Interview

Premiers pas en territoire littéraire québécois

Littérature et BD

Mitch Altman from San Francisco, USA / [CC BY-SA] via Wikimedia Commons

La diffusion de la littérature québécoise en France est récente et suscite la curiosité du lectorat français. Dans le cadre du festival littéraire Raccord(s) 2020, Yan Rioux, directeur de la Librairie du Québec à Paris, nous propose quelques pistes de lecture pour découvrir la littérature québécoise.

La librairie du Québec ouvre en 1995 à Paris, rue Gay-Lussac. Elle propose des livres québécois quand très peu d’auteurs québécois sont publiés ou distribués en France. Deux ans plus tard, une filiale de distribution est créée, Distribution du nouveau monde (DNM), afin d’approvisionner d’autres librairies françaises en littérature québécoise. Depuis 2001, la Librairie du Québec s’est adjoint les services d’un diffuseur pour proposer un service de nouveautés réguliers. Elle sélectionne, en relation avec les éditeurs québécois, des titres pertinents pour le marché français. Yan Rioux, son directeur, résume pour Balises les grandes caractéristiques de la littérature contemporaine et conseille quatre lectures pour la découvrir.

Quelle est la place de la littérature québécoise en France ?

Quelques auteurs québécois ont été publiés en France il y a vingt-cinq ou trente ans, comme Michel Tremblay, Régent Ducharme, Marie-Claire Blaye, Anne Hébert… Mais ce n’est qu’à partir de 2001 que les éditeurs français se sont intéressés aux auteurs québécois et ont commencé à racheter les droits pour les publier en France. La tendance est devenu nette à la fin des années deux-mille. À ce moment, les éditeurs québécois ont cherché à s’implanter sur le marché français. Ils se sont mis à publier pour le Québec et pour la France. 

Les éditeurs littéraires québécois comme La Peuplade, Mémoire d’encrier ou Le Quartanier se sont lancés avec succès sur le marché français. L’offre littéraire en France est pourtant surabondante et quand on n’est pas sur place, qu’on ne dispose pas de tous les réseaux, ce n’est pas évident. Ils publient en fonction du marché du livre français et cela fonctionne bien. Toute une série de titres comme Le Poids de la neige de Christian Guay-Poliquin, La Fiancée américaine d’Éric Dupont ou Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier, ont trouvé leur place. D’autres sortent en poche, chez Folio ou J’ai lu, notamment. Les éditions Mémoire d’encrier sont aujourd’hui aussi connues en France que certains éditeurs français.

Quels sont les caractéristiques de la littérature québécoise ? 

C’est d’abord une littérature assez jeune dont les classiques remontent aux années cinquante pour la plupart. Auparavant, la littérature était très axée sur la vie au Québec. C’était essentiellement une littérature du terroir, influencée par l’église catholique. Elle racontait la vie à la campagne. Maria Chapdelaine (1913) en est un peu l’emblème, même si paradoxalement son auteur, Louis Hamon, était français. La littérature québécoise arrive à maturité après la publication du manifeste Refus global (1948, rédigé par seize artistes québécois) et la « Révolution tranquille » qui s’opère au Québec contre l’idéologie conservatrice dans les années soixante. À ce moment, la littérature se met à parler du peuple des villes et des classes populaires. Elle se met à utiliser un langage populaire que l’on peut qualifier de « joual » , très utilisé à l’époque par Michel Tremblay. Michel Tremblay était auteur de théâtre, mais son œuvre a vraiment été un coup de tonnerre au Québec. 

Peu à peu, vers la fin des années soixante-dix, la littérature s’est mise à revendiquer son américanité, avec des écrivains comme Jacques Poulin ou Louis Hamelin. Ils ont vraiment voulu explorer le territoire québécois et américain un peu à la façon des romans américains. Mais ce n’est pas réellement une littérature américaine. On ne retouve pas cette espèce de flow typiquement américain qui nous décrit la société, la politique… Cela reste une littérature de l’intime, du discours du « je ». D’ailleurs, à partir des années deux-mille, l’autofiction a pris énormément de place, un peu comme en France. C’est donc une littérature hybride. Le Poids de la Neige de Christian Guay-Poliquin (2016), illustre bien ce mélange : c’est un roman de la route, qui explore des kilomètres de territoire, mais c’est aussi un huis clos total, qui fait la part belle à la littérature de l’intime.

Ensuite est apparu ce qu’on appelle la littérature migrante, avec Dany Laferrière, Marco Micone et d’autres qui venaient d’ailleurs, qui ont apporté une souffle de nouveauté. Par ailleurs, ces dernières années, la littérature classique québécoise se tourne à nouveau vers la campagne. Des auteurs comme Jocelyne Saucier, Samuel Archibald ou Raymond Bock revisitent la campagne, complètement oubliée ces trente dernières années. Mais c’est une campagne beaucoup plus crue, présente, assez réaliste.

Plus récemment, la littérature des autochtones s’est imposée dans le paysage de la littérature québécoise et elle plaît énormément en France. Ce sont notamment les éditions Mémoire d’encrier, fondée par le tahitien Rodney Saint Eloi pour éditer des tahitiens au Québec, qui sont allés chercher des autochtones comme Joséphine Bacon ou Natasha Kanapé Fontaine pour les publier. La question de la place des autochtones se pose de façon beaucoup plus forte qu’avant aujourd’hui au Québec et la littérature participe à ce questionnement.

Que lire pour aborder la littérature québécoise ?

Je conseillerais quatre entrées, très différentes, mais qui représentent bien ce qu’est la littérature québécoise. Tout d’abord l’œuvre de Michel Tremblay. Je pense qu’elle est une porte d’entrée incontournable. En plus, c’est accessible et drôle. 

J’enchainerais sur La Fiancée américaine (2012), d’Eric Dupont, une saga familiale. Avec Bâtons à message (2009) de Joséphine Bacon, on aborde la poésie autochtone. Je finirais par Putain (2002), de Nelly Arcan, une autofiction qui donne la parole aux femmes.

Publié le 01/04/2020 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Les Belles-sœurs

Michel Tremblay
Leméac, 1972

Germaine Lauzon, femme au foyer de Montréal, a gagné un million de timbres promotionnels mais elle doit les coller dans des livrets avant d’obtenir les merveilleux cadeaux correspondants. Elle réunit ses belles-sœurs et voisines pour une « party-collage » afin d’achever la tâche en une soirée.
Cette pièce de théâtre écrite en 1965 dépeint la réalité des femmes de l’époque au Québec.  C’est une des premières pièces québécoises à employer le joual (forme populaire du français québécois).

L’avis de Yan Rioux : « L’œuvre de Michel Tremblay est très accessible. C’est à la fois très bien écrit parce qu’on est chez un homme de théâtre, donc les dialogues sont incroyables mais c’est aussi de la littérature populaire. C’est également très drôle. »

À la Bpi, niveau 3, 843 TREM 4 BE

La Fiancée américaine

Éric Dupont
Marchand de feuilles, 2012

Dans la famille Lamontagne, à Rivière-du-Loup, il y a une Madeleine par génération. Quand Madeleine dite « l’Américaine » entre dans la famille, elle apporte son livre de recettes, qui va transformer la vie de toutes les femmes dans la famille sur quatre générations.
Cette saga a obtenu le Prix des libraires du Québec 2013.

L’avis de Yan Rioux : « La Fiancée américaine allie une écriture qui se rapproche de la parole, de l’oralité, du conte, avec une description réaliste de la campagne des années trente jusqu’à aujourd’hui. C’est une espèce de roman baroque, qui relève du réalisme merveilleux. Il montre le parcours d’une littérature qui commence dans le terroir et qui finit par parler du monde, qui commence par parler de soi et finit par parler des autres. »

Bâtons à message / Tshissinuatshitakana

Joséphine Bacon
Mémoire d'encrier, 2009

Ce recueil de poésie bilingue (français et innu-aimun) est une invitation au dialogue et ouvre sur une culture trop souvent occultée. Bâtons à message fait référence à un ensemble de repères qui permettent aux nomades de s’orienter à l’intérieur des terres et de retrouver leur voie/voix. L’ouvrage a reçu le Prix des lecteurs du Marché de la poésie de Montréal en 2010.

L’avis de Yan Rioux : « C’est de la poésie autochtone, mais Joséphine Bacon écrit à la fois en langue innue et en français. Je ne sais pas si on assiste à la naissance d’une nouvelle forme littéraire ou à un renouvellement de la littérature autochtone. En tout cas, c’est une nouvelle voix qui apparaît là. »

Putain

Nelly Arcan
éd. du Seuil, 2002

Nelly Arcan relate la période où elle travaillait comme escort-girl pour payer ses études de littérature, mêlant fiction et réalité. Cet ouvrage a été nominé pour les prix Médicis et Femina.

L’avis de Yan Rioux : « Putain, de Nelly Arcan, c’est la voix des femmes. On est vraiment dans l’autofiction, une autofiction qui parle de notre monde et qui questionne notamment la place des femmes et leur rapport au corps. »

À la Bpi, niveau 3, 843 ARCA 4 PU

Librairie du Québec

La Librairie du Québec commercialise des livres québécois et propose des idées de lectures, à retrouver sur leur page Facebook.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet