Histoire d’un slogan #2 : « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! »
« Première, deuxième, troisième génération / Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » : lancé en 1983 lors de la première Marche pour l’égalité et contre le racisme, ce cri a été de toutes les manifestations antiracistes en France pendant plus de vingt ans, avant d’être éclipsé par des formules dénonçant de manière plus située les discriminations subies par les personnes racisées. Balises vous raconte l’histoire de ce célèbre slogan pour accompagner le cycle « Écrire les luttes », organisé par la Bpi à l’automne 2023.
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Le 15 octobre 1983, 17 personnes quittent à pied le quartier de la Cayolle, à Marseille. Iels entendent traverser la France pour dénoncer notamment les violences racistes, en particulier les brutalités policières, qui ont mené à la mort d’une vingtaine de personnes dans les mois qui précèdent. Le 3 décembre, lorsque la Marche pour l’égalité et contre le racisme arrive à Paris, 100 000 personnes la rejoignent. C’est durant cette traversée du territoire français que des manifestant·es s’écrient pour la première fois : « Première, deuxième, troisième génération / Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! »
Un contexte politique hostile
Ce slogan suggère que toute la population française est composée de personnes issues, à divers degrés, d’une immigration internationale. Or revendiquer le droit, pour l’ensemble des personnes immigrées, d’être intégrées de manière pérenne à la nation constitue un tournant politique. Avant la Marche pour l’égalité et contre le racisme, comme l’explique Abdellali Hajjat, « l’immigration maghrébine était généralement considérée comme un phénomène provisoire et représentée dans l’opinion publique par la figure du travailleur immigré, célibataire et sans enfants ». De fait, à partir du début des années 1960, la croissance économique favorise l’accueil de travailleurs immigrés, venant principalement d’Italie, d’Espagne, du Portugal, du Maroc et d’Algérie. Cependant, dans un même mouvement, la politique de regroupement familial mise en place après la Seconde Guerre mondiale devient, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, moins favorable à la population de l’ex-colonie française.
Une opposition se dessine, dans la plupart des partis politiques, entre une immigration dite « assimilable », en provenance d’Europe, et une immigration d’origine maghrébine destinée à quitter le territoire. Cette vision politique s’illustre en 1974 avec la fin de l’immigration de travail, et l’exclusion des familles algériennes des nouvelles lois sur le regroupement familial, entrées en vigueur en 1976. Elle se durcit ensuite, comme le synthétise Hédi Chenchabi : « En 1977, […] Lionel Stoléru, secrétaire d’État aux Travailleurs immigrés, instaure une “aide au retour”, attribuant une prime de 10 000 francs aux immigrés rentrant définitivement et volontairement dans leur pays d’origine (le “million Stoléru”). En 1980, la “loi Bonnet” — du nom du ministre de l’Intérieur — accroît les possibilités d’expulsion ou de refoulement des étrangers du territoire français. »
La Marche de 1983, si elle marque « l’apparition des enfants d’immigrés post-coloniaux dans l’espace public français » ainsi que celles des femmes immigrées, se déploie donc dans un contexte politique hostile à l’égard de la population immigrée d’origine maghrébine. S’y ajoutent une succession de crimes racistes, ainsi qu’une montée des tensions entre policiers et habitant·es des quartiers populaires à partir du début des années 1980. Enfin, en 1983, l’élection à Dreux d’un maire Front national suscite la colère d’une partie de la population, à une époque où le parti se revendique comme héritier du groupe terroriste d’extrême-droite Organisation de l’armée secrète (O.A.S.), né en réaction à la décolonisation de l’Algérie.
La Marche et ses effets
En 1983, le climat est particulièrement tendu entre les forces de l’ordre et les habitant·es du quartier des Minguettes, à Vénissieux, près de Lyon. Si la délinquance est réelle, les policiers y font régulièrement un usage ciblé et disproportionné de la force. Le 21 mars, après de nouvelles violences, la population décide d’organiser une marche pacifique jusqu’au commissariat. Dans les jours et les semaines qui suivent ont lieu un sit-in, une grève de la faim et la création de l’association SOS Avenir Minguettes, à l’initiative de plusieurs jeunes soutenus par Christian Delorme et Jean Costil, des religieux militant pour la non-violence dans le quartier. Fin juin, à la suite d’une nouvelle intervention policière durant laquelle il est blessé, le président de l’association, Toumi Djaïdja, lance l’idée d’une marche : il entend s’inspirer de l’action non-violente de Gandhi et de Martin Luther King pour dénoncer la stigmatisation de la population issue de l’immigration.
La Marche pour l’égalité et contre le racisme s’élance le 15 octobre 1983 du quartier de la Cayolle, à Marseille, où un enfant gitan a été tué en mars par des terroristes d’extrême-droite. C’est d’ailleurs l’Association des jeunes de la Cayolle qui lance, la première : « Première, deuxième, troisième génération / Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » Outre la fin des discriminations et des violences, les manifestant·es demandent la création d’une carte de séjour de dix ans et le droit de vote pour les étranger·ères. Cette revendication d’une égalité devant la loi résonne dans le slogan : puisque « nous sommes tous des enfants d’immigrés » à un moment ou à un autre de notre ascendance, synthétise la formule, pourquoi ne pas relever tous·tes d’un même droit du sol ?
Au fur et à mesure de la marche, le mouvement est relayé dans les médias, soutenu par les partis politiques de gauche, et prend de l’ampleur. Le 3 décembre 1983 à Paris, plus de 100 000 manifestant·es sont rassemblé·es, et une délégation rencontre le président de la République, François Mitterrand. Ce dernier permettra, le 17 juillet 1984, la promulgation de la loi instituant une carte de résident·e de dix ans renouvelable. Néanmoins, la postérité de la Marche reste limitée. Elle fait certes exister dans l’espace public des populations jusqu’ici invisibilisées, et met en avant les violences policières et les discriminations ; mais elle n’empêche pas la poursuite des violences, la ghettoïsation, les discriminations à l’embauche, ainsi qu’une certaine mise à l’écart des populations maghrébines dans les luttes antiracistes, notamment au sein de l’association SOS Racisme, créée en 1984.
La postérité du slogan
Le slogan « Première, deuxième, troisième génération… », quant à lui, sera scandé en bien d’autres occasions. C’est notamment le cas en 1986 : en marge des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet de réforme des universités, Malik Oussekine, étudiant de vingt-deux ans à l’École supérieure des professions immobilières (ESPI), est battu à mort par deux policiers. Le même soir, Abdel Benyahia, dix-neuf ans, est tué par un policier ivre en banlieue parisienne. Plusieurs marches sont organisées à travers la France pour leur rendre hommage. Le slogan est également repris, par exemple, dans les manifestations pour la régularisation des personnes sans papier comme celles de 1996 contre les « lois Pasqua », ou lors des manifestations en réaction à la qualification de Jean-Marie Le Pen, président du Front national, au deuxième tour des élections présidentielles, le 21 avril 2002.
Dès les années 1990, des militant·es s’approprient le slogan et le font évoluer. Le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), créé en 1995, lance ainsi : « Première, deuxième, troisième génération / On s’en fout, on est chez nous ! » Par le biais de ce détournement, ses membres font résonner une de leurs revendications principales : l’autonomie des luttes des personnes issues de l’immigration. Cette réappropriation des luttes par les personnes racisées elles-mêmes est une évolution importante dans les mobilisations à partir des années 2000. Les formules universalistes telles que « Nous sommes tous des enfants d’immigrés », voire légèrement mâtinées de colonialisme comme « Touche pas à mon pote », font dès lors place à des énoncés plus situés du côté de la personne racisée. « Black lives matter » (« Les vies des Noir·es comptent »), formule née en 2012 après le meurtre de l’adolescent américain racisé Trayvon Martin, a ainsi été reprise jusqu’en France, tout comme les derniers mots de George Floyd, un autre Américain racisé, avant de succomber sous la violence policière en 2020 : « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer »). Ces slogans s’accompagnent de formules plus rageuses, comme « Police partout / Justice nulle part », ou « Pas de justice, pas de paix ». Ces mots résonnent avec des épisodes de violence condamnables, comme les dégradations urbaines qui ont suivi l’homicide à bout portant du jeune Nahel M. par des policiers en 2023 ; mais ils suggèrent également qu’une société ne prenant pas soin équitablement de l’ensemble de ses membres ne peut pas vivre dans la quiétude.
Cela se passe en France. C’est la plus belle aventure de la jeunesse des quartiers populaires de l’histoire récente : la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Partis de la cité la plus violente de l’époque, les Minguettes à Vénissieux, une poignée de jeunes traversent la France pendant plusieurs semaines pour délivrer, contre toutes les violences, les racismes et les injustices, un message d’égalité, de paix, de non-violence et d’amour pour leur pays. À leur arrivée à Paris le 3 décembre 1983, ils seront accueillis par plus de 100 000 personnes dans une ambiance à la fois grave et joyeuse.
Mais cette histoire ne serait rien sans celle, hors du commun, de Toumi Djaïdja, initiateur et symbole vivant de la Marche ; ce livre raconte son histoire dans cette histoire – celle d’un itinéraire singulier qui rencontre un destin collectif pour écrire une nouvelle page d’une utopie plus vivante que jamais. Une épopée moderne à découvrir par les jeunes générations ! [Résumé de l’éditeur]
À la Bpi, niveau 2, 301.7 DJA
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