Depuis le premier tome de L’Arabe du futur, paru en 2014, Guillaume Allary publie toutes les bandes dessinées de Riad Sattouf au sein d’Allary Éditions, maison de littérature générale. Si leur collaboration et leur amitié sont antérieures, ce titre représente pour l’un comme pour l’autre l’aboutissement d’un projet essentiel.
Comment avez-vous rencontré Riad Sattouf ?
Nous nous sommes rencontrés par hasard, à la foire du livre de Brive en 2002. Je connaissais Manuel du puceau et Ma circoncision, publiés par l’Association. Cela me faisait hurler de rire et je me disais : « qui est cet auteur qui fait des livres pour enfants qui ne sont pas du tout pour eux ? » Je trouvais qu’il y avait quelque chose d’incroyablement littéraire dans ces livres.
À cette époque, j’étais en train de créer une collection chez Hachette Littérature, à mi-chemin entre le roman graphique et la bande dessinée de reportage avec une forte dimension littéraire. C’est exactement ce dont Riad Sattouf avait envie. Notre première collaboration, Retour au collège, a initié la collection « La Fouine illustrée ».
En créant cette collection, vous donniez déjà à la bande dessinée une place dans une maison d’édition généraliste… Aujourd’hui, Riad Sattouf est le seul auteur de bande dessinée chez Allary Éditions.
Ce qui m’intéresse, c’est de faire reconnaître les auteurs de bande dessinée comme des auteurs à part entière. Il n’y a aucune raison de considérer la bande dessinée comme un genre mineur. C’est une de mes obsessions, j’ai la même pour le cinéma documentaire, qui n’est pas un sous-genre par rapport à la fiction ! C’est sur cette philosophie que Riad et moi nous sommes retrouvés et qu’a été créée la collection « La Fouine illustrée ». Je n’aime pas enfermer les auteurs dans un genre, c’est pour cela qu’Allary Éditions est une maison de littérature générale. Dès Manuel du puceau, j’ai vu que Riad avait une force littéraire, un sens de la dramaturgie, de la mise en scène, supérieurs à bien des romanciers. Des auteurs de cette qualité doivent être reconnus comme des auteurs littéraires.
Comment travaillez-vous avec Riad Sattouf ?
Je travaille avec lui comme avec n’importe quel auteur de littérature, avec des réflexes d’éditeur de littérature générale. Cela dit, avec Riad nous avons un mode de fonctionnement très particulier. L’Arabe du futur est un projet dont nous parlons depuis près de quinze ans. Il a bien sûr évolué au fil des discussions. Pour chaque volume, quand Riad me dit : « je suis prêt », nous nous retrouvons dans un café. Il a absolument toute l’histoire en tête, toutes les séquences de l’album, et il me raconte les scènes. Parfois, il les mime, c’est un excellent imitateur ! Pendant deux heures, je ne l’interromps pas et le livre, qui n’existe encore que dans sa tête, prend vie devant moi, séquence après séquence. Ce sont des moments très forts. Ensuite, il y a toujours des discussions, par exemple, pour donner plus de tension à une scène. Parfois, une deuxième séance au café est nécessaire. Une fois le déroulé établi, Riad commence le storyboard, au crayon de papier, avec tous les découpages. Je le relis en entier en faisant surtout attention aux questions de rythme et de tension narrative. Avec le storyboard, le nombre de pages est déterminé, la date de sortie est fixée et un rétroplanning de fabrication est établi. Riad se met alors « en sous-marin », il s’enferme dans son atelier, ne voit plus personne et dessine les planches, une par une. Il me les envoie par paquets. Je regarde et corrige alors essentiellement les voix off. Là, c’est l’éditeur de littérature qui intervient. Ensuite commence le travail de Jeanne-Zoé Lecorche, la correctrice personnelle de Riad, une universitaire qui connaît toute l’œuvre de Riad par cœur, et Charline Bailot, la coordinatrice éditoriale. C’est cette équipe qui accompagne le livre tout au long du process de fabrication.
Et pour Les Cahiers d’Esther ?
C’est différent puisque les planches paraissent d’abord, chaque semaine, dans L’Obs. J’essaie de ne pas les regarder pour les découvrir au moment de la constitution de l’album, même si je résiste rarement. Toutes les planches sont retravaillées : le titrage, les textes… Il y a un vrai travail éditorial. La matière première est bien la même que celle pré-publiée dans L’Obs, mais les albums ne sont pas des compilations. Riad est perfectionniste. Lorsqu’il revoit son travail, il cherche toujours à l’améliorer.
Riad intervient énormément à toutes les étapes de la phase de fabrication. Il fait les calages chez l’imprimeur. C’est lui qui choisit le papier de couverture, les encres, le mode de reliure : tout est cousu. Le tome 4 de L’Arabe du futur est imprimé à 200 000 exemplaires. Jamais un livre avec un tel tirage n’a une reliure cousue. D’ordinaire, c’est réservé aux livres de luxe, tirés à peu d’exemplaires. Tout cela fait que L’Arabe du futur et Les Cahiers d’Esther sont des objets de très grande qualité de fabrication. Le lecteur n’en a sans doute pas tout à fait conscience, mais avoir un bel objet entre les mains est extrêmement important et valorisant.
Ce sont des objets très différents. Publiés chez le même éditeur, ils existent de manière autonome…
Exactement. Chacun doit avoir sa forme propre. C’est l’œuvre qui prime sur les contraintes éditoriales. Les albums des Cahiers d’Esther n’ont pas un format standard, peu importe. Nous voulions que cela soit très coloré, très attirant et en même temps très classique, un peu comme un Tintin. Finalement, c’est la référence que nous avions.
Le succès de L’Arabe du futur vous a-t-il étonné ?
Je m’attendais à ce que ce livre soit un événement en lui-même. Quand j’ai voulu créer la maison d’édition, Riad est un des premiers auteurs que j’ai contactés. C’était simple : s’il acceptait de faire ce projet, L’Arabe du futur, dans cette maison, je la créais. Dans le cas contraire, je ne la faisais pas. Il a tout de suite répondu positivement. Pour moi, il s’agissait donc d’un livre fondamental. Cela faisait trop longtemps que nous en parlions, qu’il n’arrivait pas à l’écrire. Je m’attendais donc à ce que cela soit un livre très fort, peut-être son meilleur parce que c’était son histoire, mais je ne m’attendais pas à l’ampleur du succès. Comme pour Retour au collège, je tablais sur 30 000 exemplaires. Aujourd’hui, le premier volume s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires, et nous en sommes à vingt-deux traductions dans le monde !
Propos recueillis par Jérémie Desjardins et Marie-Hélène Gatto
Article paru initialement dans de ligne en ligne n°27
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