Quel rôle le tissu associatif joue-t-il dans l’accueil des mineurs isolés étrangers ? Alina Lasry, soutien de Paris d’Exil et co-coordinatrice de son équipe Mineurs, revient pour Balises sur les activités de cette association, à l’occasion d’une rencontre sur les parcours migratoires organisée à la Bpi en février 2022.
Comment est née l’association Paris d’Exil ? Quels sont ses objectifs ?
Paris d’Exil est une association lancée en 2015. Il s’agissait au départ d’un collectif de citoyens né avec l’installation de campements de migrants autour de la place et du métro Stalingrad, à Paris. Ce collectif s’est ensuite structuré en association, du fait d’un travail de plus en plus important au quotidien et de la nécessité de trouver des financements. Nous militons pour l’accueil inconditionnel des exilés et pour leur accès aux droits. L’association est constituée en deux pôles principaux. Le pôle Majeurs aide surtout des femmes seules ou des familles dans leurs recherches d’hébergement, leurs demandes d’asile, etc. Le pôle Mineurs accompagne de jeunes migrants isolés.
Comment entrez-vous en contact avec ces jeunes ? Comment s’articulent l’action de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et celle du tissu associatif ?
Beaucoup de mineurs isolés arrivent à nos cours de français et à l’association grâce au bouche à oreille, car ces cours ont lieu près du métro Couronnes, qui est un point de distribution alimentaire. La majorité des jeunes que nous rencontrons n’ont pas encore eu de contact avec l’ASE. Ils sont allés au dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE), mais leur minorité n’a pas été reconnue. Ils doivent alors lancer un recours, et il faut d’abord qu’un juge les reconnaisse comme mineurs avant que l’ASE ne les prenne en charge. Leurs recours peuvent prendre du temps : ils doivent parfois attendre un an et demi, deux ans, avant d’être reconnus comme mineurs.
Comment accompagnez-vous les mineurs isolés étrangers ?
Le pôle Mineurs s’est d’abord développé avec l’hébergement solidaire. L’association cherchait des lieux d’accueil pour ces jeunes, ce qui implique de solliciter des hébergeurs potentiels et de coordonner ces solutions qui ne durent parfois que quelques jours ou semaines alors que les jeunes restent à Paris sur le long terme. Mais cette forme d’hébergement s’est avérée chronophage pour l’association et surtout épuisante pour les jeunes qui doivent sans cesse changer de logement. La crise sanitaire a aussi été extrêmement compliquée : on a perdu beaucoup de soutiens et d’hébergeurs.
Le modèle de l’hébergement solidaire était adapté à l’urgence du début, à la crise des campements et de l’hospitalité qu’on a connu en 2015, mais, avec l’évolution de la situation, nous réfléchissons à de nouvelles solutions. Je pense par exemple à l’association La Casa qui propose un hébergement collectif : l’association loue des appartements dans lesquels quatre ou cinq jeunes vivent ensemble, en autonomie. Je fais moi-même partie de cette association et j’observe vraiment une différence chez ces jeunes : être dans un appartement, dans un espace qui reste le même, qui est le leur et qu’ils s’approprient, cela leur permet aussi d’être moins fatigués et de mieux progresser dans leur scolarité.
Face à ces questionnements sur l’hébergement solidaire, comment les activités de l’association ont-elles évolué ?
L’association Paris d’Exil propose des cours de français, et cette activité prend de plus en plus d’ampleur : jusqu’en 2015, les cours destinés aux étrangers à Paris n’étaient pas forcément ouverts aux mineurs, alors qu’on se rend compte que l’apprentissage du français et la scolarisation sont vraiment, pour eux, la clé qui leur permet d’accéder à leurs droits. Nous avons un partenariat avec l’association Droit à l’école, qui scolarise les jeunes, et un autre avec le lycée Voltaire, qui nous ouvre ses cours et ses classes le mercredi après-midi, avec des professeurs qui font cours aux mineurs isolés. D’autres partenariats avec des lycées vont être lancés.
Nous avons aussi des partenariats avec les associations 4A et Les Éveillés, qui proposent des ateliers artistiques aux jeunes qui ont du mal à s’exprimer verbalement ou par écrit. Nous organisons également des balades dans Paris et des sorties au musée ou au cinéma pour leur faire découvrir la ville et la culture française. Nous sommes aussi en contact avec une psychologue qui a accepté de recevoir plusieurs mineurs isolés.
En tant qu’association, on se demande comment s’inscrire dans le temps : d’autres associations comme La Casa, Utopia ou Famille sans frontières continuent de proposer des hébergements solidaires ou d’autres formes de logement adaptées, et nous souhaitons donc mettre nos propres forces là où elles seront les plus utiles, en travaillant sur l’orientation de ces jeunes qui sont parfois un peu perdus entre différents interlocuteurs. Nous voulons rendre les choses plus claires, les réorienter par exemple vers des associations qui proposent des solutions d’hébergement ou vers les permanences juridiques d’accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers (Adjie), pour qu’ils sachent vraiment où se rendre en fonction de leurs problèmes et de leurs besoins. Nous souhaitons aussi renforcer le tissu associatif, permettre aux associations de se retrouver, d’échanger sur des solutions, etc.
Que se passe-t-il lorsque ces jeunes atteignent leur majorité ?
Même s’ils ont été reconnus mineurs et pris en charge par l’ASE, le passage à la majorité fait qu’ils sont remis à la rue. Beaucoup reviennent vers nous parce qu’ils n’ont plus d’hébergement ou d’accompagnement. D’autres arrivent parce qu’ils ne sont pas au courant de leurs droits et n’ont donc pas signé de contrat jeune majeur, qui leur permettrait pourtant de prolonger leur accès à certaines aides jusqu’à leurs vingt-et-un ans. Paris d’Exil milite, avec le collectif École pour tous et le collectif Jeunes majeur·e·s Île-de-France, pour la systématisation de ce contrat jeune majeur, qui existe en principe pour tous les jeunes confiés à l’ASE mais auquel il est difficile d’avoir accès, encore plus pour les jeunes étrangers. D’autres jeunes n’ont jamais été pris en charge et ont des obligations de quitter le territoire français, parce que leur demande de titre de séjour a été refusée ou parce qu’ils ont eu un contrôle d’identité dans le métro.
Il y a une vraie zone grise autour du début de la majorité, dont on est en train de prendre conscience. Les associations se forment de plus en plus à cette question des jeunes majeurs sans papiers qui sont d’anciens mineurs isolés, et qui n’ont donc pas un parcours de travailleur récemment arrivé en France mais un parcours de jeune qui souhaite être scolarisé.
Pour aller plus loin
L’association Paris d’Exil milite en faveur d’un accueil inconditionnel de tous les exilés. Elle les accompagne dans leurs démarches et leur accès à leurs droits.
Évangeline Masson Diez revient dans cet article sur la mobilisation d’individus et associations aux côtés de migrants installés à Paris durant l’été 2015 : comment nommer cet engagement ?
Ce reportage sonore se penche sur le mouvement Collage Refugees qui, par une campagne d’affichage dans l’espace public, dénonce le traitement réservé aux mineurs isolés étrangers.
Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires