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Trois bonnes raisons d’écouter Répons de Pierre Boulez

En cette année 2025, anniversaire des 100 ans de la naissance de Pierre Boulez, les hommages fleurissent : conférences, concerts, articles, émissions de radio… La personnalité et le talent du compositeur et chef d’orchestre, mort en 2016, donne en effet matière à de nombreux commentaires. Son œuvre, souvent présentée comme aride ou intellectuelle, peut être difficile à aborder pour un néophyte. Balises relève le défi de vous faire découvrir ou redécouvrir Répons, une pièce qui mérite d’ouvrir en grand ses oreilles !

Répons, de Pierre Boulez, est créée en 1981 dans sa première version. Elle a été composée sur le principe du work in progress (travail en progression, chantier en cours), cher au compositeur. Deux autres versions paraissent en 1982 et 1984. C’est une œuvre dite « ouverte », offrant plusieurs trajectoires possibles : la structure n’est pas figée une fois pour toutes, mais peut changer à chaque exécution en fonction de l’interprète, qui donne à l’œuvre une forme parmi les multiples combinaisons que la partition rend possibles.

Répons est une pièce écrite pour six solistes, un ensemble de chambre, sons électroniques et dispositif électroacoustique en direct.
Les solistes : six instruments résonnants. Deux pianos, une harpe, un vibraphone, un glockenspiel (ou un xylophone en fonction des versions) et un cymbalum.
L’ensemble de chambre : il est composé de deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, une clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux violoncelles et une contrebasse.
Le système électroacoustique : il comprend un ordinateur et six haut-parleurs, transforme et spatialise le son des solistes.

L’œuvre s’inspire des principes du chant responsorial (d’où son nom) : il s’agit d’un dialogue, sous forme de questions-réponses entre les solistes et l’ensemble de chambre. Le titre de l’œuvre ne renvoie pas seulement au dialogue entre les solistes et l’ensemble, au dialogue des solistes entre eux, mais aussi au dialogue entre le son transformé et celui qui ne l’est pas, au dialogue de plusieurs matériaux sonores entre eux.

D’une durée de 45 minutes environ (pour la version de 1984), elle est structurée en dix parties : une introduction, huit sections et une coda qui s’enchaînent sans interruption.

Mais pourquoi donc écouter Répons ? Après ce préambule, et avant d’aller plus loin, il est temps de mettre son casque, de lancer cette vidéo et d’écouter l’œuvre, interprétée par l’Ensemble intercontemporain, sous la direction de Matthias Pintscher.

Répons, par l’Ensemble intercontemporain, sous la direction de Matthias Pintscher.
Réalisation informatique musicale : Ircam, Andrew Gerzso, Gilbert Nouno.
Enregistrement en direct à la Philharmonie de Paris, le 11 juin 2015.

Un défi spatial et technique inédit

Pour être jouée dans les conditions voulues par Pierre Boulez, l’œuvre nécessite une disposition spécifique des musicien·nes dans la salle de concert et un aménagement de celle-ci. C’est la raison pour laquelle elle a été assez peu jouée depuis sa création : certaines salles ne permettent pas une telle installation.

Photo couleur, prise à la Philharmonie de Paris le 6 janvier 2025 lors de la représentation de Répons de Pierre Boulez. Vue plongeante sur la salle de concert.
Répons à la Philharmonie de Paris, le 6 janvier 2025 – Crédits photo : Mathias Benguigui

Prenez un espace, disposez six instruments résonnants (les solistes) en hauteur, en périphérie. Au centre un·e ingénieur·e du son et son ordinateur, l’ensemble de chambre, composé de 24 instruments de tous types (cordes, bois, cuivres) et le ou la chef·fe d’orchestre. Tout autour de l’ensemble, le public. En fonction des salles, les musicien·nes peuvent donc être séparé·es par des distances assez importantes. L’installation est complétée par un dispositif électroacoustique de six haut-parleurs, disposés entre les solistes, transformant et spatialisant en temps réel le son qu’ils ou elles produisent.

Cette disposition originale fait de Répons une œuvre à écouter mais aussi à découvrir sur scène. 

Installation des musicien·nes dans l’espace pour Répons – Crédits image : BRAHMS Ircam, fiche technique de l’œuvre

Dans les années 1980, date de composition de Répons, l’informatique n’avait pas atteint le niveau de développement et les possibilités techniques d’aujourd’hui. Les ingénieurs de l’Ircam ont donc réalisé une prouesse à l’époque pour concevoir et développer les machines et logiciels nécessaires à l’enregistrement en direct, la conversion et la spatialisation du son.

Une expérience musicale immersive unique

L’intervention de l’électronique, le travail sur la spatialisation du son, la richesse des timbres des différents instruments, la présence des instruments solistes résonnants qu’on a peu l’habitude d’entendre (vibraphone, glockenspiel) font de Répons une pièce épique et gigantesque, pleine de rebondissements.

Des échos, des éclats, des halos sonores se déploient dans toute la salle, en prolifération ou en miroir déformant lorsque l’ordinateur enregistre, interprète et redistribue les figures des solistes dans les six haut-parleurs. L’auditeur·rice se trouve instantanément plongé·e dans un espace multiple, à la fois fixe et explosé. Toutes et tous, public et musicien·nes, se mettent à flotter dans un matériau sonore qui se propage dans cet espace, qui semble agrandi par les sons électroniques et les haut-parleurs.

Photo couleur, prise à la Philharmonie de Paris le 6 janvier 2025. Au premier plan les ingénieurs du son et leur machines; Au deuxième plan, en hauteur l'Ensemble intercontemporain et le chef d'orchestre Pierre Bleuse.
Répons à la Philharmonie de Paris, le 6 janvier 2025 – Crédits photo : Quentin Chevrier

Un flux ininterrompu et haletant

Répons est une œuvre qui  laisse peu de moments de répit ou de silence à l’auditeur·rice. Elle pourrait aisément illustrer un film d’Alfred Hitchcock. Étrange, souvent inquiétante, elle évoque une course poursuite sans fin, sans reprise de souffle.

Les nappes sonores amplifiées par le dispositif électroacoustique, les motifs de trilles, les traits virtuoses des solistes et les réponses de l’orchestre en réponse créent une atmosphère de suspense, on pense à Vertigo (Sueurs froides, 1958). La forme spirale de l’œuvre donne à celui ou celle qui écoute une sensation de vertige, de passé, de présent et de futur qui se mêlent et se répondent. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sort pas indemne de cette découverte. Et si vous avez l’occasion d’entendre cette œuvre sur scène, ne ratez pas cette expérience !

Publié le 27/01/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Article Ircam | Dans le labyrinthe de Répons. Un entretien avec Andrew Gerzso

Répons, le grand œuvre de Pierre Boulez réalisé à partir des années 1980, marque un geste fondateur pour la création musicale, pour l’électronique et pour l’Ircam. L’ampleur exceptionnelle de sa genèse ne laisse rien au hasard, ni à l’indécision. Retour sur un chantier grand ouvert, auquel a contribué Andrew Gerzso qui travaillait aux côtés du compositeur, dans les studios et les salles de concert.

Playlist Tympan | La spatialisation de la musique chez Pierre Boulez

L’espace est conçu dans la musique contemporaine comme une dimension essentielle de la création sonore. Cette conception spatiale du son révolutionne la musique de Pierre Boulez : la trajectoire, la disposition et le mouvement sonores deviennent chez lui des éléments constitutifs de la composition. Sa démarche artistique vise à donner à l’espace une fonction active, intrinsèquement liée au temps, transformant radicalement la perception et l’expérience musicales.

À écouter sur Tympan, sur place à la Bpi.

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