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Appartient au dossier : Handicaps : vers une société inclusive ?

Politiques du handicap : vers une société inclusive ?

Les politiques publiques du handicap en France se sont construites après la Seconde Guerre mondiale, afin de permettre le retour à la vie active de catégories de personnes diverses. Ces politiques sont cependant dénoncées au début du 21e siècle pour la ségrégation qu’elles entraînent, explique la sociologue Isabelle Ville, directrice de recherches à l’Inserm et directrice d’études à l’EHESS. Dès lors, comment les faire évoluer et rendre notre société complètement inclusive ? Cette question est au cœur du cycle « Handicaps : une vie à part ? », organisé par la Bpi au printemps 2023, avec Isabelle Ville comme conseillère scientifique.

Handicapés manifestant derrière une banderolle : Vieux et infirmes, nous voulons vivre
Manifestation de personnes handicapées et de vieillards en 1963 à Paris, pour défendre la hausse des allocations © Gildas Brégain, tous droits réservés

Premières lois d’intégration

Les politiques du handicap se sont construites autour d’un enjeu particulier : unifier un champ fragmenté en diverses catégories de personnes, pour certaines définies médicalement (aveugle, sourd, paralysé, retardé mental…), pour d’autres, en raison du contexte de survenue des déficiences (mutilé de guerre, accidenté du travail, infirme civil…). 

Dans l’après-guerre, la conjonction du plein emploi, d’une diversification des formes de travail et de la généralisation des protections sociales favorise une nouvelle perspective sur l’infirmité qui permet de penser le regroupement de ces catégories de personnes en vue de leur retour à la sphère productive. Sous l’impulsion des premiers collectifs de mutilés et d’infirmes, la conception fataliste de l’infirmité et de la dépendance qui en résulte, ayant pour seule réponse l’assistance, est ébranlée par une logique alternative. L’enjeu est désormais une réadaptation physique et professionnelle, associée à une compensation des corps abîmés par des prothèses et autres outils techniques adaptés. C’est ainsi autour d’un objectif d’intégration professionnelle concernant l’ensemble des catégories évoquées ci-dessus que s’organise le champ du handicap.

Le terme apparaît officiellement pour la première fois dans le titre d’une loi votée en 1957 sur le « reclassement professionnel des travailleurs handicapés », ces derniers étant caractérisés par une « diminution de leurs capacités physiques ou mentales ». La loi instaure une priorité d’emploi et organise le travail protégé. Mais c’est la loi-cadre du 30 juin 1975 « en faveur des personnes handicapées » qui consacre véritablement le champ, faisant de l’intégration une obligation nationale et instaurant, entre autres mesures, un dispositif dédié à l’insertion professionnelle.

Le développement des institutions privées

Cependant, atteindre l’intégration promue par la loi se paie souvent d’un « détour ségrégatif », pour reprendre l’expression d’Henri-Jacques Stiker, dans des centres et institutions spécialisés. Dès l’entre-deux-guerres, les premières associations d’infirmes et de parents ouvrent des lieux d’accueil pour offrir une socialisation et des formations à des personnes vivant le plus souvent cachées dans leur famille ou confinées dans des asiles. Leur financement par la Sécurité sociale, à partir de 1956, contribue à la multiplication de ces institutions dont l’État délègue la gestion aux associations, lesquelles ne sont pas préparées à cette tâche. 

Un « tournant managérial » s’opère progressivement au détriment des engagements militants des fondateurs et c’est toute une filière qui se déploie, en marge du système scolaire et du marché du travail, avec de fortes disparités territoriales. Une autre loi, votée elle aussi le 30 juin 1975, vise à réorganiser le secteur des institutions sociales et médico-sociales sans toutefois remettre en cause le traitement institutionnel du handicap et sa gestion privée.

Une ségrégation dénoncée

Le dernier quart du 20e siècle est marqué par le double contexte de transformation du paysage sanitaire et de montée des mouvements sociaux. Les acquis de la médecine ont permis le contrôle de nombreuses maladies infectieuses, mettant au premier plan les maladies chroniques et les limitations qu’elles imposent (transition épidémiologique), effet qui se combine au vieillissement des populations consécutif à la baisse de la natalité (transition démographique). Le nombre de personnes handicapées explose et l’ampleur du phénomène en fait une préoccupation majeure pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui initie une réflexion internationale sur le handicap, désormais conçu comme conséquence des états de santé. 

À la même période, les personnes handicapées dénoncent, à travers un vaste mouvement international, les protections spécifiques dont elles font l’objet, leur fondement paternaliste et les formes de ségrégation qu’elles produisent. L’origine du handicap ne tient pas tant à leurs propres conditions, lesquelles nécessiteraient un traitement à part, qu’aux obstacles à leur participation érigés par un environnement physique et social discriminant. Elles réclament le respect de leurs droits à vivre selon leurs propres choix. La convergence de ces deux lignes de force, structurelle et politique, est à l’origine de mutations profondes des politiques sociales nationales et internationales du 21e siècle.

Vers l’accessibilité et l’inclusion

En France, la seconde loi-cadre promulguée le 11 février 2005 en témoigne dès son titre, « Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». La question de l’accessibilité, déjà présente dans la loi de 1975 mais limitée aux bâtis et transports, y devient centrale. Touchant aux biens comme aux services, elle intègre quasiment tous les domaines de la vie sociale. Le handicap devient une question transversale, instruite par le Comité interministériel du handicap, créé en 2009, qui réunit l’ensemble des ministères. 

La Charte des droits fondamentaux adoptée par l’Union européenne en décembre 2000 interdit toute discrimination fondée sur le handicap et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. Enfin, la Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par les Nations unies en 2006, sans créer de droits spécifiques, exige des États qui l’ont ratifiée qu’ils mettent en œuvre les moyens nécessaires pour garantir l’effectivité des droits pour les personnes handicapées

L’objectif d’inclusion des personnes handicapées, présenté par ses promoteurs comme un nouveau paradigme, supplante celui d’intégration qui tend à être disqualifié. Ce dernier imposerait aux personnes de s’adapter à la société et aux attentes de ses institutions par un processus de réadaptation et de « normalisation » qui fait porter sur elles tous les efforts, quand l’inclusion attend que la société et l’ensemble de ses institutions s’adaptent à la diversité des besoins de ses membres. 

La mise en œuvre du modèle inclusif impose le remplacement des institutions spécialisées par des services d’accompagnement ambulatoires et personnalisés. Les associations gestionnaires d’établissements sont invitées à transformer leurs services en plaçant à leur épicentre la personne handicapée maîtresse de son projet de vie. Cette transformation exigeante n’est toutefois pas sans susciter des inquiétudes. En effet, comment garantir que l’autonomisation et la responsabilisation attendues des bénéficiaires des dispositifs d’inclusion aillent bien dans le sens de leur émancipation ? Comment éviter de nouvelles formes d’oppression, caractérisées par une « exclusion du dedans » ?

Publié le 27/02/2023 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

Introduction à la sociologie du handicap : histoire, politiques et expérience

Emmanuelle Fillion, Jean-François Ravaud et Isabelle Ville
De Boeck Supérieur, 2020

Les auteurs interrogent la société dans sa capacité à intégrer le handicap et à satisfaire les préoccupations actuelles de justice sociale. ©Electre 2020

À la Bpi, niveau 2, 300.77 VIL

« Handicap : la hiérarchie des vies », LSD, La Série documentaire | France Culture, 25-28 avril 2022

Dans les quatre épisodes de cette série documentaire réalisée par Assia Khalid, Clémence Allezard donne la parole à une partie de la population invisibilisée : les 12 millions de handicapés, soit 20 % de la population française.

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