Alors que la pandémie de Covid redéfinit tous les aspects de notre vie quotidienne, y compris les transports et le tourisme, le livre de Juliette Labaronne, Slow train, paru en 2019, est plus que jamais d’actualité.
À l’occasion du cycle « Vivre durable » proposé par la Bpi en mai et juin 2021, Balises a rencontré son autrice pour l’interroger sur ses « échappées ferroviaires » et le slow tourisme qu’elle défend.
Quel a été le point de départ de Slow Train ?
C’est parti d’une envie, d’un constat personnel. J’ai toujours énormément voyagé en train. Je ne possède pas de voiture, je suis très soucieuse de mon empreinte carbone et de ce que ma façon de vivre peut apporter en termes de préservation de l’environnement. Je me suis penchée plus précisément sur les lignes de train en France pour plusieurs raisons. J’ai collaboré pendant plusieurs années avec la SNCF pour un de leurs journaux internes, spécialisé sur les mobilités régionales. J’ai donc eu l’occasion de découvrir de l’intérieur ce réseau et cela m’a donné peu à peu l’envie de le parcourir à titre personnel.
J’ai toujours aimé voyager en sortant des sentiers battus. Pendant toutes ces années, les City breaks se développaient à fond. Je voyais plein de gens autour de moi prendre des vols à bas prix pour aller passer trois jours dans des capitales européennes… Je n’ai rien contre mais je trouvais, à titre personnel, que c’était absurde de faire des milliers de kilomètres pour un temps si court. On survole les paysages et on ne prend pas le temps de s’imprégner sur place. Ce n’est pas ma façon de voyager.
J’ai donc cherché un livre pour moi sur ces questions et j’ai constaté que ça n’existait pas. Il y avait des livres très techniques pour des passionnés du ferroviaire, des « ferrovipathes », ce qui n’est pas mon cas. Ce que je voulais, c’était montrer aux gens qu’ils peuvent découvrir leur région, leur pays, et qu’on peut vivre un voyage très dépaysant sans forcément dépenser beaucoup en argent et en carbone. Je voulais faire un manifeste pour redécouvrir un voyage plus sobre, à tous points de vue. Et comme j’ai écrit dans la presse pendant plus de quinze ans sur les questions d’environnement et de durabilité, j’avais un savoir-faire qui me permettait de l’envisager.
Votre livre était d’actualité lors de sa sortie en 2019. Il l’était encore plus en 2020 et en 2021 avec la crise du Covid et l’impossibilité de voyager loin de chez soi. Envisagez-vous une suite ? Des lignes encore inexplorées ou une version européenne ?
Le livre est tombé à pic et il continue de rencontrer son petit succès. Je l’ai écrit à une époque où ces questions étaient beaucoup moins présentes, et je suis très contente qu’il accompagne les changements en cours.
J’ai choisi trente échappées ferroviaires en essayant de les répartir sur tout le territoire, pour que chacun puisse trouver à côté de chez soi quelque chose qu’il ne connaît pas. On pourrait envisager une suite en France mais j’envisage plutôt une suite européenne, toujours par le rail, avec la même optique. Pour montrer aux gens qu’on peut faire des voyages extraordinaires en Europe, le continent ferroviaire par excellence. Ce projet a été légèrement décalé… J’avais fait un premier voyage vers l’Europe centrale juste avant le début de la pandémie. J’ai mis ce projet entre parenthèses en attendant que les choses se calment.
2021 a été déclarée « année européenne du rail ». Avez-vous l’impression qu’un mouvement positif est en cours, après des décennies de suppression des petites lignes et des trains de nuit ?
L’année du rail accompagne une prise de conscience très forte sur le climat. L’État et l’Union européenne s’intéressent de nouveau aux lignes transeuropéennes, qui ont progressivement été fermées avec l’essor de l’aérien à partir des années quatre-vingt. Les rails existent toujours mais il n’y a plus de trains directs. Je pense au train de nuit Paris-Berlin par exemple, qui était la norme pour se rendre à Berlin il y a une quinzaine d’années. À l’échelle du pays également, on a fermé un nombre incalculable de lignes de train de nuit. Des liaisons de Paris vers la Province comme Paris-Nice ou Paris-Biarritz, mais aussi Strasbourg-Perpignan, ou encore Nantes-Lyon…
Actuellement, je ressens un vrai sursaut, de la part de la jeunesse notamment, qui est largement mobilisée dans les manifestations pour le climat. Cette génération a pris à bras le corps ces questions-là et décidé de faire ce qu’elle peut pour ne pas concourir à la facture carbone, avec une appétence claire pour le voyage autrement.
C’est un énorme chantier qui s’ouvre pour le tourisme français et mondial. On peut aller dans une auberge durable au Costa Rica, dans un parc naturel où tout est recyclé, si on a pris l’avion pour y aller, ce n’est pas du tout viable. Si on continue de voyager comme ça, on va directement dans le mur. Les gens en parlent, s’informent, se questionnent, et l’Union européenne accompagne ces réflexions. La pression populaire agit et l’Europe est obligée d’accompagner ce mouvement, de signer des COP, de s’engager à baisser les émissions carbone…
Pour le moment, il s’agit de déclarations d’intentions. Elles n’existaient pas il y a deux ans donc c’est déjà très bien. Maintenant il va falloir que ça se traduise en actes. Et ça prendra du temps. Plusieurs compagnies de chemins de fer européennes sont concernées, il faut qu’elles se concertent. Il y a aussi l’ouverture à la concurrence sur le transport de personnes sur le sol français, effective depuis début 2020. Cette ouverture peut avoir des bienfaits, comme l’initiative de Rail Coop par exemple, qui va relancer une transversale Bordeaux-Lyon. J’attends de voir.
En tous cas, je pense que la prise de conscience citoyenne est là. La prise de conscience au niveau des décideurs aussi. Seulement, le train n’est pas facilement rentable. Il y aura toujours des petites lignes déficitaires qui devront être subventionnées, comme c’est le cas actuellement.
Le livre s’inscrit dans une démarche plus globale, le slow tourisme. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai mis le nez dans toutes ces questions en faisant des recherches pour mon livre. J’avoue qu’au départ, je n’avais pas idée des chiffres monstrueux que j’ai découverts sur l‘empreinte carbone du tourisme mondial. Ce sont des informations qui ont émergé récemment, et c’est une vraie question, alors qu’aujourd’hui le monde entier veut voyager. L’idée, c’est d’aller au-delà du train et de s’intéresser à la question du tourisme dans son ensemble. Ce n’est pas uniquement le moyen de transport, qui compte beaucoup, c’est aussi l’état d’esprit : revenir à des choses plus simples et changer de paire de lunettes.
Quand on part en vacances, on a besoin de ralentir, de se changer les idées, de voir autre chose. Il faut se mettre dans un état d’observation, de contemplation, pour se laisser aller à ce qu’on découvre. Et ça, on peut le faire tout près de chez soi. Quand vous habitez une grande ville, vous allez trouver plus de dépaysement en rase campagne à cent-cinquante kilomètres de chez vous que dans une grande capitale européenne, où vous allez retrouver les mêmes enseignes, les mêmes expositions, les mêmes films…
L’idée du site Slow trip est d’essayer de transmettre ça en restant très pragmatique, en donnant des solutions concrètes. Sur les labellisations d’hébergements, les nouvelles tendances de voyages, les outils pour modéliser ses itinéraires à pied, à vélo… Il s’agit d’accompagner et présenter les nouveautés dans ce secteur.
Pensez-vous que la pandémie et toutes ses conséquences vont contribuer à développer le slow tourisme ?
J’essaie d’être optimiste, il faut toujours le rester, surtout en ce moment ! Malheureusement en tant qu’écolo, mes espoirs ont souvent été douchés… Je pense que la pandémie a été un choc pour certaines personnes. Elle a remis plein de choses en perspectives. Les gens qui étaient déjà sensibilisés, enclins à réfléchir un peu différemment, ceux qui hésitaient ou vacillaient auront été totalement transformés par la pandémie. Après, il reste ceux qui refusent de voir la réalité parce qu’elle est trop difficile. Des sociologues étudient le déni en écologie, c’est très intéressant. C’est une phase qui précède la prise de conscience et qui peut être très longue. On peut aussi rester bloqué dans le déni…
Les frontières ont été fermées pendant plus d’un an, il va y avoir une envie de dévorer les kilomètres, de faire la fête, qui va être énorme, et je le comprends. On parlait du « monde d’après » au début de la pandémie, je ne crois pas à ce concept. Il va encore falloir beaucoup travailler et proposer des alternatives au grand public pour un voyage plus durable, parce qu’il n’est pas question de retourner au 19e siècle où seuls les aristocrates voyageaient.
Vous évoquez, dans l’introduction de votre livre, La Recherche du temps perdu de Proust et la figure hautement littéraire du clochard céleste. Quels livres nous conseillez-vous pour nos prochaines escapades en train ?
J’adore Proust. Il a écrit à l’époque où le train a émergé. Quand j’ai écrit Slow Train, j’étais plongée dans le 19e siècle, au moment où cette nouvelle technologie arrivait, de façon très brutale. Le pays s’est couvert de rails en cinquante ans. Il y avait des gens qui avaient peur d’avoir la tête déformée à cause de la vitesse…
J’adore aussi Kerouac et tous les écrivains de la Beat Generation, qui ont bercé mon adolescence. Ils ont été des guides pour moi, sur une certaine façon de voyager, parfois au hasard, et de s’émerveiller de chaque détail. Dans les voyages, on se souvient toujours de l’inattendu. Même si on a vu la septième merveille du monde, le Taj Mahal, l’Empire State Building ou le Grand Canyon, ce qui fait le sel d’un voyage, c’est le truc imprévu, qui peut être une galère sur le moment. Il faut accueillir ça. Je trouve que les écrivains de la Beat Generation, qui s’élevaient contre la société de consommation en pleine explosion à ce moment-là, peuvent nous guider aujourd’hui quand on souhaite s’écarter de la route toute tracée.
Il y a aussi Jack London, et toute la littérature américaine, les grands espaces, l’imagination. Ils ont un art de l’écriture du voyage qui pour moi reste inégalé. Mais il y en aurait plein d’autres… Ce qui est génial c’est de prendre un livre qui se passe là où vous allez. Dans mon livre, il y a une ligne que j’affectionne particulièrement, le Cévenol, qui va de Clermont-Ferrand à Nîmes, on traverse toutes les Cévennes. Si vous emportez Voyages avec un âne dans les Cévennes, de Stevenson, et que vous faites étape à Langogne, c’est extraordinaire. C’est bien de marier ses lectures avec ses destinations, pour découvrir les paysages qu’un auteur a sublimés. Et le train se prête énormément à la lecture.
Le livre de Juliette Labaronne s’ouvre sur une citation du Côté de chez Swann, de Marcel Proust. C’est en effet à la recherche du temps perdu qu’elle nous invite avec ce guide pour voyager en train dans toute la France en évitant les trains à grande vitesse (souvent chers, complets et plus polluants). L’autrice nous propose de redécouvrir les réseaux ferroviaires secondaires et les trains à l’ancienne (TER, Corail, Micheline…), plus accessibles et qui proposent souvent des places pour les vélos.
Avec ce livre synthétique, pratique et joliment illustré, Juliette Labaronne s’inscrit à l’opposé du « City break survolté » et préfère rendre hommage aux « clochards célestes » qui vivaient en marge de la société de consommation et voyageaient en sautant d’un train de marchandise à un autre. Elle montre ainsi qu’un tourisme sans avion et sans voiture est possible en proposant une série d’itinéraires avec cartes, fiches signalétiques des trains empruntés, focus sur les villes et les curiosités à voir en chemin et aperçu des spécialités culinaires locales. Paris-Noyelles-sur-mer, Brest-Quimper ou Bordeaux-Le Verdon sont quelques-unes des échappées que propose ce guide.
Slow trip, le site de Juliette Labaronne propose des conseils pour voyager durable, ralentir le rythme et voir du pays en sortant des sentiers battus, à partir des 3 000 gares que compte la France…
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