Interview

Appartient au dossier : Quoi de neuf sur la préhistoire ?

« Toumaï, le plus ancien représentant connu de la famille humaine »
Entretien avec Michel Brunet

Histoire

© MPFT, avec l'aimable autorisation de Michel Brunet.

Daté de 7 millions d’années, le crâne fossilisé de Toumaï est celui du plus ancien hominidé connu à ce jour. En 2001, il est mis au jour dans le désert du Djourab sur le site de Toros-Menalla au Tchad, par Ahounta Djimdoumalbay, alors jeune étudiant tchadien, membre de la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPFT). Vingt ans après, Michel Brunet, paléoanthropologue, professeur émérite de paléontologie à l’université de Poitiers et au Collège de France (Paris), revient sur cette découverte réalisée par son équipe.

Comment a été découvert Toumaï ?

En 1994, la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne est créée et commence ses premières prospections dans le désert du Djourab, à environ 800 km au nord-nord ouest de N’Djaména. Des fossiles sont d’abord collectés dans des zones datant de 3,5 millions d’années. En 1995, Abel, le premier australopithèque connu à l’ouest de la vallée du Grand Rift africain est mis au jour dans la région de Koro Toro. Les recherches se poursuivent et, deux ans plus tard, la zone d’exploration se situe à 150 km du site de Koro-Toro, près de la frontière avec le Niger. C’est sur la zone de Toros-Menalla que sont mis au jour des sites anciens, datés de 7 millions d’années. Quatre années de prospections et de fouilles conduiront à la découverte du crâne fossilisé de Toumaï. Le nom lui est donné par le Président de la République du Tchad Idriss Déby. Toumaï signifie « espoir de vie » en langue gorane. Les enfants qui naissent dans ce désert avant la saison sèche portent ce nom.

Dans quel environnement vivait Toumaï il y a 7 millions d’années ?

Il ressemble à celui du delta du fleuve Okavango au Botswana. C’est un environnement mosaïque composé d’eau, de zones boisées, de forêts galeries, de prairies herbeuses à graminées et de savanes arborées. Toumaï vivait en bordure des lacs, dans des zones boisées à faible densité. Il est frugivore mais opportuniste. Son régime alimentaire se compose de fruits, de feuilles, de graminées, de termites et, comme les chimpanzés actuels, il peut se nourrir de petits mammifères pour compléter son repas. Il est arboricole et construit des nids au sommet des arbres pour se protéger des « félins à canines en lame de sabre ». Sur place, l’assemblage faunique est très riche. Les milliers de fossiles collectés dans la zone révèlent la présence de plus d’une centaine d’espèces différentes : carnivores (dont six espèces de félins machaïrodontes), sangliers, hippopotames, éléphants, girafes, gazelles mais aussi anthracothères (une espèce entre le sanglier et l’hippopotame) et d’hipparions (proche « cousin à trois doigts » du cheval).

Carte de l’Afrique indiquant les zones de fouille © MPFT, avec l’aimable autorisation de Michel Brunet.

Quels sont les caractères qui font de Toumaï un hominidé et non un singe ou un gorille ?

Toumaï possède une association de caractères anatomiques qui font de lui un hominidé. Tout d’abord la morphologie des canines. Il possède des canines supérieures de petite taille. Dans le cas des grands singes, les canines supérieures sont en forme de crocs et présentent une crête postérieure qui s’aiguise sur la facette aiguisoir de la première prémolaire inférieure. Une telle facette n’existe pas chez Toumaï, ni chez aucun autre représentant de la famille humaine. L’absence de diastème (l’espace entre les dents) et l’épaisseur de l’émail montrent également son appartenance à la famille humaine.

La morphologie du crâne de Toumaï est bien celle d’un bipède. Sa face est haute, courte et très peu prognathe. Le trou occipital par lequel passe la moelle épinière se situe sous le crâne tandis que, chez les grands singes, il se trouve sur la face postérieure. Ainsi, l’angle entre les orbites et le trou occipital est proche de 90°. Un angle similaire à celui des Australopithèques et de l’homme actuel.

Reconstitution du crâne de Toumaï © Sculpture Elisabeth Daynes, MPFT, avec l’aimable autorisation de Michel Brunet.

De quelle manière Toumaï a t-il été daté ?

En paléontologie, il existe deux manières de dater des fossiles. La datation absolue, dite radiochronologique, qui consiste à analyser les éléments radioactifs contenus dans les sédiments ou les fossiles. Le carbon-14 est la méthode la plus connue, mais elle n’est fiable que jusqu’à 40 000 ans. La datation relative ou datation biochronologique, compare le degré évolutif de lignées de mammifères entre les sites concernés. Toumaï a bénéficié de datations biogéochronologiques grâce à la méthode du beryllium 10, un cosmonucléide à période plus longue que le carbon-14 permettant de dater jusqu’à 15 millions d’années.

L’équipe de Michel Brunet dans le désert du Djourab © MPFT, avec l’aimable autorisation de Michel Brunet.

Publié le 19/04/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

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Affiche du film documentaire

Sur les traces de Toumaï. Michel Brunet au nom de l'humanité │ TV5Monde Afrique

Aaron Padacké Zégoubé
Patou Films International, 2020

Ce documentaire relate la découverte de Toumaï au Tchad par l’équipe du paléontologue Français Michel Brunet.

En ligne jusqu’au 21 octobre 2021.

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