux ; cela fait au total quarante secondes de musique environ. Je note les thèmes car, un peu à la manière des leitmotivs de Wagner, je les fais revenir pour des moments clés dans l’intrigue du film.
Les leitmotivs peuvent être harmonisés différemment pour illustrer un changement dramatique concernant un personnage ou une scène, présentés avec diverses variétés du jeu pianistique, etc. C’est à moi de les modeler en jouant avec tous les paramètres musicaux pour les adapter à la scène : un même thème peut être aérien comme il peut être lyrique ou dramatique.
Dans l’accompagnement de film muet, le rythme est également quelque chose d’important pour mettre en musique le mouvement naturel des éléments présents à l’écran.
Il est aussi possible de produire différents effets avec un piano : manipuler les cordes, jouer avec les harmoniques naturels de chaque accord, s’équiper de petites baguettes ou autres pièces métalliques pour créer de la percussion. On peut faire plein de choses avec un piano ! Toutefois, une grande part est laissée à l’improvisation. 10 % de mon travail est pensé et écrit à l’avance, et le reste est improvisé lors de la séance.
Comment abordez-vous des films différents ?
Que ce soit un court-métrage ou un long-métrage, un film d’horreur ou burlesque, ma préparation demeure la même. Même pour les films qui durent moins d’une minute, j’applique le même processus, et je joue parfois plusieurs thèmes différents. Cependant, de manière générale, l’accompagnement de mélodrames requiert une attention particulière. La narration y est souvent ininterrompue et peut manquer de contrastes. C’est alors à la musique de redynamiser certaines scènes du film. Au contraire, d’autres films se prêtent particulièrement bien à l’accompagnement musical. Dans La Grève d’Eisenstein, par exemple, le va-et-vient des ouvriers, les machines, etc., sont faciles à illustrer musicalement.
À quel point restez-vous fidèle à l’image ?
Je peux accompagner une même scène de plusieurs façons. Je peux être très illustratif : faire un glissando sur le clavier lorsque quelqu’un chute à l’écran, ou un accord dans les graves quand il y a manifestement un bruit dans la scène. Outre le fait que ce soit difficile d’être parfaitement synchronisé avec les images en direct, ce type d’accompagnement n’apporte en vérité pas beaucoup plus que ce qu’on voit déjà à l’écran.
Parmi les autres façons d’accompagner un film muet, je peux également choisir de mettre en avant la narration, la psychologie des personnages, ou l’arrière-plan : dans une scène d’action où il neige par exemple, il est possible de mettre en avant la neige ou plus largement le paysage. La musique est là pour ajouter quelque chose qui n’est pas forcément perceptible directement avec les images. D’une certaine manière, nous proposons un contrepoint à l’image. Il ne faut pas que la musique domine le film, mais qu’elle mette en valeur les images.
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