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Appartient au dossier : Cinéma du réel 2023

Ateliers Varan au Vietnam, un tournant documentaire

La cinéaste et productrice Tran Phuong Thao est issue des Ateliers Varan, auxquels elle a participé au Vietnam en 2004. Ces sessions de formation à la réalisation documentaire sont fondées en France en 1980 et se déroulent désormais dans plus de vingt pays. Pour Balises, Tran Phuong Thao retrace le parcours qui l’a menée à créer en 2012, avec d’autres stagiaires, la structure autonome Varan Vietnam, à l’occasion de la programmation « L’aventure Varan Vietnam » proposée par le festival Cinéma du réel 2023.

Enfants de l'ethnie Hmong, qui vit dans les montagnes du Nord Vietnam
Ha Le Diem, Children of the Mist (2021) © Ateliers Varan Vietnam

Thao est née en 1977 à Hanoi. Pendant ses études de commerce extérieur, elle traduit et double en direct une centaine de films pour le ciné-club du Centre culturel français. Puis, elle travaille un an au service audiovisuel de l’ambassade de France. Là, elle rencontre la réalisatrice française Claude Grunspan. Sur ses conseils, Thao part étudier à Sciences Po Paris, puis suit un DESS d’écriture documentaire à Poitiers. Très bien reçu, son court métrage de fin d’études Lettre à mon père confirme son envie de faire du cinéma.

À la découverte des Ateliers Varan

En 2004, elle rentre au Vietnam et assiste à la projection des films du premier atelier Varan qui s’y est déroulé. Le public s’enthousiasme pour la parole et pour le son direct. C’est la première fois qu’il peut s’identifier complètement à des personnages de la vie quotidienne. Thao contacte alors les initiatrices de Varan au Vietnam, Sylvie Gadmer et Emmanuelle Baude, deux cheffes monteuses. En 2005, elles lui proposent de travailler comme traductrice pour André Van In, réalisateur et formateur. « Je passais 24 heures sur 24 avec lui, à regarder les rushes, à discuter des projets des stagiaires, de la pédagogie. » 

C’est dans ce cadre que Thao réalise son premier long métrage, Rêves d’ouvrières (2006). À l’époque, le Vietnam est en pleine transformation sociale et politique. Thao est née deux ans après la fin de la guerre et a vécu toute son enfance sous le blocus américain. Elle fait partie de la génération de transition, qui a bénéficié de l’ouverture économique. Quand elle rentre au Vietnam, elle n’est plus en accord avec la façon dont les médias présentent la réalité sociale de son pays. C’est cette transformation qu’elle montre dans Rêves d’ouvrières

Pour Thao, l’apport des Ateliers Varan a été décisif dans le paysage du cinéma vietnamien. Auparavant, la durée d’un documentaire ne dépassait pas trente minutes et incluait toujours un commentaire en voix off. Grâce à la pédagogie Varan, « la caméra ne devient plus un outil de pouvoir, explique Thao. Les personnages n’ont plus besoin d’être porteurs d’une idéologie ou d’un discours ; ils ne sont plus instrumentalisés mais individualisés. En tenant la caméra, je me sens à égalité avec les gens, comme si j’étais sur une scène avec eux. »

La création de Varan Vietnam

En 2012, la Fondation Ford, soutien financier des Ateliers, quitte le Vietnam. Cependant, Michael Di Gregorio, son responsable dans le pays, désire que l’aventure continue et que les Ateliers soient autonomes. L’État n’accorde alors aucune aide financière pour le documentaire indépendant, et aucun réseau de diffusion n’existe. Grâce à un projet de film de Thi Tham Nguyen sur une troupe de chanteurs travestis et à un autre de Thao et Swann Dubus sur le sida et la drogue au Vietnam, une entité de production voit le jour : Varan Vietnam.

Grâce à cette structure, Thi Tham Nguyen obtient une bourse pour produire Le Dernier Voyage de madame Phung (2014), et Avec ou sans moi (2011), de Thao et Swann Dubus, reçoit l’aide du FIDlab, structure de coproduction marseillaise.

« Nous avons aussi obtenu des aides en nature pour la post-production grâce à des ONG et à l’Ina. Nous avons fait ces films avec presque rien, mais nous avions le privilège d’avoir le temps, et de tourner au Vietnam où rien ne coûte trop cher. Nous faisions tout à deux, en moto, avec un pied de caméra et un sac à dos. »

Les premières années, Varan Vietnam est financé grâce au travail de ses membres. Le film de Thi Tham Nguyen fait 40 000 entrées en salles.

Vers une production indépendante

Progressivement, les Américains d’origine vietnamienne reviennent et développent l’industrie audiovisuelle à Hô Chi Minh-Ville. En Corée du Sud, un grand festival documentaire est créé : le DMZ International Documentary Film Festival, avec des séances de pitch pour financer les projets indépendants asiatiques. Varan Vietnam bénéficie de ce soutien et devient une vraie production. En 2016, se déroule le premier atelier Varan Vietnam autonome, créé et organisé par d’anciens stagiaires. Grâce à son succès, Thi Tham Nguyen obtient une aide du consulat américain et met cet argent au service de l’atelier. Thao devient formatrice principale, et André Van In propose d’être consultant bénévole. 

Ha Le Diem, alors stagiaire, raconte à Thao sa rencontre avec des jeunes filles de l’ethnie Hmong, qui vit dans les montagnes du Nord Vietnam et qu’elle a commencé à filmer. « Nous avons tout de suite vu une présence des personnages dans l’image et compris qu’il y avait un sujet de film. Nous avions envie de voir grandir ces jeunes filles », explique Thao. Ha Le Diem reçoit également une bourse de Sundance Institute. Le tournage dure trois ans et les conditions climatiques sont difficiles, mais Thao encourage Ha Le Diem à ne pas abandonner :

« Varan nous a appris le passage à l’acte. Être présent, longtemps, pour pouvoir raconter une histoire. »

Le film, Children of the Mist, est un véritable succès. Après de nombreux prix, il est même dans la shortlist pour les Oscars en 2023. Pour Thao, c’est aussi une formidable aventure humaine et collective, avec Swann Dubus au montage et elle-même à la production.

Aujourd’hui Thao et Swann Dubus tournent un nouveau documentaire. Depuis un an, ils filment des commerçants sur une péniche qui remonte la rivière Noire, et vend toutes sortes de marchandises aux ethnies vivant le long du fleuve. « Une sorte de western à la vietnamienne », résume Thao.

Publié le 27/02/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Programmation : L'aventure Varan Vietnam | Cinéma du réel 2023

Le festival Cinéma du réel 2023 nous invite à découvrir l’aventure du cinéma direct au Vietnam, portée par le collectif Varan Vietnam.

Ateliers Varan

Les Ateliers Varan, ateliers de formation au cinéma direct imaginé par Jean Rouch en 1978, forment de nombreux documentaristes à travers le monde. La formation repose sur un enseignement par la pratique. Au Vietnam, une quarantaine de films ont été réalisés par des stagiaires de l’Atelier.

Pratiques d'une utopie, utopies de la pratique

Catherine Bizern (dir.)
Éditions de l'Œil / Ateliers Varan, 2020

Depuis 1980, les ateliers Varan forment de jeunes cinéastes à la pratique du documentaire. Ils défendent une pédagogie fondée sur l’emprise sur le terrain, le recours à des outils accessibles ou encore l’importance de la relation entre le réalisateur et son sujet. Ces principes guident une approche esthétique et politique du cinéma qui n’ignore pas les désaccords et les contradictions. ©Electre 2020

À la Bpi, niveau 3, 791.2 BIZ

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