Sélection

Appartient au dossier : 40 ans / 40 romans

40 ans / 40 romans : les années 1990

Quoi de commun entre la subversive contemporanéité de Michel Houellebecq, les interrogations intimes de Christine Angot ou la prose aux accents sociologiques d’Annie Ernaux ?

Pas grand-chose en réalité, si ce n’est une certaine idée de la création romanesque, comme outil de compréhension du monde et de soi-même… et le recours à une forme mouvante et mondiale, appelée roman, qui ne cesse de se réinventer, faisant écho à la phrase célèbre de Somerset Maugham : “Il y a trois règles à respecter pour écrire un roman. Malheureusement, personne ne les connaît”.

Publié le 11/09/2017 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Passion simple

Passion simple

Annie Ernaux
Gallimard, 1994

A la fin des années 1980, Annie Ernaux vit une passion avec un homme marié, se soumettant entièrement à son désir et à ses disponibilités. Obsédée par l’attente, elle consigne scrupuleusement chaque événement, chaque sensation qui la traversent, dans une forme d’indifférence au monde. Journal clinique d’une passion dévorante et annihilante, Passion simple est violemment réel, à la fois intime et sec, sans cesse tendu par une exigence de vérité.

Annie Ernaux y déploie sa grande entreprise littéraire – dissoudre le “je” pour le muer en “nous” – et invente l’autobiographie impersonnelle, imbriquant mémoire individuelle et mémoire collective.

A la Bpi, niveau 3, 840″19″ ERNA 2

Amkoullel l'enfant peul

Amkoullel l'enfant peul

Amadou Hampâté Bâ
Actes Sud, 1992

“En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.” Cette formule proverbiale d’Amadou Hampâté Bâ est une excellente introduction à son œuvre et en particulier à ses mémoires, Amkoullel, l’enfant peul, merveilleux exemple de conte africain.

Amadou Hampâté Bâ a milité toute sa vie pour faire connaître les traditions de l’Afrique, d’abord sous l’égide de Théodore Monod qui a été son directeur à Dakar, puis à travers l’Institut des Sciences humaines de Bamako qu’il a fondé en 1960 et enfin au sein de l’Unesco où il a été élu au sein du conseil exécutif pour représenter son pays, le Mali. Ce premier tome de ses mémoires retrace, dans une langue imagée et fluide, avec tout son talent de conteur, l’histoire de sa famille, de son enfance et de son adolescence et, à travers elle, l’histoire du peuple Peul. Un peuple nomade, attaché à ses troupeaux, religieux, fier et courageux, qui s’est sédentarisé au cours des siècles dans plusieurs régions d’Afrique, du Soudan au Mali.

Récit épique, mais aussi plein d’humour et de tendresse, ces mémoires sont à la fois l’occasion de découvrir la mère de l’auteur, Hadidja, une femme forte et courageuse, et un pays colonisé où les représentants de l’Etat française se révèlent être parfois bienveillants, curieux et respectueux de la culture africaine, parfois bornés, violents et méprisants. Fresque historique foisonnante de détails et d’anecdotes, histoire romancée d’une grande famille peul et de son destin mouvementée, Amkoullel, l’enfant peul, est un plaisir de lecture qui donne à voir et à entendre l’Afrique dans toute sa richesse et sa diversité.

A la Bpi, niveau 3, 846.3 BA.. 4 AM

Le Matin des origines

Le Matin des origines

Pierre Bergounioux
Verdier, 1992

Extraire l’enfoui, retrouver l’impression, traquer l’éblouissement premier du sentiment de l’existence, faire advenir l’image du réel que le temps, l’habitude ont confié aux limbes, c’est à quoi s’emploie Pierre Bergounioux dans Le Matin des origines. Instant inaugural, splendeur des commencements, vérité « après quoi le reste n’est qu’intermède ».

De ce Lot lumineux, découvert dans ses premières années, la maison rose en particulier domine et hante sa mémoire et ses rêves ; elle revient d’ailleurs comme un leitmotiv auréolé de bonheur dans plusieurs autres écrits de l’auteur. Grâce à elle et à ses environs immédiats, à ses couleurs, aux odeurs qu’elle recelait, à ses habitants, s’est éveillée une sensibilité qui nous vaut assurément ce très beau texte ; celui-ci parvient à restituer quelques-uns de ces moments de l’enfance où l’on sent avant de penser.

À la Bpi, niveau 3, 840″19″ BERG.P 4 MA

Extension du domaine de la lutte

Extension du domaine de la lutte

Michel Houellebecq
M. Nadeau, 1994

“Une théorie complète du libéralisme, qu’il soit économique ou sexuel”, c’est ce qu’élabore Michel Houellebecq dans son premier roman en partie autobiographique, déjà provocateur et controversé. Refusé par tous les éditeurs, Extension du domaine de la lutte est pourtant aujourd’hui une œuvre culte, symbole de la déréliction du monde moderne et du mâle occidental.

Chez Houellebecq, la vie oscille entre le bureau et les supermarchés, à l’image de ses deux héros, cadres moyens dans une entreprise informatique, bientôt dépêchés en province pour former leurs collègues à un nouveau logiciel. D’échecs en échecs, ils font l’expérience d’un monde cynique et déshumanisé, dominé par le libéralisme sous toutes ses formes. Ils sont l’aliénation, la violence, la solitude affective et la misère sexuelle. Avec eux, Michel Houellebecq a donné forme au désenchantement du monde.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ HOUE 2

Le Retour des caravelles

Le Retour des caravelles

António Lobo Antunes
C. Bourgois, 1999

« Lorsque Vasco de Gama arriva en autocar à Vila franca de Xira, … » : ainsi débute l’un des chapitres du Retour des caravelles, dans lequel António Lobo Antunes nous conte le retour des rapatriés d’Afrique au lendemain de la décolonisation.

L’auteur affuble ces colons débarquant dans un pays qui n’est plus le leur et dans une ville (Lisebone, forme ancienne de Lisbonne) qu’ils ne reconnaissent pas, du nom des héros du passé (navigateurs, écrivains…) qui ont fait la gloire du Portugal. Tels des revenants, ils sont les returnados. Les époques se télescopent, les anachronismes fusent dans ce roman baroque où les thèmes du désastre, de la décomposition et de la déglingue sont omniprésents. Les héros fatigués attendent un sauveur providentiel en la personne du Roi Sébastien, mort en croisade au Maroc…

António Lobo Antunes, grâce à la force de ses évocations et à la qualité de ses images, livre un texte singulier sur l’histoire du Portugal, avec un mépris de la chronologie qui ne doit pas décourager les puristes. Son écriture témoigne de son talent jamais démenti de grand écrivain.

A la Bpi, niveau 3, 869 ANTU 4 NA

Truismes

Truismes

Marie Darrieussecq
POL, 1996

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entrée de Marie Darrieussecq en littérature n’est pas passée inaperçue ! Dès sa parution, Truismes a tout du roman monstrueux : désinhibé, vulgaire, abject… avec un sens particulièrement réjouissant du politiquement incorrect.

Dans un monde incertain, la narratrice connaît une drôle de métamorphose, qui la voit se muer progressivement en truie. Bientôt plus attirée par les patates crues que par la charcuterie, elle nous raconte l’évolution d’un corps qui ne lui appartient plus, entre désir d’humanité et instinct animal. En jouant sur l’esthétique de la métamorphose, Marie Darrieussecq met l’intime et le féminin au cœur de son propos. Ce corps déformé, désiré, rejeté, aliéné, c’est celui de toutes les femmes, que la société modèle et marchandise à l’envie. Truismes est bien plus qu’une parodie tragi-comique, c’est le récit de la brutalité de l’espèce humaine.

A la Bpi, niveau 3, 840″20″ DARR 4 TR

Dora Bruder

Dora Bruder

Patrick Modiano
Gallimard, 1999

En attribuant à Patrick Modiano le prix Nobel de littérature en 2014, l’académie suédoise saluait justement “l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation”. Cette inépuisable quête mémorielle et identitaire, Dora Bruder en est sans doute l’une des représentantes les plus émouvantes.

On pourrait dire que l’histoire de Dora Bruder débute le jour où Patrick Modiano découvre la petite-annonce faisant état de sa disparition, publiée dans le Paris-Soir du 31 décembre 1941. Dès lors, le romancier n’a qu’une obsession, retrouver sa trace, à la manière d’un enquêteur rassemblant scrupuleusement les indices. Partant des lieux où la jeune fille a vécu, il reconstitue peu à peu l’histoire de cette jeune adolescente juive, de sa fugue dans le Paris de l’Occupation à sa déportation à Drancy. Le récit se fait à la fois prospection et introspection, hanté par l’absence, l’effacement et la propre enfance de Modiano. Le travail du romancier, nous dit-il, est inséparable de la mémoire. La littérature entière est réminiscence, magnifique et insoluble.

A la Bpi, niveau 3, 840″19″ MODI 2

Etre sans destin

Etre sans destin

Imre Kertèsz
Actes Sud, 1998

En 2005, dans son discours pour la réception de son prix Nobel, Imre Kertesz raconte que le directeur du mémorial de Buchenwald lui a récemment envoyé un document attestant de sa mort dans ce camp le 18 février 1945. Son principal roman, Etre sans destin, raconte l’enchaînement des événements qui conduit un jeune adolescent juif jusqu’au quasi anéantissement dans un camp nazi. Le récit se déploie de manière linéaire avant et après la vie au camp, en passant par le jour où il est arrêté et le jour où, devenu totalement invalide, il croit être conduit vers l’extermination. C’est ce jour-là que les autorités du camp le déclareront mort. Il prendra progressivement conscience qu’une organisation secrète du camp l’a pris en charge et tente de le guérir.

Roman de l’absurde dont le style rappelle celui de l’Etranger de Camus, Etre sans destin nous plonge dans les mécanismes du totalitarisme qui changent un homme à peine constitué en un objet, un simple numéro qui n’a d’autre choix que de suivre les événements d’un point de vue extérieur, même quand ceux-ci, décidant de ses jours, le concernent au plus haut point. Beaucoup moins explicatif que Si c’est un homme de Primo Levi, ce roman pourra dérouter ceux qui cherchent à comprendre comment fonctionnaient les camps de la mort. Mais c’est leur absurdité, leur implacable inhumanité que l’on perçoit avec plus de force.

A la Bpi, niveau 3, 894.51 KERT 4 SO

Les Emigrants

Les Emigrants

W. G. Sebald
Actes Sud, 1999

S’il est une œuvre hantée par la destruction et ses fantômes, c’est sûrement celle de W. G. Sebald, qui restitue avec une rare puissance le souvenir des disparus. Ses livres sont autant d’objets inclassables, mêlant montage de textes et d’images, véritables révélateurs d’une mémoire oubliée.

Les Emigrants est à la fois le récit et le fruit de cette saisissante machine à explorer le temps. A partir de traces minutieusement recueillies, l’écrivain raconte le destin de quatre personnages marqués par l’exil et la disparition. La matière de cette reconstruction, ce sont les témoignages, les images et les lieux, qui forment peu à peu la carte sensible de ces vies déracinées. Ces histoires singulières sont tissées de souffrances, de déchirements, de silences. En donnant une voix à ces hommes jetés à travers l’Europe, Les Emigrants télescope les époques comme les territoires, et résonne particulièrement aujourd’hui.

À la Bpi, niveau 3, 830″19″ SEBA 4 AU

Stupeur et tremblements

Stupeur et tremblements

Amélie Nothomb
Le Livre de poche, 2001

Lorsqu’elle est embauchée chez Yumimoto, Amélie croit qu’elle a trouvé un paisible emploi de traductrice. C’est sans compter sur sa terrible incompétence et son incroyable incapacité à se conformer aux règles tacites qui régissent les rapports humains dans une entreprise japonaise…

Récit de la « foudroyante chute sociale » de son héroïne, Stupeur et tremblements est l’arme fatale pour convaincre les sceptiques qu’Amélie Nothomb n’est pas qu’un personnage médiatique. On y trouvera son puissant sens du rythme, son talent particulier pour les images-choc, son humour acidulé et sa capacité à instiller une dose d’angoisse métaphysique dans ce qui se contente pourtant à première vue d’être une savoureuse chronique des mœurs japonaises.

A la Bpi, niveau 3, 841 NOTH.A 4 ST

L’Inceste

L’Inceste

Christine Angot
Le Livre de poche, 2001

Impudique, nombriliste, obscène… Beaucoup n’ont toujours pas pardonné à Christine Angot d’avoir écrit L’Inceste. Pourquoi un tel choc, au-delà du tabou que brise ce texte dont le sujet principal est, en dépit de son titre, une histoire d’amour avec une autre femme ?

Sans doute n’avait-on encore jamais écrit sur soi à la manière de Christine Angot. L’écriture, faite de retours incessants qui évoquent Marguerite Duras, place le lecteur au cœur d’une spirale névrotique. Lire L’Inceste est une expérience nécessairement inconfortable, et c’est là sa force : jamais l’autofiction n’avait encore placé le lecteur dans une telle situation. Cette manière crue, qui emprunte autant à la psychanalyse qu’à la structure erratique du journal, n’est ni celle de Guibert ni celle d’Ernaux ; c’est une nouvelle écriture autobiographique, presque violente par son impudeur, qui ouvre la porte à toute une génération d’écrivains. La gêne persiste, vingt ans après ; mais le sentiment d’avoir affaire à une œuvre qui change toutes les règles demeure également.

A la Bpi, niveau 3, 840″19″ ANGO 4 IN

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