Série

Appartient au dossier : Portraits d’artistes en exil

Portraits d’artistes en exil #3 : Maral Bolouri

Maral Bolouri est né·e en Iran en 1982. Après avoir vécu en Malaisie et au Kenya, iel s’établit en France en 2018. Pour Balises, iel retrace son parcours d’artiste et décrit l’une de ses œuvres, en écho au cycle « Migrants, réfugiés, exilés » organisé par la Bpi en 2022.

Un enfant sur une photographie en noir et blanc. Par-dessus, des inscriptions calligraphiées.
Maral Bolouri, 32, My Fears are All Yours © Maral Bolouri, 2021

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« J’ai grandi en Iran dans une famille laïque. Malgré l’oppression qui a suivi la révolution, mes parents m’ont élevé·e dans un environnement rempli de livres d’art, de littérature et de musique. Pendant mes années de lycée, j’ai décidé de m’inscrire dans une école d’art. J’ai donc fait mes études pré-universitaires en beaux-arts puis, en 2008, j’ai obtenu une licence à l’Université d’art de Téhéran, avec une spécialisation en peinture.

Cependant, j’ai été déçu·e par l’enseignement supérieur, à cause de la qualité médiocre des cours mais aussi l' »apartheid de genre » qui régit l’enseignement supérieur comme la société dans son ensemble. Le concept d’ « apartheid de genre » est utilisé par les féministes iraniennes. Il permet de mettre en lumière l’oppression subie en Iran, dans la loi et les usages, par quiconque n’est pas un homme hétérosexuel cisgenre. Il ne s’agit pas seulement de ségrégation et d’isolement : toutes les minorités de genre vivent au quotidien un harcèlement et une violence systématique. Après avoir participé à deux expositions collectives à Téhéran, j’ai décidé de ne pas poursuivre ma carrière artistique dans cet environnement délétère. Ce n’est qu’après avoir quitté l’Iran pour la Malaisie, en 2009, que j’ai recommencé à me concentrer sur l’art, avec un travail de recherche axé sur les questions d’identité, de genre et de subjectivité. Cependant, je pense que le tournant dans ma pratique a eu lieu en 2012, lorsque j’ai déménagé au Kenya. Le monde de l’art et la scène queer underground de Nairobi ont fait de mon travail ce qu’il est aujourd’hui.

Malgré mes nombreux déménagements, je considère l’ensemble de mon travail comme un processus continu. Mon arrivée en France fait donc partie de ce processus. D’une certaine manière, chaque départ a alimenté mon travail, en attirant mon attention sur la manière dont le genre, l’identité, l’accueil et la séparation sont fabriqués et vécus dans ces contextes.

Venir en France n’a pas été un tournant dans ma carrière. En effet, ma pratique y a été beaucoup dévalorisée, parce qu’elle ne faisait pas suffisamment écho à ma présumée identité culturelle. Mon travail parle pourtant de l’exil que je me suis imposé. En tant que personne non-conforme au genre dans l’Iran post-révolution, j’avais déjà vécu cette expérience de l’altérité. Il n’y a donc rien de nouveau pour moi. Le fait d’être en France ouvre néanmoins une nouvelle perspective sur la façon dont l’altérité peut être vécue, et dont la culture occidentale exige une « performance de l’oppression » de la part des artistes issus de milieux historiquement marginalisés. J’explore ces questions dans la série : Tell me why you love me?, qui a été soutenue par l’Atelier des artistes en exil.

Cette image fait partie d’une série en cours, intitulée Un-mothering. J’ai commencé ce projet à Paris en 2020, juste après le premier confinement dû au Covid, lorsque je suis tombé·e sur des archives familiales chez un bouquiniste. Voir les photos de famille, les cartes postales et les lettres manuscrites m’a rappelé ce que j’avais laissé derrière moi. Par coïncidence, au même moment j’explorais le lien à la mère et la séparation dans mes séances de thérapie.

Inspiré par ma propre psychanalyse et par le travail d’Anne Dufourmantelle, ce projet explore le lien maternel, la lignée féminine, la perte et la séparation, en se concentrant sur le tabou de la relation mère-enfant. Le monologue calligraphié sur ces images anonymes en donne une nouvelle interprétation intime. Il reflète les différentes étapes du deuil, oscillant entre la colère, le déni, la négociation et la dépression.

En utilisant des archives familiales anonymes et en travaillant essentiellement avec des sujets féminins, je fais de chaque photographie un facilitateur de la parole. Le titre de chaque œuvre est la phrase qui est écrite à plusieurs reprises sur l’œuvre dans ma langue maternelle, le farsi, comme un sort. »

Publié le 14/03/2022 - CC BY-SA 3.0 FR

Pour aller plus loin

La Sauvagerie maternelle

Anne Dufourmantelle
Calmann-Lévy, 2001

Si le sentiment maternel est inaltérable, le détachement du lien maternel par l’enfant doit se faire un jour ou l’autre, au risque d’abandonner la mère à la mélancolie. La parole et l’écoute psychanalytiques sont là pour guider les individus à traverser ce cap difficile. (© Electre)

À la Bpi, niveau 2, 153 DUF

Exposition « Féminin Pluriel » | Espaces Commines, 2021

Cette vidéo, réalisée par Guillaume Diamant-Berger et produite par Markus Hansen, présente l’exposition « Féminin Pluriel », proposée par l’association Florence à l’espace Commines, à Paris, en novembre 2021. La commissaire invitée, Aline Pujo, explique la démarche de chaque artiste exposé·e, dont Maral Bolouri fait partie.

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