« Varié plus qu’irrégulier, Isn’t Anything met au jour les flottements qui sous-tendent à cette époque encore la musique de Shields (que certains soupçonnent déjà de « génie »), tout en donnant à entendre une voix singulière prête à faire école – le premier album de My Bloody Valentine n’est-il pas la source à laquelle seront venus boire Ride, Teenage Fanclub, The Boo Radleys… ?
La presse musicale britannique (Sounds, puis NME) se chargera d’ailleurs de faire de ces groupes les éléments d’un courant, voire d’un style, qu’elle baptisera shoegazing au prétexte que leurs guitaristes semblent perpétuellement fixer le sol. Et voici Kevin Shields, avatar de l’ « ambitieux-triste » de Baudelaire, à la tête d’une troupe de traîne-savates emportés par de grands et lents mouvements de guitares sous lesquels il arrive à des voix de percer : Slowdive, Lush, Catherine Wheel, Swervedriver, Pale Saints, Chapterhouse, Moose…
Mais le qualificatif (shoegazer) décrit une attitude sur scène davantage qu’une façon arrêtée d’envisager la musique : « les joueurs de guitare indé sont souvent immobiles sur scène, les yeux fixés sur leur manche de guitare ou sur le sol », expliquera le NME. Aux précisions apportées ensuite par Debbie Googe (« on avait le regard braqué sur nos pédales d’effets, pas sur nos chaussures ! ») ou le bassiste de Ride, Steve Queralt (« ça veut dire quoi shoegazer ? Pour ma part, je ne regarde pas mes chaussures quand je joue de la basse. C’est juste une des inventions stupides de la presse anglaise. »), ajoutons celle de Kevin Shields :
La plupart du temps, ce que faisaient les shoegazers qui sont arrivés après nous était bien différent en termes d’humeur, d’intention et d’attitude, tout en ayant en commun ces éléments plutôt superficiels que sont les guitares bruyantes, les voix douces et les rythmiques a minima.
Ce que ces groupes ont aussi en commun, ce sont des influences : celle de la musique des années 1960 (pour Shields, le « mouvement » dont on lui attribue la paternité ne serait qu’un mélange de la pop des Sixties avec « un peu de bruit ») comme celle de The Smiths, Hüsker Dü, The Cure, et puis Cocteau Twins, The Chameleons, The Jesus And Mary Chain ou The Fall »
Guillaume Belhomme, My Bloody Valentine Loveless, p. 17
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