Interview

Appartient au dossier : Rire !

« En prison, rire fait toujours trembler les murs »
Entretien avec Gwénola Ricordeau, sociologue

Politique et société

CC0 Creative Commons - Photo by Jakob Owens on Unsplash

Gwénola Ricordeau est sociologue, maître de conférences à l’université Lille-1. Son expérience de terrain auprès des détenus et de leurs proches bouscule les clichés.

Peut-on rire en prison ?

Bien sûr ! L’expression « triste comme une porte de prison » ne dit pas tout de l’expérience de la prison. Personnellement, si mes liens avec des personnes détenues ont été émaillés de moments dramatiques, j’ai beaucoup de souvenirs joyeux de parloir. Dans mon travail de sociologue, j’ai également relevé le rôle de l’humour dans les relations entre personnes détenues, mais aussi entre les personnels et les prisonniers.

De quoi rient les détenus ?

Il est difficile de trouver ce qui pourrait constituer le hors-champ de l’humour prisonnier. Évidemment, à la formule de Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui  », on ajoutera fermement «  ni n’importe quand, ni n’importe où ». L’humour prisonnier vise d’abord la justice, la police et la prison — et finalement, le «  système », la société. Des boutades éculées comme «  avoir fait centrale » ou « l’école du crime » sont, par exemple, révélatrices du peu de crédit de la prison quant aux rôles qu’elle est censée remplir.
Le rire prisonnier n’épargne pas les détenus, même s’il est rarement dénué d’une certaine tendresse pour leurs travers (se dire systématiquement innocent, par exemple…).

Dessin d'humour sur une porte
CC0 Creative Commons – 2204574 sur Pixabay

Quels sont les autres objets de l’humour des prisonniers ?

J’ai relevé des figures récurrentes, comme celle du «  cave », de l’arrivant ou du délinquant sexuel. J’ai également recueilli beaucoup d’histoires qui donnent le beau rôle aux prisonniers ou aux criminels et qui permettent de rire en disant «  on n’a pas payé le coup ! »

Le rire est-il un facteur d’intégration en prison ?

En prison, le rire est, comme dehors, multiple : il y a le rire des prisonnières et celui des prisonniers, le rire des grands voyous et celui des petits voleurs… Il y a même matière à faire une géographie des espaces du rire en prison: les parloirs, les promenades, les cellules… Et, parce qu’«  il y a un temps pour pleurer et un temps pour rire », il existe aussi des temporalités de la pratique du rire qui renseignent sur l’expérience carcérale. Mais l’une des fonctions du rire est de créer de la connivence entre prisonniers et l’humour signale une capacité à savoir « faire son temps ».

En prison, le rire peut-il avoir un aspect inconvenant ?

En tant que proches de détenus, on apprend vite, avec les travailleurs sociaux, qu’il est attendu de nous qu’on se plaigne de notre sort et qu’on arbore un air sinistre. En prison, le rire fait toujours trembler les murs, car il reconnaît implicitement que «  si les murs des prisons sont hauts, c’est pour que les gens dehors se croient libres ».

Propos recueillis par Jérémie Desjardins, Bpi

Article paru initialement dans le numéro 19 du magazine de ligne en ligne

Publié le 17/07/2018 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Les Détenus et leurs proches : solidarités et sentiments à l'ombre des murs

Gwénola Ricordeau
Éditions Autrement, 2008

À la Bpi, niveau 2, 305.35 RIC

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