Dans la bulle de Zoé Sauvage

La Vie secrète des arbres : édition intégrale illustrée

Peter Wohlleben
Les Arènes, 2017

Ce livre, écrit par un forestier allemand, m’a enchantée au vrai sens du terme ! J’adore la poésie de ce livre, sa façon de conter les relations subtiles et innombrables entre végétaux (mais aussi avec les animaux) au cœur de la forêt, cet écosystème primaire qui devrait recouvrir la planète si on le laissait tranquille. Il ose des touches anthropocentriques, sans jamais que ce soit gênant. Oui les arbres nourrissent leurs « petits », mais aussi les arbres alentour en difficulté, les malades, les victimes de sécheresse, voire ceux qui furent coupés, dont les souches peuvent survivre grâce aux réseaux mycorhiziens ! La forêt livre ainsi une belle leçon sur l’entraide, montrant que c’est la seule et la plus sage solution pour une résilience du groupe entier, surtout en ces temps de bouleversements climatiques…

À la Bpi, niveau 3, 588.1 WOL

Toujours tout foutre en l’air

Moa Romanova
Vagator, 2019

Cette jeune autrice suédoise, avec son dessin au premier abord assez froid et géométrique, a touché quelque chose en moi de très intime. Elle y décrit la vie d’une jeune femme urbaine, avec ses amitiés féminines, ses rencontres Tinder, mais aussi ses crises d’angoisse. En ayant moi-même été victime, j’ai trouvé la façon de les représenter réaliste et sensible. Moa Romanova nous livre une vision très subjective, on entre dans la peau de cette jeune femme et on y découvre un véritable « regard féminin ».

Le Regard féminin : une révolution à l'écran

Iris Brey
Éditions de l'Olivier, 2020

Ce livre nous révèle, dans ses détails les plus subtils, la façon dont le regard de l’artiste posé sur les femmes, surtout au cinéma, est en écrasante majorité de type « masculin ». J’ai, depuis l’adolescence, un sentiment de malaise lorsque je regarde certains films. Le plus flagrant aspect de ce « regard masculin », c’est lorsqu’on sent que le réalisateur nous pousse à « mater » un personnage féminin, son corps, souvent en le morcelant. Subissant ce genre de regard depuis toute jeune, comme la plupart des femmes, je ne comprenais pas ce besoin de « mater », souvent de façon dissimulée, et j’en étais écœurée… Mais de là à analyser cela, le critiquer, j’en étais loin !

Iris Brey montre par ce livre passionnant comment le regard cinématographique, en grande majorité le fait d’hommes, a un point de vue non pas neutre, comme ils le pensent, mais orienté, construit socialement. Iris Brey montre aussi par là même que les femmes, et même les hommes qui réalisent des œuvres (qui peuvent déconstruire leur regard), sont totalement capables de monter autrement des personnages féminins, avec empathie, réalité, subjectivité, et être en somme révolutionnaires ! Pour mon livre Les Fées scientifiques, j’ai eu une vraie intention de « regard féminin ».

À la Bpi, niveau 3, 791.045 BRE

Les Sentiments du prince Charles

Liv Strömquist
Rackham, 2016

Cette autrice suédoise ne fait que des livres cultissimes, à mes yeux ! Sa façon ultra-personnelle de faire de la vulgarisation m’a tout de suite séduite. Elle y mêle tellement de joie, de vie et d’humour. Et pourtant, les concepts et idées qu’elle manie sont très complexes et issus de penseurs très peu attractifs pour le grand public. Un exploit ! J’ai toujours eu envie, depuis la fin de mes études universitaires en sciences du vivant, de parler des sujets qui me passionnent tout en amusant et en leur donnant le maximum de vie. Liv Strömquist est une des auteur·ices qui m’a décoincée là-dessus. C’est un peu comme si elle me disait « c’est possible, vas-y raconte à ta façon ! ». La manière qu’elle a de marier les textes aux dessins est totalement décomplexée, comme d’autres BD dont les formes sont de plus en plus libres. C’est pour cette raison que je me suis lancée dans la BD. Cette liberté et ces éditeur·ices qui osent ! Sans parler du fait qu’un·e auteur·ice n’a plus besoin de « bien dessiner », de faire des chefs-d’œuvres, pour s’exprimer sur des sujets, et trouver son public.

Pollen

Joëlle Wintrebert
Au Diable Vauvert, 2002

J’ai découvert Joëlle Wintrebert en faisant des recherches d’autrices de science-fiction féministe, après la lecture de Libère-toi cyborg !, de Ïan Larue (2018).

Joëlle Wintrebert ne se définit pas forcément comme féministe, mais je trouve que ses récits le sont foncièrement. Depuis des décennies, elle nous parle des relations femmes-hommes, sans binarisme et tout en subtilité, ce que seule une expérience sensible et personnelle peut amener. Dans ses livres et nouvelles, les sujets abordés sont variés et terriblement actuels : le corps, la transformation, la symbiose, la mutation, la transidentité, le sexe, mais aussi les relations de domination, le colonialisme… Elle parle sans tabou ni complexe, et utilise avec brio la grande liberté qu’offre la science-fiction pour explorer et pousser des concepts très loin. Une grande influence sur mon envie de faire de la SF, en somme !

Libère-toi cyborg !

Ïan Larue
Cambourakis, 2018

Ce livre appartient à la collection Sorcières des éditions Cambourakis, tout comme mon album Les Fées scientifiques. Je l’ai lu avant de commencer mon scénario. Il m’a totalement subjuguée par la découverte du monde de la science-fiction féministe. Comment certaines autrices se sont réapproprié à leur façon des concepts assez techno et virilistes tel que le personnage du cyborg, par exemple. Je n’avais pas beaucoup d’attirance auparavant pour le genre SF, à part pour certaines BD de Mœbius, car ce genre était très « masculin », avec justement ce type de regard porté sur les personnages féminins : des livres souvent truffés de bimbos de l’espace… J’ai ensuite découvert pas mal de BD alternatives actuelles qui utilisent la SF pour explorer des idées, des concepts, les pousser à fond, et voir ce que ça donne. Ça a libéré ma façon de raconter.

Sorcières : la puissance invaincue des femmes

Mona Chollet
Zones, 2018

L’histoire des sorcières, je l’ai, comme tout le monde, « apprise » à partir de bribes qui en fait sont totalement orientées. On découvre en effet dans ce livre de Mona Chollet que le plus gros de la chasse aux sorcières a eu lieu non pas pendant l’« obscurantisme » du Moyen-âge, mais surtout lors de la Renaissance, qui pourtant devait éclairer le monde de ses lumières ! Oui, elle a éclairé le monde occidental, mais seulement pour les hommes, et aux dépens des femmes et de leur place puissante au sein des communautés paysannes d’Europe. Comment se débarrasser de ces femmes gênantes ? Les femmes savantes, les femmes soignantes, les grandes gueules, les excentriques, les femmes de pouvoir ? Et celles qui n’ont pas besoin des hommes ? En les jugeant sorcières et en s’en débarrassant par milliers, voilà tout ! Pour moi, les cinq femmes scientifiques de mon livre sont de véritables « sorcières de la science ».

À la Bpi, niveau 2, 300.1 CHO

La Femme qui tendait l’oreille aux plantes

Monica Gagliano
Marabout, 2021

Monica Gagliano est une des cinq femmes scientifiques de mon livre. Je l’ai découverte par une conférence qu’elle a faite à propos de la créativité dans la recherche scientifique. J’ai trouvé son point de vue très original, et puis j’ai lu son livre. Coup de foudre ! Elle osait passer d’un chapitre sur ses expériences scientifiques (très créatives en effet), à un chapitre bien plus intime sur ses expériences chamaniques lui ayant fait rencontrer les esprits de plantes ! Très peu de chercheur·euses oseraient de tels rapprochements avec les sciences autochtones, de peur de se faire décrédibiliser. Elle a, par ces influences assumées, orienté ses recherches vers l’intelligence des plantes, leurs comportements, montrant qu’ils ne sont pas si éloignés de ceux des animaux. Pour cela, elle utilise par exemple des expériences normalement faites sur les animaux, comme celle du réflexe de Pavlov. Passionnant !

Les Fées scientifiques

Zoé Sauvage
Cambourakis, 2022

En 2037, les humains ont fini d’accomplir leurs ravages sur l’environnement, devenu entièrement pollué et délétère. Seuls subsistent de grands parcs naturels, comme Écotopia où Zoa, jeune chercheuse, est invitée à effectuer un stage. À Écotopia, la nature est sous contrôle : préservé des espèces invasives, surveillé par une armée de drones et observé par des scientifiques, le parc accueille quelques spécimens de différentes espèces animales et végétales ; les humains n’ont pas le droit d’y entrer. Zoa y pénètre pourtant, accompagnée par l’éthologue Jane Goodall, spécialiste des grands singes. Mais Zoa se perd et commence une aventure enchantée dans cet écosystème protégé, où elle fera la rencontre de quelques « fées scientifiques » qui y poursuivent leurs recherches en cachette : la zoologue Temple Grandin, la microbiologiste Lynn Margulis ou la cytogénéticienne Barbara McClintock lui font découvrir le fonctionnement des plantes et la vie des animaux. 

Entre dystopie futuriste, fable chamanique et cours de science, ce roman graphique invite à un nouveau regard sur la nature, mêlant écologie et féminisme. Loin d’une prétendue « loi de la jungle », les lecteur·ices découvrent que, depuis les cellules végétales jusqu’aux grands mammifères, les espèces coopèrent et s’entraident. Quelques grandes scientifiques se sont intéressées à la vaste symbiose qui régit le monde vivant, et au sein de laquelle, pour peu qu’ils le souhaitent et le comprennent, les humains auraient leur place. Accompagné par un dessin naïf aux crayons de couleurs, l’aventure de Zoa passionne vite les lecteur·ices en les invitant à découvrir l’écoféminisme de façon ludique et accessible. 

Bientôt à la Bpi

Zoé Sauvage