Appartient au dossier : Voir Vénus : du point lumineux au sol de la planète
Voir Vénus #2 : les Calendriers des bergers
À la fin du 15ᵉ siècle, les Calendriers des bergers envisagent les planètes comme des étoiles errantes, influençant le corps et le tempérament des hommes. Balises vous propose d’observer l’évolution des connaissances astronomiques au travers de représentations de la planète Vénus, pour accompagner le cycle de conférences « Espace, frontière de l’infini » qui se déroule à la Bpi à l’automne 2022.
Un succès d’imprimerie
La première édition connue du Calendrier des bergers apparaît chez l’imprimeur-libraire Guy Marchant à Paris, au printemps 1491. De format modeste, elle est suivie d’une deuxième édition à l’automne de la même année, puis de deux autres largement enrichies en 1493. L’ouvrage rencontre un vif succès et les versions se multiplient : une quarantaine d’éditions ont été identifiées, à Paris mais aussi à Troyes, Lyon, Rouen, Genève ou encore Liège, et plusieurs traductions ont été retrouvées en Angleterre et en Allemagne, entre la fin du 15ᵉ siècle et la Révolution française. Cette diffusion est indissociable de l’essor de l’imprimerie, introduite en Occident par Johannes Gutenberg au milieu du 15ᵉ siècle : bien que les lettres gothiques fassent songer à des manuscrits, tous les exemplaires connus du Calendrier des bergers sont en réalité des livres ou des incunables.
La figure du berger est alors associée à la connaissance du ciel et de la nature. L’auteur, inconnu, prétend donc avoir retranscrit ces savoirs populaires, dans un ouvrage utile aux pratiques agraires. En réalité, ce livre alliant « savoir scientifique rigoureux et […] conscience religieuse des choses » est probablement d’origine cléricale et les nombreuses variations relevées d’une édition à l’autre suggèrent une adaptation par les imprimeurs-libraires eux-mêmes. Doté de passages en latin et de nombreuses illustrations, le Calendrier des bergers s’adresse initialement à un public urbain et aisé, voire princier – un exemplaire sur vélin, enluminé, a été offert au roi Charles VIII. Lectorat fictif et lectorat réel ne se rejoignent qu’au 17ᵉ siècle, lorsque des éditeurs tournés vers la littérature de colportage s’emparent de ce titre.
Des étoiles errantes
Les Calendriers des bergers s’apparentent à des almanachs. Si la précision et la disposition des informations varient d’un volume à l’autre, ils comprennent souvent une leçon de comput basée sur les phases de la Lune, un calendrier perpétuel avec liste des saints et des fêtes religieuses, des reprises de prières et des textes moraux sur les péchés capitaux, les vices et les vertus. Au-delà de ce contenu explicitement religieux, qui les rapproche des livres d’heures, ils incluent aussi des traités de santé, d’astronomie et d’astrologie. L’ensemble forme un ouvrage pratique, entre aide-mémoire et connaissances à acquérir sans nécessairement les mettre en œuvre.
Les passages consacrés à l’astronomie reposent sur une vision géocentrique du monde, héritée d’Aristote et de Ptolémée : la Terre est placée au centre et entourée de trois autres sphères élémentaires – l’eau, l’air et le feu. Au-delà de ce monde sublunaire se trouvent les sphères des planètes – alors considérées comme des étoiles « erratiques » ou « errantes » – et, plus loin encore, celle des étoiles « fixes » – dont la position relative reste constante.
Le Calendrier des bergers apprend donc à identifier les éléments du cosmos, des comètes aux signes du zodiaque en passant par les planètes visibles à l’œil nu – Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, auxquelles viennent s’ajouter la Lune et le Soleil. Cette démarche se poursuit avec le Calendrier des bergères, imprimé par Guy Marchant en 1499 : les passages consacrés à l’astronomie y sont plus longs et plus techniques. Vénus est alors décrite comme une planète de « couleur blanche et luisante ». « Féminine », moite et froide, elle est, parmi toutes les étoiles, celle qui offre « les plus plaisants rayons ».
L’ouvrage fait également référence à la position de Vénus et à l’astronomie grecque et romaine : « Quand elle va devant le soleil comme au matin on l’appelle Lucifer et quand elle va après comme au soir on l’appelle Vesperus » [Hespéros]. Plus généralement, le Calendrier des bergers permet d’étudier les mouvements des planètes et leurs liens avec les changements saisonniers, dont la compréhension est essentielle aux pratiques agraires et pastorales. La position des planètes et les phases de la Lune peuvent dicter la date des semailles et des récoltes.
Médecine astrologique
Par ailleurs, les évocations du ciel induisent une correspondance entre l’homme et le monde, entre microcosme et macrocosme : les phénomènes célestes ont une influence sur le corps des hommes. L’apparence physique est en partie déterminée par les planètes qui président au jour et à l’heure de la naissance, et le Calendrier en explique le calcul. Vénus, par exemple, « dispose les corps à la beauté » et est souvent synonyme de visage rond, de petite mâchoire, de bouche rieuse et d’yeux noirs.
Plusieurs éditions du Calendrier des bergers reprennent la figure de l’homme zodiacal, à l’instar de nombreux livres d’heures : chaque partie du corps y est associée à un signe du zodiaque. Un autre bois gravé, revenant aussi fréquemment, relie chaque organe à une planète. Des variations sont d’ailleurs à noter : le plus souvent, « Vénus regarde les rognons », mais dans l’édition troyenne de 1529, cette influence est partagée avec Mercure. La logique reste cependant la même : la pratique de la médecine doit s’accompagner d’une étude des planètes, afin d’identifier les conjonctions favorables à tel organe ou telle opération.
Une planète bénéfique
Plusieurs éditions du Calendrier des bergers incluent une présentation des sept étoiles errantes, assorties d’une iconographie allégorique. Suivant la thématique des « enfants des planètes » – qui se retrouve aussi en Italie, en Allemagne et au Moyen-Orient –, chaque astre est associé à certains tempéraments et professions.
Vénus est décrite comme la planète des amoureux et, plus généralement, comme un astre à l’influence bénéfique : « Sous elle sont contenus vie, amour, amitié et pèlerinage. Elle est véridique et signifie gain, joie, bonne fortune et félicité ». Un homme né sous le regard de Vénus sera ainsi « véritable et de bonne foi » : « tout ce qu’il fait est plaisant » et « quand il jure on le doit croire ». Ayant le sens de la justice, attentif à autrui, il aura peu d’ennemis. Cet homme doté d’un « chant mélodieux » aimera aussi « être longuement à table, parler, manger, boire du bon vin » et porter de beaux vêtements. Cette description doit toutefois être nuancée en fonction de son signe astrologique et de l’influence conjointe d’autres planètes bénéfiques ou néfastes. L’étude du cosmos permet ainsi, selon le Calendrier des bergers, de comprendre l’homme et, partant, de se connaître soi-même.
Publié le 10/10/2022 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Le Calendrier des bergers | Gallica.bnf.fr
Une douzaine d’éditions du Calendrier des bergers sont consultables sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France et de ses partenaires. Datant de la fin du 15ᵉ siècle à la veille de la Révolution française, ces exemplaires sont issus des collections de la BnF et de la bibliothèque de Valenciennes.
« Le Calendrier et compost des bergers, un vade-mecum populaire », par Denis Hüe | Books.openedition.org
Denis Hüe, spécialiste de littérature médiévale, revient sur la genèse et les usages du Calendrier des bergers dans ce chapitre tiré de l’ouvrage collectif Lire, choisir, écrire. La vulgarisation des savoirs du Moyen Âge à la Renaissance, sous la direction de Violaine Giacomotto-Charra et Christine Silvi (École nationale des Chartes, 2014).
« Une astrologie rurale et populaire ? Le calendrier des bergers et celui des bergères », par Jean-Patrice Boudet | Hal.archives-ouvertes.fr
Jean-Patrice Boudet, chercheur en histoire médiévale, évoque les différentes éditions du Calendrier des bergers, leurs points communs et divergences, et leurs destinataires. Ce texte est une version revue d’une publication apparue dans Ruralités. Des terres, des dieux et des hommes, sous la direction de Jacqueline Hoareau-Dodinau (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique n°41, Presses universitaires de Limoges, 2015).
« L’homme et les planètes dans les planches de l’Homme anatomique et de l’Homo astrologicus », par Monique Santucci | Books.openedition.org
Monique Santucci interroge les évocations du corps et des planètes dans les Calendriers des bergers et, au-delà, dans les planches anatomiques de la fin du Moyen Âge. Ce chapitre est à retrouver dans l’ouvrage Le Soleil, la Lune et les étoiles au Moyen Âge (Sénéfiance n°13, Presses universitaires de Provence, 1983).
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