Peu connu du grand public, Paul Nelson a pourtant révolutionné l’architecture hospitalière en concevant un schéma fonctionnel d’« hôpital-arbre » et en intégrant l’art dans son programme pour réunir les conceptions du soin : le médical et le bien-être. Ce concepteur fonctionnaliste et humaniste était sans doute trop avant-gardiste pour son époque : ses projets sont souvent restés à l’état de dessin. Ses travaux, présentés dans l’exposition « Paul Nelson » qui se tient jusqu’en février 2022 au Centre Pompidou, résonnent avec les questionnements sur la fonction de l’hôpital ravivés par la crise sanitaire.
Né en 1895 à Chicago de père américain et de mère française, Paul Nelson s’installe à Paris en 1920. Ancien élève d’Auguste Perret, il sort diplômé de l’École nationale des beaux-arts en 1927 avec comme sujet d’étude un centre homéopathique. Dès 1932, à la demande des Hospices de Lille, Paul Nelson présente un projet qui regroupe école de médecine et hôpital, en s’inspirant des toutes nouvelles expérimentations aux États-Unis. Il introduit ainsi pour la première fois en Europe l’idée d’un centre hospitalier universitaire (CHU). Le projet est décrié et la ville de Lille ouvre un concours d’architecture, auquel il ne peut participer en raison de sa nationalité américaine alors même que le programme est établi à partir de ses recherches. Deux autres projets au début des années trente n’aboutissent pas non plus : la maison des docteurs à Paris et le centre hospitalier d’Ismaïlia en Egypte. Son expertise va enfin trouver sa matérialisation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la reconstruction d’une petite ville de la Manche : l’hôpital mémorial France-États-Unis à Saint-Lô. Toute la philosophie de l’architecte s’y déploie pour une architecture du bien être : l’hôpital-arbre, la salle d’opération ovoïde, la lumière, l’art et la couleur.
De l’hôtel-Dieu à l’hôpital médical
Jusqu’à la seconde moitié du 19e siècle, la conception de l’hôpital est très différente de ce que nous connaissons aujourd’hui. Les connaissances médicales de l’époque impliquent le recours à une pharmacopée limitée et les soins de l’esprit ne sont pas séparés de ceux du corps. Il est conçu comme le palais des pauvres, car plus que de maladie, c’est de misère dont souffrent ses hôtes. Les plus fortunés font venir la médecine à leur domicile et s’il faut pratiquer une entaille, c’est l’affaire du barbier, bien équipé pour la réaliser.
Le triomphe de la médecine hygiéniste au 19e siècle donne naissance à l’hôpital-pavillon, comme à l’hôpital Bichat. Les malades y sont répartis dans des pavillons dédiés à une fonction ou un service hospitalier, ce qui répond aux préoccupations hygiénistes de circulation d’air et d’isolation des pathologies. S’il reste intimement lié à la religion, les découvertes sur la connaissance du corps humain le font évoluer vers des pratiques médicales, plus scientifiques et laïques. Ce n’est qu’avec la spécialisation scientifique du 20e siècle, que l’hébergement perd de son importance et que la religion n’est plus qu’un souvenir. Le champ médical se différencie du champ social. Trop, aux yeux de Paul Nelson.
L’hôpital-arbre
Paul Nelson décline l’hôpital monobloc expérimenté en France depuis les années trente en un nouveau concept, celui d’un « hôpital-arbre », avec des racines (sous-sol et rez-de-chaussée), un tronc (ascenseurs), et des branches (étages). Il affirme un fonctionnalisme d’avant-garde en distinguant l’hospitalisation proprement dite qui est une « fonction hôtelière d’un type spécial » des services médicaux avec le diagnostic et les soins. Il sépare aussi les services sanitaires externes et les services généraux qui « perfusent dans tout l’établissement l’énergie, les fluides, l’alimentation, les médicaments et le matériel de toute sorte ». Le centre de santé d’Arles (1971-1974) incarne cette conception nelsonienne de l’hôpital.
La salle d’opération ovoïde
En concevant une salle d’opération en forme d’œuf avec Jean Prouvé, Paul Nelson introduit une architecture organique douce qui a aussi pour mérite de répondre à des critères d’harmonie des rapports entre tous les besoins autour de l’opéré : éclairage, asepsie, ventilation et sécurité des gestes du chirurgien.
La couleur pour guérir
Nelson veut créer un « hôpital pour la vie ». Les couleurs sont chaudes et allègres, euphorisantes, et viennent casser l’austérité de l’architecture fonctionnaliste, tout en contribuant à l’organisation des espaces. La polychromie est un élément qui selon Nelson fait partie intégrante de la thérapie. Il ne s’agit pas de plaquer un effet décoratif mais de créer une ambiance de détente, de confiance dans la vie, de bien-être que le visiteur ou le malade ressent instinctivement :
« […] la tradition en ce qui concerne l’utilisation de la couleur dans les hôpitaux est de prévoir du vert gris ou du bleu gris partout, comme si le malade était partout. Le visiteur pénètre ici par des portes jaune citron situées au milieu d’un mur de claustra peint en rouge vermillon, il traverse un couloir flanqué de jardins. Les murs de ce couloir sont en claustras entièrement vitrés et peints en jaune citron. De là, il franchit un couloir gris clair dont le sol est couvert de dalles en caoutchouc beige et dont toutes les portes sont peintes en vert Véronèse […]. Chacun, malade et visiteur, se trouve baigné dans une ambiance colorée et vivante, qui agit favorablement sur le moral et dont bénéficie largement le physique. »
Le mur derrière le lit est toujours caractérisé par une couleur chaude : jaune d’or ou rouge garance, clair ou foncé, destinée à donner une meilleure mine que les reflets pâles : « Le visiteur satisfait de l’état de son malade lui communique son optimisme, une force vitale qui le met sur la voie de la guérison ». Paul Nelson met au centre les besoins de l’humain, « l’homme total, ventre, sexe, tête, rêves inclus ».
L’art en milieu hospitalier
Paul Nelson est le premier à faire entrer l’art dans l’espace de vie du malade et va travailler avec les meilleurs artistes de son temps : Charlotte Perriand pour les meubles, André Bloc pour la mise en couleur des façades, Fernand Léger pour la polychromie des chambres et pour une grande mosaïque. Il intègre l’art dans son programme pour en faire « un hôpital pour la vie (…) dans lequel on doit entrer avec optimisme, pour guérir ou conserver la santé ».
Nelson admirait particulièrement la vitalité créative de Fernand Léger qu’il considérait, par-delà Matisse et Picasso, comme le peintre le plus puissant de la période. L’admiration entre les deux hommes était réciproque car pour Fernand Léger, ce projet était à la fois à la pointe des techniques modernes et fortement imprégné d’une dimension sociale. Deux dimensions chères à l’artiste.
« Il y a deux événements architecturaux en France : la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille, et votre hôpital de Saint-Lô. Et Saint-Lô est humain, j’aimerais y participer ».
Fernand Léger
L’art introduit par Paul Nelson en milieu hospitalier, révolutionnaire dans les années d’après-guerre, s’est perdu au cours du 20e siècle. La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 de 2020 a mis en première ligne le rôle de l’hôpital, qui dans son hyper spécialisation et rationalisation, montre les limites auxquelles il est parvenu. Pourtant, ces dernières décennies, un mouvement s’est amorcé pour la réintroduction de la notion de bien-être dans le dispositif de la guérison : le lieu soutient et accompagne le malade. Une réflexion récente, comme celle de la psychanalyste Cynthia Fleury, titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers, réintroduit la fonction opérationnelle de la beauté des lieux. Elle est alors évaluée, non plus comme un surcoût mais comme donnée essentielle. L’agence de Renzo Piano (RPWS) l’évoque pour le projet du tout nouvel hôpital Grand Paris Nord, prévu pour 2028 à Saint-Ouen.
À l’occasion de l’exposition « Paul Nelson », le Mensuel consacre son quinzième numéro à l’œuvre de l’architecte franco-américain Paul Nelson (1895-1979), grande figure de l’architecture.
Avec Joseph Abram (historien de l’architecture), Olivier Cinqualbre (responsable du service architecture du Mnam/Cci), Cynthia Fleury (philosophe et psychanalyste, professeur titulaire de la Chaire « Humanités et Santé »), Thierry Lugbull (directeur d’hôpital – secrétaire général du GHT Rance-Émeraude), Frédéric Migayrou (directeur adjoint du Mnam/Cci), Jean-Christophe Rufin (diplomate, écrivain et médecin) ; Thorsten Sahlmann (architecte associé, Renzo Piano Building Workshop) et Mathilde Serrell (journaliste). Modéré par Romain Lacroix (service de la parole, Centre Pompidou).
L’exposition et le catalogue qui l’accompagne présentent l’œuvre de Paul Nelson à partir de l’important fonds d’archives déposé au Centre Pompidou. Les textes réunissent les meilleurs spécialistes pour évoquer la méthode et la poétique de l’architecte franco-américain. Ses projets, réalisés ou laissés en dessins, nous livrent la diversité de ses réflexions, au-delà de sa spécialité en architecture hospitalière : une salle de cinéma privée, l’atelier de Georges Braque à Varengeville, le musée de Fernand Léger, la Maison suspendue, manifeste d’architecture pour renouveler l’espace.
Donato Severo
Éd. du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2013
Cette première monographie consacrée à Paul Nelson permet d’aborder facilement l’œuvre de l’architecte, de la restituer et d’en saisir immédiatement les temps forts. En plus d’un portfolio iconographique et une biographie synthétique, l’auteur propose l’étude détaillée de six projets majeurs. L’œuvre de Paul Nelson constitue l’une des recherches les plus importantes du 20e siècle sur l’esthétique de l’espace moderne et la notion de confort et de bien-être dans l’architecture. Avec ses amis Braque, Hélion ou Calder, il a réfléchi à une intégration de la couleur dans des espaces fonctionnels, fluides et poétiques.
Cet ouvrage présente les aspects hors du commun de l’hôpital mémorial France-États-Unis de Saint-Lô, de l’architecte franco-américain Paul Nelson. Né de la destruction totale de la ville durant la Seconde Guerre mondiale, il associe une approche culturelle et humaniste à une quantité d’innovations architecturales et spatiales, constructives et techniques. Paul Nelson imagine un nouvel hôpital « pour la vie ». Des visiteurs du monde entier se pressent pour découvrir cet établissement révolutionnaire où tout a été pensé en vue de la guérison des patients, notamment l’utilisation de la couleur dans le bâtiment et son mobilier. Les États-Unis aident massivement à sa construction qui devient un symbole de la renaissance de l’Europe traumatisée par la guerre.
Isabelle Genyk, Isabelle Saint-Martin et Magali Uhl
Presses universitaires de Paris Ouest, 2011
Créées par des artistes contemporains de renom en collaboration avec des architectes, ces trois réalisations présentées dans l’ouvrage témoignent de la prise en compte, par le monde hospitalier, de la dimension symbolique attachée tant à la mort et au deuil qu’aux diverses attentes spirituelles des patients et de ceux qui les accompagnent. Trois expériences emblématiques recouvrant aussi bien le registre imaginaire et ses multiples horizons de sens liés notamment à la mort et à la spiritualité, qu’un ensemble de pratiques professionnelles qui se situent aux frontières de la médecine, des croyances et de l’éthique.
L’atelier Espinosa travaille sur l’architecture intérieure, le design et l’art pour le secteur de la santé. L’atelier donne un rôle prépondérant à l’art et la scénographie pour promouvoir des lieux vivants et accueillants en milieu hospitalier, marqué ces dernières années par le développement de l’ambulatoire et de la télémédecine pour réduire au minimum la durée du séjour du patient.
Vos réactions
Anne : 25/01/2024 18:24
Bonjour. J’ai eu la joie et l’honneur d’être une élève de Paul Nelson à l’école d’Architecture de Marseille-Luminy en 1975 et 1976 dans l’atelier qu’il avait créé « architecture hospitalière » en troisième cycle de 2 ans avec aboutissement au diplôme d’architecte DPLG que j’ai obtenu en juin 1976.
Je voulais souligner un intérêt particulier de Paul Nelson pour la musique de Jean Sébastien Bach. Il nous disait que les variations et les contrepoints de Bach était écrits sur une base très régulière. Il s’en était inspiré pour faire des sortes de trames de poteaux en béton armé espacés régulièrement de 5m les uns des autres depuis le rez-de- chaussée jusqu’au sommet du bâtiment. Cette trame de poteaux permettaient de faire des cloisons non porteuses et de pouvoir moduler l’architecture au besoin en agençant les cloisons différemment.
Son intérêt pour Bach était si grand qu’il a mis pendant l’accouchement de son fils une musique de Bach.Il voulait que ce soit la première musique que son fils entende à sa naissance.
Jean Sebastien Bach est à l’origine de « l’architecture modulable » de Paul Nelson. Je pense que c’est essentiel de le savoir et de le faire savoir.
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Anne : 25/01/2024 18:24
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