Dans les toutes premières pages de Locus solus de Raymond Roussel apparaît « le célèbre voyageur Échenoz », explorateur lettré qui dans « sa prime jeunesse était allé jusqu’à Tombouctou ». Ainsi, c’est dans un livre que l’écrivain Jean Echenoz rencontre son homonyme fictif (à l’accent près). Cette collusion malicieuse nous a donné envie de l’interroger sur les livres qui l’ont marqué et sur son rapport à la lecture. Une manière détournée d’aborder un homme pudique qui n’aime pas s’exposer.
Comment était la bibliothèque familiale ?
J’ai eu de la chance parce qu’il y avait beaucoup de livres à la maison. Mes parents étaient de grands lecteurs, parlaient de leurs lectures entre eux et moi, j’écoutais. C’est ma mère qui m’a appris à lire, c’est elle aussi qui m’a fait découvrir plus tard Charles Dickens. On peut lire Dickens très jeune, il y a une tension dramatique et en même temps beaucoup de drôlerie, ç’a été pour moi une première expérience du roman, peut-être une première idée de la littérature.
La bibliothèque familiale a été importante pour moi parce qu’elle était ouverte, je pouvais accéder à des choses très diverses. Disons que ça pouvait aller de La Légende dorée de Jacques de Voragine à La Famille Fenouillard de Christophe en passant par le théâtre d’Alfred Jarry, et je puisais librement là-dedans. C’est aussi là, mais bien plus tard, que j’ai découvert Raymond Roussel avec Locus solus et la déconcertante apparition d’un personnage de fiction nommé Échenoz.
Que lisez-vous aujourd’hui ?
Je lis plutôt de la fiction, des classiques que je découvre ou que je relis. Presque pas d’essais, peu de documents sauf lorsque je prépare un livre où, là, j’ai besoin de m’instruire énormément, d’accumuler des connaissances sur les thèmes que j’ai choisis – et dont je ne sais, la plupart du temps, que très peu de choses. Et ce travail de documentation a quelque chose d’un peu infernal. Il n’y a aucune raison de s’arrêter, on a envie d’apprendre le plus de choses possibles, tout en sachant qu’on en retiendra finalement très peu dans le roman : un mot, une situation, une couleur…
Vous avez, un jour, parlé d’un livre qui vous fascinait : Formulaire De Laharpe. Notes et formules de l’ingénieur.
Je crois que j’ai fini par m’en défaire mais je l’ai conservé pendant très longtemps. C’était un gros volume que j’avais trouvé je ne sais où, auquel je n’ai jamais rien compris mais qui me fascinait en effet par la somme de connaissances qu’il contenait, de techniques et de notions auxquelles je savais que je n’accéderais jamais. N’ayant jamais été doué pour les sciences, je le gardais peut-être comme une espèce d’otage, de prise de guerre imaginaire.
Vous citez parfois dans vos romans d’autres auteurs…
En vérité, je ne l’ai pas fait très souvent. Mais dans Je m’en vais, par exemple, j’avais repris un paragraphe bien connu de L’Éducation sentimentale. C’est un très beau passage que j’avais eu envie de reprendre parce qu’il tombait bien dans mon récit, c’était une occasion de l’adapter à mon histoire mais aussi de le citer explicitement, comme un hommage. J’ai dû faire ça aussi avec une phrase de Beckett, une autre de Jarry, ce sont un peu des exercices d’admiration plus que des appropriations. Dans mes premiers livres, il y avait aussi toujours une phrase de Manchette, il y avait toujours un moment où cet emprunt s’imposait. C’étaient des allusions assez brèves mais, une fois, comme la phrase était un peu longue, je l’avais quand même appelé pour lui demander l’autorisation de la reprendre. Je ne sais plus duquel de mes livres il s’agissait, mais la phrase était extraite de Ô dingos, ô châteaux.
Quelle importance ont pour vous la musique et le cinéma ? Ont-ils eu une influence sur votre écriture ?
J’écoute moins de musique et sans doute pas de la même façon qu’auparavant. Toujours un peu les mêmes choses, Haydn, Schubert. C’était absolument indispensable il y a encore quelques années, sans cesse. J’ai écouté énormément de jazz pendant longtemps puis je m’en suis un peu détaché. Mais je crois toujours que certains musiciens – Thelonious Monk, Bill Evans – ont eu bizarrement une espèce d’influence littéraire sur ce que j’essaie de faire.
J’ai aussi perdu ce réflexe d’aller au cinéma que j’avais dans les années 1970-1980. J’étais assez oisif à cette époque, je passais ma vie à voir des films et là aussi, je crois avoir appris pas mal de choses sur la manière de faire des romans. Comme certains musiciens, certains films ont vraiment eu une influence dans ce qui tient au rythme, au montage, au choix des plans, aux personnages aussi, aux héros – même si mes personnages ne sont pas forcément très héroïques.
Que comportent les archives que vous avez données à la Bibliothèque Jacques Doucet ?
Les versions successives des livres, les documents et photographies que j’ai accumulés pour certains livres… Pour Courir, par exemple, il n’y avait pas vraiment de biographie française utilisable d’Emil Zátopek. J’avais consulté à la BnF tous les numéros de L’Équipe depuis la création du journal, en 1946, jusqu’à la fin de la carrière de l’athlète, j’avais recopié ou photocopié tout ce qui le concernait pour essayer de construire son histoire.
Comment avez-vous accueilli la proposition d’une exposition sur votre travail à la Bpi ?
C’est un honneur, bien sûr, d’être reçu par cette institution. En même temps, on se demande toujours si c’est bien légitime. Et puis il est difficile de montrer les premiers états du travail. Quand je les regarde, je suis assez gêné : ce sont des tâtonnements, des répétitions, des balbutiements. Que des choses comme ça puissent être exposées, c’est un peu délicat. Parce que ça peut être humiliant, aussi, de commencer un livre. C’est toujours une longue entreprise, même quand ça doit être un ouvrage bref. Il faut du temps pour y voir un peu clair, pour croire qu’on y voit clair.
Article initialement paru dans le numéro 24 du magazine de ligne en ligne.
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