Dans sa pièce Djihad, créée en 2014, le scénariste belge Ismaël Saidi met en scène trois jeunes, un peu perdus, qui partent pour la Syrie. Il aborde par l’humour une situation complexe et grave.
(Entretien réalisé avant les attentats de novembre 2015.)
Pourquoi avoir choisi de parler d’un sujet aussi grave par l’humour ?
Quand j’étais petit, les seuls moments où l’on regardait la télévision en famille, c’était lorsqu’il y avait les grandes comédies françaises : on savait que le film serait compréhensible par tous, qu’il n’y aurait pas de scènes osées. Très vite, je me suis rendu compte que ces comédies étaient rassembleuses. Lorsque que j’ai entendu Marine Le Pen dire à la télévision que ce n’est pas son problème si des jeunes partent faire le djihad, du moment qu’ils ne reviennent pas, j’ai été extrêmement choqué. Pour moi le problème, c’est justement qu’ils partent !
J’ai écrit Djihad dans la foulée : il fallait montrer que le djihadiste, ce n’est pas « l’autre », mais peut-être mon voisin ou mon gosse. Dans Djihad, on ne se moque pas de l’autre, ni de ses croyances ; on rit avant tout de nous-mêmes. Rire de soi permet ensuite de rire de l’autre, et de décrypter beaucoup de choses. Voir des gens de toutes origines rire ensemble de la même chose montre que l’humour a un pouvoir plus que politique, il a le pouvoir de rassembler l’humanité.
Le fait d’être musulman vous permet-il plus facilement de parler de ce sujet ?
Mon identité belge prime sur ma foi, je suis un million de fois plus proche du public devant lequel je joue que d’un Indonésien musulman. Une réalité m’a fasciné lorsque j’ai commencé à faire des recherches sur le djihad : quand les « apprentis » djihadistes se retrouvent en Syrie, comme ils ne parlent pas la même langue, ils se regroupent par nationalité. Ils créent des sortes de villages français, anglais, pakistanais… Les Français se plaignent des Pakistanais, qu’ils prennent pour des fous furieux, les Pakistanais trouvent les Français trop arrogants… Ils doivent faire 6000 km pour se rendre compte de leur identité !
Est-ce que l’humour permet de faire passer des idées auprès des jeunes, là où l’enseignement échoue ?
Il serait très prétentieux de ma part de dire que ma pièce résout tous les problèmes, mais de fait, on a réussi à mettre en place un débat spontané et sans langue de bois avec les 17000 adolescents qui l’ont vue. Le rire nous a permis de sortir du carcan de l’après-Charlie où chacun devait choisir son camp. Les enfants trouvent un espace où ils peuvent poser toutes leurs questions, même les plus graves, sans être jugés ni sanctionnés.
Propos recueillis par Bernadette Vincent, Bpi
Article initialement paru dans le numéro 19 du magazine de ligne en ligne
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