Sélection

Appartient au dossier : Cinéma du réel 2019

Qu’est-ce que la « danse documentaire » ?

Tous les arts dialoguent avec le réel, dans les sujets qu’ils évoquent ou leurs processus de création. Mais existe-t-il un positionnement documentaire ailleurs qu’au cinéma ? Alors que le festival Cinéma du réel se pose la question lors du Festival parlé du 18 mars 2019, Balises suit la piste de quelques artistes qui documentent le réel… en dansant !

Comme les réalisateurs, les chorégraphes posent souvent un regard sensible sur le réel à travers leurs œuvres. La danse ne consiste pourtant pas à mimer une idée ou une situation, mais bien à transmettre par le corps, le mouvement, le son et une scénographie originale, ce qui peut relever de l’indicible.

Néanmoins, certains chorégraphes transposent littéralement des récits de vie et des situations réelles dans l’espace de la danse. Parfois, les artistes utilisent ponctuellement des matériaux documentaires comme outil de création, sans que le travail à partir du réel soit une démarche systématique de leur part.
Par exemple, Alexandra Pirici propose des perfomances qui mettent en jeu le statut du corps et des technologies au 21e siècle. En écho à cette recherche, dans sa pièce Delicate Instruments of Engagement (2018), les danseurs miment des événements historiques, comme le selfie pris par Barack Obama à l’enterrement de Nelson Mandela.
Jonathan Burrows et Matteo Fargion, eux, explorent les relations complexes entre musique et danse. Dans la websérie 52 Portraits(2016), ils choisissent d’insérer des éléments biographiques confiés par les interprètes dans la chorégraphie et la musique originale.

D’autres chorégraphes placent systématiquement la démarche documentaire au cœur de leurs processus de création. C’est par exemple le cas de l’Australien Lloyd Newson, du Congolais Andréya Ouamba, de la Sud-Africaine Robyn Orlin et du Français Rachid Ouramdane.

Publié le 05/03/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Andréya Ouamba

Andréya Ouamba

Chorégraphe congolais né en 1975 et longtemps installé au Sénégal, Andréya Ouamba interroge les relations entre les hommes et le pouvoir à partir de son expérience autobiographique. Sueur des Ombres (2011) évoque par exemple la guerre au Congo en mélangeant les corps et les langues parlées sur scène, et J’ai arrêté de croire au futur (2015) est fondé sur un monologue politique fictionnel déclamé sur scène en contrepoint de corps nerveux et contraints, disant l’autorité étouffante d’un chef d’État.

De quoi sommes-nous faits ? (2018) part d’une réflexion entreprise par Andréya Ouamba sur son rôle de père, pour évoquer finalement les figures d’autorité dans les familles et l’espace politique du Congo-Brazzaville. La pièce débute par un monologue autobiographique dansé par le chorégraphe, puis entrelace musique live, poésie déclamée et danse pour évoquer de manière à la fois incroyablement poétique et littérale les relations du patriarcat, de Dieu et du pouvoir politique congolais, tout en explorant les fonctions de la rumba congolaise dans l’espace public.

Voir un extrait de De quoi sommes-nous faits ? et un entretien avec Andréya Ouamba au sujet de la pièce

DV8 - Lloyd Newson

DV8 - Lloyd Newson

Lloyd Newson est né en 1956 en Australie et travaille au Royaume-Uni avec le DV8 Physical Theatre. Il « veille à ce que la danse ne soit jamais gratuite, mais toujours ancrée dans la réalité » et recréé sur scène et dans ses vidéodanses des situations de vie concrètes, qui mettent en scène des situations sociales problématiques et des personnages marginalisés. Mélangeant vidéo, théâtre et danse, ses pièces proposent souvent le récit de vie de personnages réels, dont le chorégraphe recueille le témoignage qu’il diffuse ou fait rejouer par ses interprètes.

En 2011, Can We Talk About This traite ainsi des tabous de la société (racisme, homophobie, fondamentalisme religieux…) à partir d’entretiens avec des sociologues, de témoignages et de séquences de danse très fortes. En 2016, John se veut le verbatim de plus de cinquante témoignages d’hommes parlant d’amour et de sexe, et la biographie de l’un d’eux, John, rencontré dans un sauna gay de Londres. La pièce avance entre mots et gestes pour évoquer la violence familiale, la drogue et la prison, et en même temps la découverte sensuelle de l’homosexualité.

Voir un extrait de John

Rachid Ouramdane

Rachid Ouramdane

Rachid Ouramdane est un chorégraphe français né en 1971, qui revendique le fait d’être un « portraitiste chorégraphique » traçant des récits de vie dans ses danses.

Il construit ses chorégraphies comme le prolongement de témoignages qu’il recueille en amont de la création, et parle au sujet de ses spectacles de « danse documentaire ». Ses pièces évoquent souvent les personnes exilées, à l’instar de Sfumato (2012), qui raconte l’histoire de réfugiés climatiques.

Voir le trailer de Sfumato et un entretien avec Rachid Ouramdane au sujet de la pièce

Robyn Orlin

Robyn Orlin

Robyn Orlin est une chorégraphe sud-africaine née en 1955, convaincue que « l’art ne sert à rien s’il n’est pas en prise avec le réel. » Elle invente donc des performances scéniques dans lesquelles les interprètes mettent en scène leur personnalité hors norme pour explorer des problématiques historiques en écho à des situations contemporaines. Ses spectacles protéiformes utilisent la danse, le théâtre et la vidéo et les interprètes interagissent avec le public pour l’interpeller de manière à la fois brutale et joyeuse.

Ainsi, dans Oh Louis… We Move From the Ballroom to Hell While We Have to Tell Ourselves Stories at Night so That We Can Sleep… (2018), le danseur étoile Benjamin Pech mélange monologues autobiographiques sur son passé à l’Opéra, histoire de l’invention du Code Noir de l’esclavage par Louis XIV, et évocation de la situation actuelle des migrants traversant la Méditerranée. Violent, ironique, jouissif et poétique, le spectacle juxtapose grandeur et ridicule, leçons d’épluchage d’oranges et solos virtuoses, dans une abondance de matière qui évite toute forme de simplisme idéologique.

Voir un extrait de Oh Louis…

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