Portrait

Le son de Steve Albini
« De la pureté »

Musique

Dans le rock dit « indépendant », de la fin du 20e siècle, enregistrer avec Steve Albini relevait à la fois du sésame et de l’épreuve.

La discographie de Steve Albini (1962-2024), en tant que musicien comme en tant que producteur, est un modèle d’intransigeance. Ses groupes Big Black, Rapeman et Shellac sont un condensé de rock abrasif hardcore.

Shellac, Squirrel Song (extrait de 1000 Hurts, 2000)

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Steve Albini, producteur intransigeant

En termes de ventes, c’est comme producteur (même s’il refuse le titre) qu’il réalise ses meilleurs scores : Pixies, Nirvana, Jimmy Page & Robert Plant… Mais du côté de ces groupes porteurs et de leurs labels, ce « son Albini » qui ne concède rien au mainstream – au contraire – peut être synonyme de tassement. Pourtant, cette intransigeance attire les musiciens, quitte à vendre moins de disques (du moins provisoirement) :

 
« Une grande partie de mon travail d’ingénieur du son, explique-t-il, a été de faire coïncider l’expérience de l’écoute d’un disque avec le souvenir sensoriel que j’en avais au moment où ça se passait ». Ce naturalisme esthétique, non dénué d’ambiguïtés, « servait de repoussoir à un monde dans lequel les disques de rock étaient de plus en plus « fabriqués » plutôt qu’enregistrés, péniblement assemblés à grands coûts sur de longues périodes de temps, avec des timbales fantômes partout. »

 
(in Greg Milner, Perfecting Sound Forever)
Pixies, Where is my Mind ? (extrait de Surfer Rosa, 1987)

C’est qu’outre la spontanéité, Albini privilégie une certaine forme de productivisme plus ou moins égalitaire à un investissement (logistique et financier) sur de gros projets phares. Selon Clément Tuffreau (« Steve Albini – De la pureté », Melting-Pop, la pop music et son contraire), « il s’est fixé une ligne de conduite hyper rigide : il serait un worker, un ouvrier ; il refuserait le poste de producteur pour rester un “simple” technicien, ingénieur du son ou engineer. » 

Jimmy Page & Robert Plant, Please read the letter (extrait de Walking into Clarksdale, 1998)
sloy plug
Sloy, Plug

En entrant à l’Electrical Audio, son studio, Il n’y aura donc pas de différence de traitement entre des stars comme Jimmy Page & Robert Plant, PJ Harvey ou Nirvana, et des musiciens peu connus des médias comme The Ex, Fugazi, ou les français de Sloy.

La constance de l’engagement (non exclusif bien entendu) de Steve Albini auprès d’eux  témoigne cependant de leur importance à ses yeux : plus de vingt ans dans le cas du duo industriel Whitehouse.

The Ex, Towns of Stone (extrait de Dizzy Spells, 2003)

Steve albini, « vrai » rockeur

Steve Albini serait donc le « défenseur d’une mythologie presque réactionnaire de la musique rock, avec à l’appui (et en cohérence) tout la panoplie de « vrai » rocker underground ou « punk », brut, « authentique », le disque vinyle et l’ampli-guitare à lampes au son super-analogique (…) Les disques qu’il a produits sont souvent des monuments de sécheresse agressive, de brutalité nue, de rock brut, rêche »

(Clément Tuffreau, ibid.)
joanna newsom ys
Joanna Newsom, Ys

Mais pas seulement. La préférence marquée d’Albini pour des formes de rock hardcore privilégiant l’efficacité du trio basse-guitare-batterie ne doit pas masquer son goût pour des sonorités radicalement différentes, ou s’éloignant de cette base. Des subtilités acoustiques de Joanna Newsom au post-rock de Tortoise ou Godspeed You! Black Emperor, en passant par les bizzareries cubistes de Gastr del Sol et la pop rèche de Wedding Present, The Auteurs ou Electrelane, sa discographie témoigne d’une volonté : celle d’arracher au nivellement esthétique et éthique du mainstream l’essentiel de ce qui compte, pour lui, dans le rock – ou les musiques issues du rock – d’aujourd’hui.

Electrelane, Bells (extrait de Axes, 2005)

Cette sensibilité ouverte, chevillée à une certaine radicalité éthique, Steve Albini la partage avec de nombreux musiciens de sa ville, Chicago.C’est ce qui lui vaut de figurer aux côtés des jazzmen free Ken Vandermark et Nate Wooley, ou du guitariste post-rock David Grubbs, également artiste sonore, dans le beau film documentaire d’Augusto Contento Parallax Sounds, réalisé en 2012.

Publié le 12/04/2024 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Perfecting Sound Forever

Greg Milner
Castor astral, 2014

À l’heure du dématérialisé et du digital, Greg Milner retrace l’évolution des techniques d’enregistrement avec en toile de fond l’histoire de la musique. Il souligne l’influence réciproque entre musique et technologie et pose les problématiques de l’authenticité et de la perfection musicale. Derrière cette évolution, se dévoile la contribution d’hommes passionnés par la musique et sa captation : Edison, John et Alan Lomax, Steve Albini, King Tubby, Neil Young…

À la Bpi, niveau 3, 780.62 MIL

Take One. Les producteurs du rock

Nicolas Dupuy
Castor astral, 2012

Ce document retrace l’histoire du rock à travers les portraits d’une soixantaine de producteurs, de Sam Phillips à Nigel Godrich en passant par Phil Spector, Brian Eno, Tony Visconti, Martin Hannett, Steve Albini…

À la Bpi, niveau 3, 780.62 DUP

Steve Albini, le problème est résolu

Frontman et figure emblématique de Shellac, un des groupes les plus authentiques du circuit, mais également producteur d’une ribambelle d’albums (cultes pour certains), Steve Albini a forcément une opinion assez tranchée au sujet de la musique et de son business.

Discours prononcé lors de la conférence « Face The Music » à Melbourne, Australie, le 15 novembre 2014 – Retranscription écrite de The Guardian du 17 novembre 2014, traduite ici en français par Matthieu Choquet pour Mowno.com – Autres photos disponibles sur mixwiththemasters.com, séminaires en production musicale ayant lieu en France.

« Salut à Steve Albini, intransigeant sculpteur d’un son brutal (Pixies, Nirvana, PJ Harvey) », podcast Very Good Trip | France Inter, 14 mai 2024

Dans son podcast, Michka Assayas entraîne les auditeur·rices dans les contrées magiques du rock. Cet épisode est dédié à Steve Albini, décédé au printemps 2024.

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