Interview

« Tenir-tête » : installer la BD au Centre Pompidou

Arts - Littérature et BD

La dessinatrice de BD Marion Fayolle investit la Galerie des enfants avec « Tenir-tête », une exposition atelier autour du thème du campement nomade. Dans cette installation qui s’inscrit dans la programmation « La BD à tous les étages » (29 mai 2024 au 6 janvier 2025) du Centre Pompidou, on retrouve tout son univers et ses matériaux de prédilection à hauteur d’enfants, petits et grands.

Propos recueillis par Soizic Cadio et Camille Delon (Bpi)

Pouvez-vous nous décrire votre installation à la Galerie des enfants ?

J’ai travaillé à partir de deux motifs : celui de la tête, qui revient régulièrement dans mon travail et celui du campement. Dans cette installation, je présente trois structures sous forme de « tentes têtes ». Chacune propose un jeu : un théâtre d’ombres, l’animation de dessins et l’invitation à se glisser dans des duvets imprimés.

À l’extérieur, sur le mur du fond, on trouve un grand paysage avec des vides que les enfants peuvent combler en revêtant des ponchos imprimés. Au sol, des flaques dessinées invitent à venir se refléter dans les dessins et les images. Je propose aussi un jeu avec des pierres à empiler, un autre motif que j’utilise beaucoup dans mon travail.

C’est un dispositif qui peut convenir aux tout-petits, avec le système de reflets, comme aux plus grands, avec les pierres. En filigrane, l’installation est guidée par l’idée que la lecture est une expérience. On joue à se glisser dans la peau de personnages, à entrer dans la tête de quelqu’un d’autre. Ça interroge sur les images et la manière dont on s’identifie à des personnages par le biais de la lecture.

Comment avez-vous imaginé cette installation à destination du jeune public ?

Je me suis concentrée sur la manière de mettre les images en volume, puisque que c’est un espace sans mur. J’ai choisi le motif de la tête parce que j’ai l’impression qu’il parle autant aux adultes qu’aux enfants. Ça appartenait déjà à mon travail, je n’ai donc pas eu besoin de m’adapter à un jeune public.

Entrer à l’intérieur d’une tête ou d’un corps est une expérience captivante pour les petits comme pour les grands. La difficulté, c’était surtout de construire un univers ludique, instinctif, qui soit intéressant d’un point de vue artistique.

Que représente pour vous le fait d’être exposée au Centre Pompidou ?

Quand on vient de la bande dessinée, on est souvent moins bien considérée dans les milieux artistiques. Déjà, aux Arts Déco, il y avait le grand bâtiment principal d’un côté et l’annexe de l’autre. Celles et ceux qui faisaient de l’illustration, comme moi, suivaient leurs cours dans l’annexe. Montrer de la BD dans un lieu comme le Centre Pompidou, c’est symboliquement très important.

Cependant, moi qui ai grandi à la campagne, je me suis beaucoup questionnée sur le fait de présenter une installation créative pour la jeunesse dans l’espace fermé du Centre Pompidou. Il me semble que la meilleure façon de développer la créativité des enfants, c’est de les laisser jouer dans la nature, où ils sont libres de faire ce qui leur plaît. Je me méfie des espaces trop directifs. Personnellement, j’ai passé mon enfance à construire des cabanes, à jouer avec des cailloux, à fabriquer des jouets. Finalement, c’est le moment où j’ai le plus développé ma créativité, peut-être plus qu’à l’école d’art, où j’ai commencé à côtoyer les œuvres des autres, à comprendre le sens de ce que je faisais, mais ça n’a pas été le moteur pour moi. J’ai donc eu envie de proposer un lieu suffisamment ouvert pour que des jeux auxquels je n’aurais pas pensé puissent être inventés.

Quel·les sont les artistes qui vous touchent particulièrement ?

Mes influences sont assez éparses. Mon travail a été nourri par des artistes qui font du dessin d’humour et des grands illustrateurs comme Roland Topor, Chaval, Tomi Ungerer, ou encore Claude Ponti. Mais je n’ai pas vraiment de références en bande dessinée car je n’en lisais pas avant d’en faire. Aujourd’hui, je continue à m’intéresser à tout ce qui se situe un peu dans la marge, à mi-chemin entre le dessin contemporain, la BD, la jeunesse… Comme les éditions du Frémok, ou la revue Lagon, qui sera exposée au Centre Pompidou. Des petits tirages, avec un travail sur le livre en lui-même, l’impression, la reliure… Ce qui m’intéresse c’est quand le médium est questionné, quand la forme est réinventée et quand un livre me déstabilise parce que je ne sais pas exactement ce que c’est.

Lire © Marion Fayolle, 2023

En littérature, il y a des figures emblématiques qui sont importantes pour moi, comme Marguerite Duras, Romain Gary, ou encore Annie Ernaux et Marie-Hélène Lafon.

Et j’explore la littérature contemporaine avec appétit. Je lis assez peu de poésie mais j’adore Richard Brautigan. Je le relis souvent dans des moments d’attente, même si je le connais par cœur. C’est quelqu’un qui m’accompagne depuis assez longtemps.

Vous écrivez, vous dessinez… Est-ce qu’il y a un domaine que vous aimeriez encore explorer ?

Je suis attirée par la scène, mais aussi le cinéma, la réalisation. Mais ce qui me freine un peu pour l’instant, c’est la présence des autres. Je n’ai jamais travaillé avec des grosses équipes. Dans la littérature ou la bande dessinée, quand on a une idée, ça prend forme tout de suite : il y a un rythme très instantané, avec peu d’empêchements de l’extérieur. Que ce soit dans le théâtre ou le cinéma, c’est un rythme de travail très différent, avec beaucoup de contraintes.

Mais ce qui me manque dans le livre, c’est la voix. C’est de plus en plus important dans mon travail. J’ai passé beaucoup de temps à dessiner en écoutant la radio ou des livres audio. J’ai appris à travailler avec des voix qui me tiennent compagnie. Pour savoir si mon texte me plaît, je le lis, je l’enregistre, je l’écoute… et je retravaille. En ce moment, je fais des lectures à la Maison de la Poésie, et je suis très contente de pouvoir faire écouter mon texte de cette manière-là, parce qu’il a été travaillé ainsi.

Dans votre installation à la Galerie des enfants, comme sur scène, le textile est très présent. Est-ce aussi un moyen pour vous de matérialiser vos textes ?

Visuellement, le textile ressemble à du papier, il y a une trame… Et on peut s’habiller avec, l’enrouler autour de soi, le plier… Très vite, ça permet de prendre du volume, d’avoir des images à l’échelle du corps, alors qu’en temps normal je travaille à l’échelle miniature. J’ai l’impression que c’est ce qui trahit le moins le passage du livre en volume. Si on essaie de faire un personnage moulé par exemple, on s’éloigne trop, alors qu’imprimé sur un grand châle, le dessin prend une autre dimension tout en restant ce qu’il est à la base : une page.

Publié le 13/05/2024 - CC BY-SA 4.0

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