« Prix Nobel d’économie », une appellation ambiguë
Pas un prix Nobel
Sur la page dédiée à la nomination de lauréats en sciences économiques sur le site officiel Nobel Prize, le processus de sélection du lauréat est précisé et il est mentionné dans le paragraphe « Not a Nobel prize » (pas un prix Nobel) :
« The prize in economic sciences is not a Nobel Prize. In 1968, Sveriges Riksbank (Sweden’s central bank) instituted “The Sveriges Riksbank Prize in Economic Sciences in Memory of Alfred Nobel”, and it has since been awarded by the Royal Swedish Academy of Sciences according to the same principles as for the Nobel Prizes that have been awarded since 1901. The first prize in economic sciences was awarded to Ragnar Frisch and Jan Tinbergen in 1969. »
« Le prix des sciences économiques n’est pas un prix Nobel. En 1968, la Sveriges Riksbank (banque centrale de Suède) a institué le « Prix Sveriges Riksbank en sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel », et il a depuis été décerné par l’Académie royale des sciences de Suède selon les mêmes principes que pour les prix Nobel qui sont décernés depuis 1901. Le premier prix en sciences économiques a été décerné à Ragnar Frisch et Jan Tinbergen en 1969. »
Mais alors, si ce prix est décerné par l’Académie royale des sciences de Suède, selon un processus de sélection identique à celui des autres disciplines, où est le problème ? Pourquoi ce prix est-il controversé ?
Un usage abusif du nom Nobel
Pourquoi on ne peut pas vraiment parler de « prix Nobel d’économie » (même si on le fait), par Les Décodeurs, Le Monde, octobre 2018.
« Il faut d’abord avoir à l’esprit que cette récompense n’est pas un vrai prix Nobel. Les prix créés par la volonté d’Alfred Nobel, couchée dans un testament rédigé en 1895, sont au nombre de cinq − ils concernent les domaines de la paix, la littérature, la physique, la chimie, la physiologie et la médecine − et sont attribués chaque année depuis 1901. Ce que l’on appelle « prix Nobel d’économie » est en vérité le « prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». »
L’attribution contestable à cette discipline d’une aura de scientificité
Le « prix Nobel d’économie » : une habile mystification, par Gilles Dostaler, Alternatives économiques, 2005/7, n°238 (consultable sur la plateforme académique en ligne Cairn).
« Ce qui s’appelait officiellement le « prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » fut instantanément confondu, par les journalistes, le public et les récipiendaires eux-mêmes, avec un véritable prix Nobel.
Les avantages de cette opération de piraterie linguistique furent très importants. Yves Gingras montre comment l’énorme « capital symbolique » accumulé par le Nobel depuis 1901 a immédiatement et complètement profité à l’économie, ce qui n’aurait pas été le cas si, par exemple, le prix avait été appelé « prix Adam Smith ». Même accompagné d’un chèque d’un million d’euros. Le prix d’économie étant administré par le même organisme que les prix de physique et de chimie, cette discipline se trouvait automatiquement couronnée d’une aura de scientificité niée aux autres sciences humaines. Quelques récipiendaires ont enfoncé le clou en insistant, dans leurs discours de réception, sur le fait que la science économique est une activité de même nature que les sciences naturelles. »
Un prix « Nobel » d’économie souvent contesté
Des lauréats peu représentatifs de la diversité des travaux en économie
Pourquoi on ne peut pas vraiment parler de « prix Nobel d’économie » (même si on le fait), par Les Décodeurs, du journal Le Monde, octobre 2018.
« L’existence de ce prix a régulièrement été remise en cause pour son manque de diversité. Parmi les soixante-dix-neuf personnes récompensées entre 1969 et 2017, on compte une écrasante majorité d’Américains (61) pour seulement dix autres nationalités représentées, une seule femme, et beaucoup de représentants de l’économie néolibérale, ce qui suscite régulièrement des controverses au moment de son attribution. »
Le prix Nobel d’économie en cinq questions, par Leïla Marchand, Les Échos, octobre 2015.
« Si le prix Nobel d’économie s’incarnait en un profil type, ce serait un homme blanc américain de soixante ans de l’université de Chicago (…). »
Ceci alors que de nombreux courants de pensée économique existent. Pour découvrir les différents courants de pensée économique :
- Le site du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance propose un panorama de ces différents courants sur une page dédiée : Courants de pensées.
- Histoire des idées économiques, en 2 tomes (1. de Platon à Marx et 2. de Walras aux contemporains), de Jean Boncoeur et Hervé Thouément, Armand Colin, 2017.
Cet ouvrage traite des grands courants économiques de la période contemporaine (la révolution marginaliste, la révolution keynésienne instigatrice de la macroéconomie et les développements de la microéconomie) et étudie les théories nées de la mondialisation.
Une récompense portée par des économistes libéraux jugés parfois « extrêmistes »
Un prix « Nobel » d’économie de plus en plus contesté, par Christian Chavagneux, Alternatives économiques, 14 octobre 2019 (en accès abonné).
« Alors qu’il fête ses cinquante ans, l’hégémonique prix de la Banque de Suède fait l’objet de critiques pressantes, et les alternatives se multiplient. (…) C’est en effet une banque centrale qui attribue ce prix et non pas le comité Nobel : l’industriel n’a jamais laissé un centime pour célébrer cette science sociale. Le moment de revenir sur la naissance de cette récompense, portée par des économistes libéraux, achetée par la Banque de Suède et destinée à conférer un statut de scientificité aux économistes. »
Une vision éloignée de l’esprit du fondateur des prix Nobel
« Prix Nobel d’économie » : l’imposture, Le Monde diplomatique, février 2005 (en accès abonné).
« Les deux tiers des prix de la Banque de Suède ont été remis aux économistes américains de l’école de Chicago, dont les modèles mathématiques servent à spéculer sur les marchés d’actions – à l’opposé des intentions d’Alfred Nobel, qui entendait améliorer la condition humaine. »
Peter Nobel, descendant d’Alfred Nobel
Pour relativiser ces critiques
Un impact nul ou délétère des recherches récompensées ?
Nobel d’économie : coupables ou visionnaires ?, par Gaétan Supertino, Europe 1, octobre 2012.
« En cette année 2012, où le monde peine à se réveiller du choc financier de 2008, où la zone euro s’englue dans la crise de la dette, et où le chômage explose dans les pays industrialisés, on peut se poser la question de l’influence des précédents Nobel. Les 71 lauréats désignés depuis la naissance du prix ont-ils vu venir la situation ? Les a-t-on trop, ou pas assez écoutés ? (…)
D’autres Nobel ou leurs défenseurs regrettent au contraire qu’on ne les ait pas écoutés davantage. Joseph Stiglitz, lauréat de 2001, Paul Krugman (2008) ou encore Christopher Sims et Thomas Sargent (2011) proposent tous des solutions qui tranchent avec les politiques actuelles. »
Un ouvrage va dans le même sens :
Les Prix Nobel d’économie, de Jean-Edouard Colliard et Emmeline Travers, La Découverte, Repères, 2009
(disponible en libre accès sur la plateforme en sciences humaines et sociales Cairn).
Cet ouvrage présente de façon synthétique quarante ans d’évolution de la discipline, jusqu’à Paul Krugman, couronné en 2008. L’auteur espère « avoir relativisé les reproches couramment adressés au prix Nobel d’économie de ne récompenser que des travaux très « orthodoxes » et purement abstraits. Sur ces deux plans, la situation s’est d’ailleurs améliorée avec le temps. »
La récompense de travaux non « purement abstraits »
Le prix Nobel d’économie 2021 attribué à David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens, par La Finance pour tous, 11 octobre 2021.
Cet article pédagogique montre que la récompense peut également être attribuée pour des travaux partant précisément de l’expérience.
Le site Nobel Prizes propose une vidéo expliquant que ce prix met en lumière des travaux révolutionnant la manière de réaliser le travail par l’expérience :
It’s totally revolutionised the way we do empirical work, interview d’Eva Mörk, membre du Comité pour le Prix en sciences économiques, par la journaliste Joanna Rose, Nobel Prize Outreach AB 2021, 8 novembre 2021.
Une partialité à relativiser
Ce prix est ouvert, malgré tout, à des travaux de différents courants :
Pouvoir de marché, stratégies et régulation : les contributions de Jean Tirole, Prix Nobel d’économie 2014, par David Encaoua, Revue d’économie politique, 2015/1, vol. 125, p.1 à 76 (consultable sur la plateforme académique en ligne Cairn).
« (…) non seulement Jean Tirole n’est pas l’exégète d’une économie de marché libre de toute intervention publique ou l’apôtre de la « puissance du marché » comme certains commentaires l’ont laissé entendre en France mais ce qui lui a valu le prix Nobel, ce sont précisément des travaux qui justifient, au nom de l’intérêt général, la nécessité pour les pouvoirs publics de surveiller, contrôler et réglementer les marchés, que ces marchés soient dominés par un petit nombre d’entreprises en situation d’oligopole ou qu’ils soient en situation de monopole naturel. Les travaux de Jean Tirole sont d’autant plus importants qu’ils se situaient en rupture à la doxa dominante au moment de leur émergence. »
Pour en savoir plus sur l’économie expérimentale :
L’économie expérimentale, revue Idées économiques et sociales, Canopé, 2010/3, n°161. Ce numéro peut être intégralement consulté sur la plateforme académique Cairn.
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