Une nouvelle ère pour le cinéma bulgare ?
Le cinéma bulgare est plutôt discret et méconnu en France. Ces deux dernières décennies, de jeunes cinéastes se mobilisent pour le faire exister et proposer leur lecture de cette Bulgarie contemporaine, toute jeune membre de l’Union européenne. Ils compensent la faiblesse des moyens par l’entraide, l’imagination et l’originalité, et nourrissent l’espoir d’obtenir de meilleures conditions de production. Certain·es de ces réalisateur·rices seront présent·es aux projections et rencontres organisées par la Cinémathèque du documentaire à la Bpi dans la programmation « Si la Bulgarie m’était contée ».
L’essor du cinéma bulgare sous le régime communiste
L’industrie cinématographique bulgare s’est structurée dans les années 1940, puis a été nationalisée par le régime communiste en 1948. Généreusement subventionnée par l’État, centralisée et censurée, la production est organisée en vue de valoriser les actions du régime et construire une nouvelle identité nationale. D’importants moyens sont mis à la disposition des professionnel·les du cinéma qui servent l’idéologie communiste. Dans un article publié dans Ciné-Bulles (n° 19-2001), l’historienne Christina Stojanova décèle des « failles dans le système, où le mariage idéal entre de généreuses subventions publiques et la liberté artistique engendrèrent des œuvres mettant en question, à mots pas toujours couverts, le statu quo politique, moral et esthétique ». Cette énergie dissidente du cinéma bulgare qui se construit passe relativement inaperçue des autorités. En effet, elle concerne essentiellement le documentaire ou l’animation, genres que les autorités considèrent comme mineurs, et cela représente un petit nombre de films. Mais ce trait particulier et la qualité des réalisations séduisent les cinéphiles au-delà des frontières. C’est le cas de Binka Zhelyazkova ou de Georgi Stoianov.
Dans les années 1970, période qualifiée d’« âge d’or du cinéma bulgare », les cinéastes bénéficient d’une « certaine détente culturelle », favorisée par la présence de Ljudmila Jivkova à la Culture (1972-1981) et sa volonté de promouvoir les arts et la culture bulgares à l’étranger. Dans les années 1980, pendant la préparation du 1 300e anniversaire de la création de l’État bulgare, deux formes de cinéma cohabitent : d’un côté les épopées à la gloire de la Bulgarie, aux accents hollywoodiens, et, de l’autre, un cinéma qui s’intéresse aux évolutions de la société, une forme de critique sociale désabusée. En cette période de fin de règne de Todor Jivkov, chef de l’État bulgare de 1971 à 1989, les cinéastes peinent à percer : les concurrent·es sont nombreux·euses et les privilèges sont accordés aux ancien·nes, aux « enfants de » et à celles et ceux qui servent le régime. La contestation monte dans le milieu du cinéma.
Des aides insuffisantes et un marché national peu porteur
La chute du mur de Berlin signe le déclin du cinéma bulgare. Certes, l’interférence de l’État est moindre, mais le désengagement est aussi financier. Les budgets sont démantelés. Un centre national d’aide au cinéma, le CNFB (Centre national du film bulgare) vient remplacer, dès 1991, le système d’État mis en place par le régime communiste, mais son budget est infime. Si la Bulgarie est membre d’Eurimage, le fonds culturel du Conseil de l’Europe, depuis janvier 1993, et d’autres organismes de soutien à la création, la concurrence est rude pour l’obtention d’aides. « Plus de 150 documentaires et 50 films d’animation étaient tournés annuellement, mais ils se comptent dorénavant à l’unité » constate Claude Forest dans Économies contemporaines du cinéma en Europe (CNRS Éditions, 2001). D’autant plus que, de 1992 à 1996, le studio Vreme, producteur de documentaire, privé de statut juridique, ne produit aucun film. Le cinéma devient donc dépendant des subventions du privé et de l’Europe.
Toute l’industrie du cinéma bulgare est touchée, de la production à la diffusion, ce qui se traduit par la baisse du nombre de films produits, mais aussi du nombre de salles de cinéma. La fréquentation des salles s’effondre. De 93 millions de spectateur·rices annuels en 1989, on passe à 4,7 millions en 1995, puis 1,7 million en 1999 (chiffres CNRS, 2001). En cause, la concurrence de la télévision, un exode de la population bulgare, une économie en berne… Dans les salles, les films étrangers dominent et les rares films nationaux font de tristes scores (0,5 % des spectateur·rices).
Un contexte plus favorable aujourd’hui ?
Les cinéastes bulgares évoluent dans un contexte national d’instabilité et d’incertitude. En effet, de 2014 à 2017, le budget alloué à la Culture a augmenté de 24 %, mais les aides au cinéma n’ont pas évolué (environ 6,5 millions d’euros). Pire, elles se sont arrêtées en 2018, car la Bulgarie ne s’était pas mise en conformité avec les règles européennes. Elles ont toutefois été versées rétrospectivement en 2019, année où le montant a été porté à 7,5 millions d’euros. Durant la pandémie du Covid-19, l’aide de l’État pour le maintien des salaires dans le milieu culturel ne concernait pas l’industrie cinématographique. Pourtant, les salles de cinéma ont été fermées de longs mois, ou ouvertes avec une jauge de 30 %. L’instabilité est aussi politique et économique : la Bulgarie a connu trois élections législatives en 2021 et une en 2022. Son inflation était supérieure à 15 % en 2024. Un contexte qui a des conséquences sur le secteur du cinéma.
Néanmoins, les cinéastes peuvent s’appuyer des organisations très actives malgré des moyens limités, notamment le CNFB et les Instituts culturels bulgares, qui œuvrent pour la promotion des films bulgares, en Bulgarie et à l’étranger, avec leurs partenaires culturels. Par exemple, le festival de Sofia, dont la 29e édition s’est déroulée en mars 2025, est une formidable opportunité de nouer des contacts et de faire découvrir les films bulgares. La plateforme numérique (Filmсenter) annoncée par le CNFB le 16 avril 2025, permettra aux cinéastes bulgares et étrangers d’accéder aux informations et contacts utiles de l’industrie cinématographique bulgare. Des programmations dédiées au cinéma bulgare, de plus en plus nombreuses, permettent aux réalisateurs et réalisatrices de présenter leur travail. Par exemple, dès 2017, le festival « Regards sur le cinéma bulgare » au cinéma le Reflet Médicis les met en vedette, le Festival du Cinéma Bulgare à Paris (depuis 2017) au cinéma le Christine 21 projette des films et anime un site d’actualité, ou encore le cycle « Si la Bulgarie m’était contée » qui se tient en avril 2025. La 46e édition du Festival International du Film de La Rochelle (2018) proposait 12 films bulgares et une rencontre. Les productions bulgares intègrent régulièrement des festivals, des plateformes de cinéma, et remportent des prix, par exemple au festival de Locarno où Ralitza Petrova a remporté le léopard d’or pour son premier long-métrage Godless en 2016.
L’entraide et la solidarité pour réaliser des films
Lors de cette rencontre à La Rochelle, deux documentaristes, Elitza Gueorguieva (Chaque mur est une porte) et Bojina Panayotova (Je vois rouge), racontaient leurs difficultés pour réaliser des films et leurs combats. Des réalisateurs et réalisatrices bulgares ont lancé une pétition en faveur d’une révision des règles d’attribution des aides du CNFB, pour plus de transparence et de parité. Elles rappelaient aussi que les cinéastes bulgares sont nombreux·euses à suivre des études de cinéma ou des formations à l’étranger et misent sur leur réseau pour co-financer les films.
Le réalisateur Petar Valchanov, qui coréalise ses films avec Kristina Grozeva et dont beaucoup ont été distribués en France (The Lesson, Glory, La Saveur des coings), souligne dans Le Monde du 18 avril 2017 l’importance d’unir les efforts : « On s’aide en se prêtant des caméras, des objectifs, on peut collaborer sur les scénarios. On forme un groupe informel qu’on a appelé Rocket. » Le regroupement peut être utile aussi pour revendiquer. L’entraide, c’est une stratégie, mais aussi une caractéristique de la culture bulgare. Un trait sympathique, humain, indispensable pour lutter contre la pauvreté, mais aussi le début de la corruption que déplorent les Bulgares et soulignent les réalisateur·rices comme Bojina Panayotova.
Tourner avec peu d’argent force à inventer de nouvelles formes, un ton différent, celui de la nouvelle vague bulgare. « Mais, si on n’arrive pas à financer plus de quatre ou cinq films par an, on ne pourra pas parler de nouvelle vague. Un film ne peut pas faire le printemps du cinéma bulgare », rappelle Petar Valchanov.
Publié le 28/04/2025 - CC BY-SA 4.0
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