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Appartient au dossier : Le cinéma contemplatif d’Audrius Stonys

Le temps suspendu d’Audrius Stonys

Le cinéaste lituanien revient sur son œuvre, poétique et sensible, observation attentive des êtres et du monde, pour mieux conserver les traces d’existences et défier le temps. Balises a rencontré Audrius Stonys, dans le cadre de la rétrospective que la Bpi lui consacre, en écho à la saison de la Lituanie en France, du 7 au 18 novembre 2024

Portrait en noir et blanc d'une fillette
Alone d’Audrius Stonys (2001) © Audrius Stonys – Studio Nominum

Le sourire d’un ouvrier, la main d’une vieille dame aveugle caressant son chat, la joie de jeunes marié·es… Le réalisateur lituanien Audrius Stonys filme au plus près ses contemporain·es. Attentif à leurs gestes, leurs regards, leurs silences, leurs émotions, il capte l’infiniment petit, les détails de leur vie intérieure. Il se considère lui-même comme un héritier des cinéastes lituaniens Henrikas Šablevičius et Robertas Verba, à l’initiative du « documentarisme poétique » dans les années 1960. Cette forme artistique se distingue du documentaire officiel, utilisé à l’époque soviétique à des fins de propagande. Elle s’intéresse à la poésie des gestes du quotidien, pour raconter l’histoire des Lituanien·nes, sans discours. « Je crois aux images. Au cinéma, on ne peut pas tout décrire avec des mots », affirme Audrius Stonys, partageant la vision de ses prédécesseurs. Soucieux de saisir la vie et de conserver la mémoire des existences fugaces, il filme avec sensibilité les hommes et les femmes.

Arrêter le temps pour capter l’invisible

« Pour saisir les détails, il faut savoir arrêter le temps. Le documentaire exige de ralentir et de changer de perspective », nous confie Audrius Stonys. Cet arrêt sur image se retrouve dans toute sa filmographie. Le cinéaste s’attarde sur le silence d’un ouvrier, à qui il pose des questions existentielles (Fedia, 1999). Il capture des moments de complicité entre une spécialiste des glaciers et son chien, mais aussi les regards que la scientifique pose sur un paysage enneigé (The Woman and the Glacier, 2016). Il filme longuement un vieillard face à un lac, pour nous inviter à entrer dans la contemplation avec cet homme (Earth of the Blind, 1992). Il est à l’écoute de la moindre manifestation de vie, humaine, animale ou végétale, et s’intéresse à l’instant présent. 

L’éveil des sens

Le souffle du vent (Earth of the Blind, The Woman and the Glacier), le son velouté de la neige, le clapotement de l’eau du glacier qui fond (The Woman and the Glacier), les inspirations et expirations laborieuses d’un homme sous appareil respiratoire (Countdown, 2004)… Le cinéma d’Audrius Stonys est sensitif. Le réalisateur accorde une grande importance à la bande-son en essayant de capturer toutes les traces sonores du vivant. Par cette écoute minutieuse, il établit aussi une connexion intime entre les spectateur·trices et les personnages de ses films. Dans Earth of the Blind, par exemple, la bande-son nous permet d’entendre les bruits comme les perçoivent les personnes aveugles. 

Audrius Stonys s’aventure aussi dans les descriptions tactiles. À l’image d’une maquilleuse posant délicatement son pinceau sur le visage d’une femme abandonnée aux soins de beauté (Uku Ukai, 2006). Ou des plans rapprochés sur les lentes respirations de curistes allongés dans leur bain, qui nous font partager leur bien-être et leur quiétude (Harbour, 1998). Pour être au plus près des personnes qui se livrent à sa caméra, le cinéaste cherche, sur chaque tournage, à instaurer un climat de confiance.

Filmer, c’est tisser des liens

« Pour capter l’invisible, ce que ressent un être au plus profond de lui-même, il faut du temps, de la patience et de l’écoute », explique le cinéaste. La vieille dame aveugle filmée pendant son sommeil (Earth of the Blind) témoigne de ce lâcher-prise rendu possible grâce à la confiance établie. Parfois, il est impossible de nouer un contact, comme c’est le cas avec la petite fille de six ans qui va voir sa mère en prison et ne laisse rien transparaître devant la caméra (Alone, 2001). Malgré tout, le lien entre la fillette et le réalisateur s’est créé puisque, comme le confie Audrius Stonys : « Vingt ans après, elle m’a écrit. Elle avait une fille, du même âge que le sien sur le tournage d’Alone. Cette anecdote révèle finalement qu’un documentaire ne délivre qu’une infime part de la vie des personnages, dont l’histoire a débuté bien avant le film et se poursuit après. Contrairement à la fiction, construite avec un début et une fin, le documentaire n’est qu’une petite fenêtre ouverte sur un tronçon d’existence. » 

Une lutte contre l’oubli

« Il n’y a rien d’éternel. Seul le changement est éternel. […] Le monde dans lequel nous vivons à présent, en train de disparaître, sera remplacé par de nouvelles variations, des mondes avec d’autres personnes, avec de nouvelles croyances », confie le réalisateur Mark Soosaar dans Bridges of Time (2018), le documentaire coréalisé par Stonys et Kristine Briede. En résonance à cette remarque, Audrius Stonys associe images actuelles et images d’archives. Dans Four Steps (2008), par exemple, il met en lumière les évolutions des traditions lituaniennes en confrontant des séquences de mariage issues de quatre époques différentes. Il révèle aussi la fragilité de l’existence et de la mémoire à travers les portraits de Ramin Lomsadje, un ancien champion de lutte, vieux et oublié (Ramin, 2011), et d’Augustinas Baltrusaitis, cinéaste dans une maison de repos dans laquelle nul ne sait vraiment qui il est.

Il filme les corps de vieillards, des lieux vides et empreints de souvenirs, comme témoignages du passage du temps. « Pour moi, la question cruciale est celle du temps, conclut Audrius Stonys. Quelle est notre relation au temps, comment le voyons-nous passer ? Mes films reflètent cette sorte de bataille avec le temps. Le documentaire est un outil miraculeux pour le défier, pour sauver de beaux moments qui, inscrits sur la pellicule, ne mourront jamais. »

Publié le 05/11/2024 - CC BY-SA 4.0

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