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Appartient au dossier : Perspectives animales

Une science à l’écoute du vivant

L’écoacoustique tend l’oreille aux sons émis par la faune et la flore et révèle l’hégémonie de l’humain dans le paysage sonore. L’enjeu de cette discipline scientifique récente est d’étudier les écosystèmes pour mieux en saisir la richesse, les menaces et les évolutions.

Un homme enregistre le son dans une forêt
© Anne Bléger, Bpi

« Nous aurions pu comprendre, si nous avions accordé davantage de crédit à nos sens, que le vivant n’en peut plus. Qu’il lutte désormais pour une survie incertaine. »

Jacques Tassin, Pour une écologie du sensible (Odile Jacob, 2020)

Par cette remarque, Jacques Tassin nous invite, dans Pour une écologie du sensible (2020), à écouter la nature pour se réconcilier avec le monde animal et végétal. Pour le chercheur, une écologie « réellement centrée sur le vivant » ne peut s’affranchir d’un « engagement de nos facultés sensibles ». Les sens sont, en effet, au cœur de toute démarche de réconciliation avec la nature. L’écoacoustique nous le prouve.

Cette discipline scientifique étudie « le phénomène sonore sur des échelles temporelles et spatiales importantes afin de traiter des questions d’écologie et de suivi de la biodiversité », comme l’expliquent les écoacousticiens Jérôme Sueur et Almo Farina dans la revue Biosemiotics (2015). À la différence de la bioacoustique, qui se concentre uniquement sur une espèce particulière, l’écoacoustique capte, à l’aide d’enregistreurs, tous les bruits d’un environnement donné pour analyser les évolutions de la biodiversité.

L’impact du bruit sur la biodiversité

« Le bruit est un agent toxique », alerte Jérôme Sueur (Usbek & Rica n°41, novembre 2023). Il provoque chez les animaux des troubles anatomiques et physiologiques, comme la perte d’audition ou l’anxiété. C’est le cas des baleines qui, assourdies et stressées par les sonars, fuient leur milieu et s’égarent dans des zones inadaptées à leur métabolisme. De plus, l’anthropophonie (l’ensemble des sons d’origine humaine) perturbe les interactions entre les individus d’une même espèce animale, mais aussi les relations entre prédateurs et proies. En bordure de route, par exemple, la reproduction des grenouilles pâtit du trafic automobile. Les travaux des écoacousticien·nes permettent ainsi de démontrer que les nuisances sonores générées par les activités humaines ont un impact sur le cycle de vie des autres espèces.

Ne plus être sourd·e à son environnement

Décidé à « encourager […] une nouvelle génération d’auditeurs actifs » pour préserver la biodiversité, Bernie Krause a collecté plus de 5 000 heures d’enregistrements auprès de plus de 15 000 espèces issues d’environnements tant marins que terrestres (Chansons animales et Cacophonie humaine, 2016). De son côté, Lucia Di Iorio a entrepris de recueillir, avec d’autres scientifiques de divers pays, les enregistrements de la vie sous-marine et de les répertorier sur la plateforme glubs.org.

L’objectif est d’établir, à terme, une classification précise et de créer un outil numérique de reconnaissance, semblable à Shazam pour la musique, afin de conserver la mémoire de la biophonie (l’ensemble des sons d’origine non-humaine). Les premières mesures, peut-être, d’une nouvelle symphonie des animaux ?

Publié le 18/11/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Histoire naturelle du silence

Jérôme Sueur
Actes Sud, 2023

Qu’est-ce que le silence ? Le chercheur au MNHN Jérôme Sueur nous emmène partout autour du monde écouter les milles et un sons de la nature qui révèlent d’autant mieux le silence qu’il est souvent chargé de significations. L’auteur révèle les secrets des sons de la nature, la relativité du silence et ses sens cachés, la mécanique et la physiologie de l’audition, la pollution sonore anthropique. Jérôme Sueur est l’un des animateurs, à l’échelle mondiale, d’un nouveau domaine de recherche : l’écoacoustique, l’étude des paysages naturels sonores.

Á la Bpi, Sciences, 573.29 SUE

Le son de la terre

Sueur, Jérôme
Actes sud, 2022

Recueil de 45 chroniques diffusées dans l’émission radiophonique La Terre au carré dans laquelle l’auteur fait écouter des sons de la nature pour en dévoiler toute la diversité. Avec 150 sons terrestres et marins. ©Electre 2022

573 SUE

Pour une écologie du sensible

Jacques Tassin
Odile Jacob, 2020

L’auteur dénonce l’écologie scientifique dont la vision mécaniste du vivant ne diffère pas des causes de la crise écologique contemporaine, à savoir la révolution industrielle. Selon lui l’homme contemporain doit résoudre la rupture entre rationnel et sensible en pensant le vivant et l’environnement comme un tout sensible et indissociable. © Électre 2020

Á la Bpi, Sciences, 573 TAS

Le Grand orchestre des animaux. Célébrer la symphonie de la nature

Bernie Krause
Flammarion, 2018

Spécialiste mondial des sons de la nature, l’auteur a immortalisé les cris de plus de 15 000 animaux, des enregistrements qui ont donné lieu à des réflexions sur le lien étroit entre la survie des animaux et l’acoustique de leur habitat. Cet ouvrage constitue une quête de musique naturelle ainsi qu’un plaidoyer en faveur de la préservation des ressources naturelles les plus négligées. © Électre 2018

Á la Bpi, Sciences, 592 KRA

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