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Abeilles et biodiversité

La loi sur la biodiversité votée mercredi 20 juillet 2016 par le Parlement comprend, parmi les principales mesures, l’interdiction des néonicotinoïdes, ce pesticide responsable de la forte mortalité des abeilles. Cela fait  plus de soixante ans que la situation des abeilles et des pollinisateurs est préoccupante dans de nombreux pays industrialisés.

abeille butinant
Nicolas Guerin [cc-by-sa-2.5] via Wikimedia Commons

Sentinelles de l’environnement, les colonies d’abeilles et autres insectes pollinisateurs connaissent un effondrement brutal, surtout en Europe et aux Etats-Unis.
En Europe les taux de mortalité atteignent 30 % par an contre 10 à 15 % en temps normal. L’Union internationale pour la conservation de la nature estime que près de 10 % des 20 000 espèces sauvages d’Europe risquent l’extinction. La mortalité élevée des abeilles domestiques (Apis mellifera) et des pollinisateurs sauvages est observée depuis plus de soixante ans. Le phénomène s’est intensifié et généralisé à l’ensemble de la planète. Sa forte augmentation depuis une quinzaine d’année suscite beaucoup d’inquiétudes car les enjeux économiques et écologiques sont énormes.
Les abeilles sont les témoins emblématiques de la qualité des pratiques agricoles actuelles et de leurs conséquences sur le milieu naturel. L’étude des abeilles, principalement de l’abeille domestique, et de leurs interactions avec leur environnement, fournit des clés pour enrayer ce déclin aux causes multiples.

Le rôle des abeilles

Près de mille espèces d’abeilles différentes sont recensées en France, soit plus que le nombre de mammifères, oiseaux et reptiles réunis. Toutes ces espèces sont très importantes pour la pollinisation, processus indispensable à la reproduction sexuée des plantes à fleurs. 80 % des cultures à travers le monde sont dépendantes de l’activité des insectes pour la pollinisation, au premier rang desquels les abeilles. En France, environ 70 % des 6 000 espèces de plantes recensées sauvages et cultivées, sont pollinisées par les insectes pollinisateurs et certaines plantes en dépendent totalement. Ils se chargent en butinant de transporter le pollen nécessaire à la reproduction des plantes. En cas de disparition des pollinisateurs, il ne saurait y avoir de production de graines ou de fruit essentiels à notre alimentation. La biodiversité et notre planète sont donc en danger. De plus, sans les abeilles, les hommes seraient obligés de renoncer à la plupart des fruits et légumes, au café et au cacao, et devraient se contenter des céréales. Les équilibres alimentaires mondiaux seraient profondément modifiés.

Des chercheurs de l’Inra ont estimé la valeur monétaire de l’activité pollinisatrice des insectes, et principalement des abeilles (programme Alarm, 2006-2009) à 153 milliards d’euros dont 14,2 milliards pour l’Union européenne soit un peu moins de 10 % en valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale. Les cultures qui dépendent des pollinisateurs assurent plus d’un tiers, en tonnes, de la production mondiale de nourriture. L’étude a aussi mis en évidence que les cultures les plus dépendantes de la pollinisation par les insectes sont aussi celles dont la valeur économique est la plus importante.

La pollinisation

Le pollen peut être transporté de trois façons différentes :
Par autopollinisation passive : les grains de pollen de la plante tombent sur ses propres ovules. C’est le cas du blé et du soja
Par le vent : le vent est le vecteur principal pour 10 % des plantes à fleurs dont la plupart des céréales (riz, maïs, orge, seigle)
Par les insectes : c’est le mode de pollinisation prédominant. 

Environ 225 000 espèces de plantes à fleurs sont pollinisées par 200 000 espèces d’animaux parmi lesquels en premier lieu des insectes de l’ordre des hyménoptères (abeilles et guêpes principalement), des diptères (mouches syrphes en particulier), des lépidoptères (papillons) ou des coléoptères (charançons), et aussi en milieu tropical, oiseaux et chauves-souris.
La pollinisation par les insectes, dénommée entomophile, est indispensable à la fécondation d’une majorité d’espèces de plantes à fleurs que l’on cultive pour leur graine (colza, tournesol, sarrasin), leur fruit (pomme, poire, kiwi, melon), leur racine ou leur bulbe (carotte, radis, oignons), leur feuillage (chou, salade)…

Le déclin des abeilles expliqué en 3 mn, Le Monde, avril 2015

Pourquoi ce déclin ?

Une équipe de chercheurs de l’Inra PACA et du CNRS, associés à des ingénieurs agricoles, ont mené une étude dont les récents résultats peuvent expliquer en partie ces disparitions. Ils s’accordent à dire que leur disparition est en partie due à l’utilisation massive des pesticides dits néonicotinoïdes. L’utilisation intensive dans l’agriculture moderne de produits chimiques serait à l’origine d’une partie du déclin des abeilles. En comparant les proportions de retours à la ruche de deux groupes d’abeilles, les chercheurs ont constaté que l’ingestion de pesticide provoquait un phénomène de désorientation chez l’abeille. L’intoxication aboutit à une mortalité journalière de 25 % à 50 % chez les butineuses intoxiquées, soit trois fois le taux normal (environ 15 % des butineuses par jour).

D’autres hypothèses sont avancées :

  • Les abeilles domestiques sont entourées d’un cortège de prédateurs, de parasites, de virus et bactéries qui vivent à leurs dépens.
  • Un  parasite : le varroa,varroa destructor. Cet acarien reste le principal ennemi des ruches. Il infeste les colonies d’abeilles. Il est présent toute l’année. Sans décimer la colonie, le varroa affaiblit les défenses des abeilles et les rend plus sensibles aux virus et bactéries. La filière apicole s’est vite organisée pour lutter contre cet acarien.
  • Les ravages du frelon asiatique : le frelon asiatique à patte jaune, Vespa velutina nigrithorax, originaire d’Asie a été détecté pour la première fois en France en 2004. Il s’est répandu rapidement sur l’ensemble du territoire et a infesté certains pays frontaliers. Grand prédateur d’abeilles domestiques qui constituent sa principale source de protéines, il a été déclaré fin 2012 « espèce exotique nuisible ».
  • Les effets désastreux des monocultures. Etant donné l’uniformisation et l’appauvrissement de la plupart des paysages agricoles des pays où l’agriculture intensive s’est développée depuis soixante-dix ans, il n’est pas étonnant que les abeilles y trouvent de moins en moins les conditions de vie nécessaires à leur développement.
  • L’impact du changement climatique. Les perspectives annoncées de changement climatique questionnent ceux qui s’intéressent aux abeilles et aux problèmes qu’elles rencontrent. Bien que l’abeille domestique montre un grand potentiel d’adaptation, des questions se posent sur son avenir. Les modifications climatiques vont-elles faire disparaître des espèces végétales indispensables aux abeilles ?

Si les symptômes sont bien décrits, les causes précises restent à découvrir pour lutter efficacement contre ce phénomène..

Quel avenir pour les abeilles ?

Peut-on imaginer un monde dans lequel les abeilles auraient disparu alors que leur avenir concerne directement celui de l’homme ?
Pour l’instant aucun de ces facteurs pris séparément ne peut expliquer les mortalités importantes subies par les colonies d’abeilles ces dernières années. Aussi émerge naturellement l’hypothèse de plusieurs stress conjugués. Les scientifiques s’accordent à dire qu’il n’existe pas une cause unique. Ils privilégient la thèse d’interactions entre différents facteurs. La santé des abeilles reflète celle de leur environnement qui est aussi le nôtre. Nous avons des besoins très semblables à ceux des abeilles. Si les leurs ne sont plus satisfaits correctement, les nôtres pourront-ils l’être encore longtemps ? Dans la mesure où nous modifions leur environnement nous devons aussi prendre des mesures de protection des abeilles. La loi sur la biodiversité va dans ce sens…

Publié le 11/08/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Nos abeilles en péril

Vincent Albouy, Yves Le Conte
Quae, 2014

Le point sur l’apiculture, le rôle des abeilles dans les milieux naturels et agricoles, les causes de leur mortalité, récurrente depuis quelques années, et les solutions existantes (Electre)

À la Bpi, niveau 2, 594 ALB

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Déclin des abeilles Un fléau aux causes multiples et aux conséquences catastrophiques.

Une alimentation saine dépend de pollinisateurs en bonne santé. Il suffit de quelques chiffres pour s’en rendre compte : – 4 000 variétés de fruits et légumes n’existeraient pas sans la pollinisation.- 35 % de la production mondiale de nourriture dépendent des insectes pollinisateurs.- 80 % de la pollinisation sont pris en charge par les abeilles et les guêpes.- 265 milliards de dollars : c’est la valeur annuelle estimée du service rendu par la pollinisation dans le monde.

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INRA - Abeilles, pollinisation, biodiversité, pesticides

Le déclin qui menace les populations d’abeilles est un enjeu énorme pour nos sociétés dont l’alimentation dépend pour une bonne part de la pollinisation des plantes à fleurs. La mortalité élevée des abeilles domestiques et des pollinisateurs sauvages est observée depuis plus de 60 ans.

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Le Déclin des abeilles - Rapport de Greenpeace

Analyse des facteurs qui mettent en péril la pollinisation et l’agriculture en Europe par les laboratoires de recherche de Greenpeace. Résumé du rapport technique d’avril 2013

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Les insectes pollinisateurs nous en mettent plein la vue │ Ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer

Connaissez-vous le point commun entre le cacaotier et la tomate, le cerisier et la courge, le caféier et le pommier ? Leurs précieux fruits et légumes ne tiennent qu’à la fascinante rencontre entre leurs fleurs et des insectes. Partons à la rencontre de ces pollinisateurs et à la découverte de la pollinisation !

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Loi biodiversité │ Ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer

Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été définitivement adopté, le 20 juillet 2016, par les députés à l’Assemblée Nationale.

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