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Appartient au dossier : De tous poils

Poil, identité et personnalité

La perception de la pilosité est très différente suivant les époques et les cultures, la partie du corps concernée, et que l’on soit un homme ou une femme : signe de vitalité et de virilité, de sagesse et d’autorité, d’animalité et de barbarie.

Le poil, signe d’animalité

Dans la littérature

Dans de nombreux contes, l’homme prend l’apparence d’une bête. Transformé en bête, il se transforme par la suite en prince charmant, comme dans la Belle et la bête, conte antique, popularisé par la version de Madame Leprince de Beaumont (1757). Cf. La Belle et la bête, Madame Leprince de Beaumont, dans Le magasin des enfants, 1883. Gallica, Bnf.

Dans d’autres récits, le puissant et respectable seigneur est en réalité un époux monstrueux.

gravure de Barbebleue
[Gustave Doré, lithographie de Barbe Bleue (1862)] Gustave Doré, CC-PD-Mark, Wikimedia Commons

Ainsi dans le conte populaire La Barbe bleue,  le personnage central est très riche mais  n’arrive pas à séduire les femmes à cause de son allure effrayante : « Mais par malheur, cet homme avait la barbe bleue ; cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était ni femme ni fille qui ne s’enfuit de devant lui ».
Cf. La Barbe bleue, Charles Perrault, dans les Contes de la mère l’Oye, 1697. Gallica, Bnf.
Barbe bleue serait inspiré de Gilles de Rais qui meurt en 1440, condamné à la pendaison pour les meurtres de plusieurs enfants et pour hérésie.

Au 19e siècle, dans ses Curiosités de l’histoire de France (1858), Paul Lacroix, connu sous le pseudonyme « Bibliophile Jacob », décrit Gilles de Rais avec une pilosité faciale particulière : chevelure blonde et barbe noire aux reflets presque bleuâtres. Ces détails vont amener à rapprocher le seigneur de Tiffauges du personnage du conte de Charles Perrault, Barbe bleue.  

Barbe noire
[Barbe noire, pirate anglais] Franck E. Schoonover, 1922, Wikimedia Commons, PD 1923?

Barbe noire (1680-1718), pirate anglais, de son véritable nom Edward Teach, terrifie les habitants des côtes des Carolines en multipliant pillages et tueries, plus de 40 navires pillés en un an.

Le capitaine Charles Johnson, auteur de l’Histoire générale des plus fameux pyrates (1724),  évoque la figure terrifiante de Teach, dont la barbe noire d’une longueur démesurée, remontait jusqu’aux yeux  :

« Alors notre héros, a pris le surnom de Barbe noire d’après cette grande quantité de poils qui tel un météore effroyable, couvrait tout son visage et effrayait l’Amérique plus que toute comète qui y était apparue »

Dracula
[Vladislaus Dracula, miniature, vers 1600] Vladislaus Dracula, Nikolaus Ochsenbacho

Le comte Dracula, célèbre vampire du roman éponyme de Bram Stocker (1897) est représenté barbu et velu. Il est décrit avec le cheveu dru, le sourcil broussailleux, du poil dans la paume des mains : « les sourcils broussailleux se rejoignaient presque au-dessus du nez, et leurs poils, tant ils étaient longs et touffus, donnaient l’impression de boucler. La bouche, ou du moins ce que j’en voyais sous l’énorme moustache, avait une expression cruelle,… Aussi étrange que cela puisse sembler, le milieu des paumes était couvert de poils (Chapitre II, l’homme de la nuit, journal de Johnathan Harker).  


Sa complexité, monstre mais aussi humain damné, aristocratique et bête sanguinaire, fait de Dracula un personnage mythique qui intéresse aussi les cinéastes  : Nosferatu de Murnau (1921), Dracula de Francis Coppola (1992).

Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de la pilosité : le sens du poil
Et notamment « Du poil de la bête », par Sabine Robert
À la Bpi, niveau 2, 395 ANT

Le poil, signe de vitalité et de sagesse

Dans l’Antiquité, la chevelure masculine abondante symbolise la puissance et la virilité, mais aussi la sagesse et la connaissance.

Barbe et chevelure végétale

barbe fleurie
[Représentation d’homme à la tête recouverte de feuilles, Villard de Honnecourt, vers 1230s] Homme vert, Villard de Honnecourt, CC-PD-Mark, Wikimedia Commons, vers 1230

Villard de Honnecourt, maître d’œuvre du 13e siècle, consigne notes et croquis dans son Carnet qui contient des planches naturalistes,  des croquis d’architecture, des engins, des machines.

Des personnages à la tête couverte de feuilles pour la barbe et les cheveux sont également représentés. L’homme feuillu ou l’homme vert figure aussi dans la littérature orale et populaire en Europe et hors d’Europe (Bornéo, Népal, Inde). Il symbolise le renouveau, la renaissance.
Cf. Carnet de Villard de Honnecourt, Gallica, Bnf

L’apothicaire Nicolas Lémery dans son « Dictionnaire universel des drogues simples » (1733), définit chevelure et poils comme une plante croissant sur la tête de l’homme et en d’autres endroits.

Chez les Yorubas du Nigéria, les cheveux sont des buissons qu’il faut tailler et orner.

Barbe de la sagesse et de la connaissance

Représentation de Zeus, 1795
Représentation de Zeus (1795) par Tommaso Piroli, CC-BY-3.0, Wikimedia Commons

Dans la Grèce antique, les dieux sont le plus souvent figurés avec une barbe comme Poséidon, Zeus ou Héphaïstos. Dans la Rome antique, le port de la barbe est généralisé jusqu’au Ve siècle avant notre ère. C’est Pline dans son Histoire naturelle qui nous donne la date précise de ce changement d’habitude. On sait donc que les Romains commencèrent à se raser à partir de 454.

Le poil, symbole d’autorité et de pouvoir

Charlemagne
Charlemagne par Louis-Félix Amiel (1837), CC-PD-Mark, Wikimedia Commons

Dans un article paru en février 2014, Samir Hammal, enseignant à Sciences Po, évoque la symbolique du poil en politique.

En tant qu’attribut de la virilité, la barbe a toujours été signe de pouvoir et d’autorité puisque pendant des siècles le pouvoir était exclusivement masculin. Ainsi, dans l’Egypte antique, les pharaons avaient déjà recours à des postiches en carton, la « doua-our ». Même la reine Hatchepsout, pharaonne de la XVIIIe dynastie, portait cette longue barbiche pour les cérémonies. 

Clovis, premier roi franc chrétien est représenté avec une belle barbe. Charlemagne est baptisé l’empereur à la barbe fleurie. Le poil est aussi à la mode de Henri VIII d’Angleterre  à François Ier, Charles Quint. Avec Henri III, la mode est à la moustache.
La mode de la barbe connait cependant des ruptures : Alexandre Le Grand, est le premier souverain imberbe qui affiche alors son rapprochement avec la culture et la civilisation occidentale ; Guillaume II de Normandie interdit la barbe par décret (1066) ; le tsar Pierre Le Grand instaure un impôt spécial sur le port de la barbe en 1704.

En France, depuis Charles de Gaulle, les présidents affichent plutôt un visage imberbe, et peu d’hommes politiques portent barbe et moustache, avec quelques exceptions, plutôt à gauche et chez les écologistes : Noël Mamère, José Bové, Robert Hue.

Cf. Le pouvoir du poil en politique, L’Express, 12/01/2014. Samir Hammal, enseignant à Sciences Po

Le poil, symbole de contestation et de rébellion

À partir de 1848, les contestataires sont le plus souvent barbus : le socialiste français Auguste Blanqui (1805-1881), le général italien Giuseppe Garibaldi (1807-1882), Karl Marx (1818-1883), Che Guevara (1928-1967).
Aujourd’hui, la barbe révolutionnaire est portée par quelques dirigeants comme le cubain Fidel  Castro.

Dans les années 60, le mouvement hippie prône liberté et amour comme contestation de l’ordre établi.
Emblèmes de la génération hippie et du refus de participer à la guerre du Vietnam : la comédie musicale « Hair » créée puis jouée à Brodway en avril 1968 ; au  cinéma, le film Easy Rider (1969) réalisé par Dennis Hopper.  

Cornflake et Vivian McPeak, 1993
Cornflake et Vivian McPeak par Joe Mabel, CC-BY-SA-3.0, Wikimedia Commons, 1993

Un ethnologue chez le coiffeur
Michel Messu, Fayard, 2013
Professeur de sociologie à l’Université de Nantes, Michel Messu travaille depuis de nombreuses années sur l’identité et l’image de soi. Il évoque ici ce qui nous amène à fréquenter les salons de coiffure. Et la réponse va bien au-delà de l’esthétique, du plaisir ou de l’aspect purement pratique d’une coupe de cheveux. D’anciens rituels et la forte symbolique du cheveu expliquent en grande partie la manière dont nous entretenons nos cheveux, l’apparence que nous leur donnons.
À la Bpi, niveau 2, 395 MES

L’absence de poil, signe de transcendance

En Europe, que ce soit dans la littérature ou dans la peinture ou la sculpture, les représentations des figures bénéfiques : anges, archange, elfes, déesses –   sont le plus souvent imberbes, l’absence de poil étant associé à la pureté, à la beauté, à la perfection.

Dans l’art occidental

Les poils féminins sont ainsi longtemps demeurés invisibles et demeurent encore aujourd’hui largement tabou.
Dans l’Antiquité, le corps de la femme apparaît toujours parfaitement lisse et imberbe, idéalisée, à l’image de Vénus, déesse de l’amour. 
Au Moyen-âge, le corps est peu représenté dénudé, souvent glabre, la présence de poil renvoyant au danger de la chair.
Avec la Renaissance, la femme nue, consciente de son pouvoir de séduction, devient un sujet à part entière mais le corps reste lisse, sans pilosité.
Au 19e siècle, la peau est laiteuse et glabre, toujours idéalisée : La Naissance de Vénus, Cabanel, 1863. Musée d’Orsay.

La naissance de Venus, Cabanel, 1863
La Naissance de Venus, Alexandre Cabanel, 1863 [Public domain], via Wikimedia Commons

Quelques tableaux se démarquent de cette norme esthétique et font scandale, mais davantage par le réalisme des représentations et le traitement moins conventionnel du sujet.

Dans le tableau d’ Edouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe ( 1863), la représentation d’une femme nue au milieu d’hommes habillés est insolite. La toile Olympia (1863) suscite de tout aussi vives réactions avec la présence d’une domestique noire, plus qu’à la vision de la pilosité sous les aisselles de la jeune femme allongée sur son lit.
L’Origine du Monde, de Gustave Courbet (1866), qui représente un sexe féminin réalisé avec naturalisme, est une commande exécutée pour la collection privée de Khalil-Bey, diplomate turco-égyptien. Il n’est donc pas exposé au moment de sa réalisation et n’est visible qu’en 1995, avec son entrée au Musée d’Orsay. (cf. Musée d’Orsay, L’Origine du monde, Gustave Courbet)

Carton d'invitation, exposition Modigliani, Galerie Berthe Weill, 1917
Carton d’invitation, exposition Modigliani, Galerie Berthe Weill (1917), CC-PD-Mark, Wikimedia Commons

En 1917, autre scandale à la Galerie Berthe Weill contrainte à la fermeture à cause de l’exposition Modigliani. La galeriste qui demande des explication se voit répondre par le commissaire : « Ces nus, ils ont des poils! ».

Cf. Le poil dans l’art occidental : désir ou animalité ? Blog : Fauteuse de troubles, magazine féminin.

Les grands scandales de l’histoire de l’art : cinq siècles de ruptures, de censures et de chefs-d’œuvre.
Antje Kramer, Beaux Arts éditions, 2008.
L’auteure, enseignante-chercheuse en histoire de l’art, raconte les grands scandales qui ont permis d’ouvrir des brèches et de lutter contre le conformisme tout au long de l’histoire de l’art.
À la Bpi, niveau 3, 7.1 GRA 

Publié le 18/09/2014 - CC BY-SA 4.0