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Booktok, bookstagram et les autres : la prescription littéraire reinventée

Le #BookTok et ses avatars sont devenus des phénomènes viraux. En quelques années, un lectorat passionné a investi les réseaux sociaux et profondément métamorphosé la manière dont on parle des livres, en particulier dans le secteur de la littérature Young Adult (fantasy, romance, BD…). Balises décrypte ce phénomène en donnant la parole à deux influenceuses littéraires et une éditrice, tandis que la Bpi s’intéresse à la démocratisation de la prescription littéraire en ligne, lors de la rencontre « Les livres sous influence », le 27 janvier 2025.

jeune femme lisant, gros plan sur ses mains
Joel Muniz sur Unsplash

Questions de vocabulaire

« Influenceuse littéraire » et « créatrice de contenus », c’est ainsi que Mégane (alias Madame Point Virgule) et Audrey (de la chaîne YouTube Le Souffle des mots) se définissent. « Je n’oserais jamais me présenter comme critique littéraire, je donne mon avis, c’est tout », avertit Mégane. Pour Audrey, « les critiques littéraires se mettent sur un piédestal, mais finalement, on fait un peu la même chose : on donne des conseils, on partage nos avis ».

Cécile Térouanne, éditrice, considère que le terme de « critique littéraire » s’applique aux circuits traditionnels (presse écrite ou audiovisuelle) et à la littérature générale. Pour ce qui concerne les réseaux sociaux, elle préfère parler de « recommandation littéraire ». Elle relève une grande différence d’efficacité entre ces deux vecteurs : « un article dans Le Figaro ou Télérama ne se transforme pas pour nous en ventes, alors qu’un post sur TikTok peut avoir un effet massif. Pour Mille baisers pour un garçon (2016), recommandé par une booktokeuse en 2022, les ventes sont désormais exponentielles. »

Une professionnalisation croissante

En commençant à partager leurs avis sur internet, Audrey et Mégane ne s’imaginaient pas en faire leur métier un jour. « J’ai débuté les collaborations rémunérées en 2019, à l’époque où la booktubeuse Bulledop a commencé à se professionnaliser et à demander des rémunérations. Comme on est toutes copines, elle nous a beaucoup encouragées à le faire aussi », explique Mégane. Leur activité évolue sensiblement grâce à cette saine émulation entre créatrices, qui n’hésitent plus à réclamer une rémunération pour le travail fourni auprès des maisons d’édition.

Le confinement accélère les choses. L’essentiel de l’activité de communication se déroulant alors sur les réseaux sociaux, les maisons d’édition se montrent plus enclines à débloquer des budgets pour l’influence littéraire. C’est en tout cas ce que rapporte Audrey, qui en vit exclusivement depuis septembre 2020. L’influenceuse rappelle néanmoins que son activité ne se cantonne pas à la seule communication numérique. Elle est présente dans les salons, anime des ateliers dans des écoles ou des médiathèques, et a même publié un jeu et un carnet de lecture. Cette année, elle a également lancé L’Agence des mots pour accompagner les talents de l’influence littéraire.

Toutes ne vivent cependant pas de l’influence. « Je suis community manager en freelance pour PKJ et Pocket Éditions depuis deux ans, explique Mégane. Donc l’influence littéraire n’est pas mon activité principale, mais elle m’a énormément aidée à trouver du travail par ailleurs. » En effet, au-delà de leurs compétences oratoires et rédactionnelles, la force de ces créatrices réside aussi dans leur maîtrise des outils de communication numériques les plus récents comme Twitch et TikTok.

Des communautés dynamiques

Pour Audrey, « les réseaux sociaux touchent tout le monde. Ils peuvent avoir une énorme importance dans la promotion d’un livre ». Mégane, quant à elle, « essaye de mettre en avant des choses qu’on ne voit pas forcément ailleurs : des romans francophones, de l’autoédition, des romans de l’imaginaire, c’est-à-dire plus ou moins tous les genres absents dans la prescription traditionnelle et le reste des médias ». Premier éditeur en France à avoir lancé son compte TikTok, Hachette Romans assure lui-même l’essentiel du marketing digital de son catalogue ados/Young Adult. Cécile Térouanne insiste sur la nécessité de ne pas faire de partenariat avec une influenceuse simplement sur la base du nombre de ses followers : « on a fait ça une fois pour Twilight. Le post s’est retrouvé coincé entre une pub pour de la sauce soja et des couches culottes, c’était ridicule ! » Aujourd’hui, les partenariats se font de manière beaucoup plus ciblée, par exemple avec Le Souffle des mots pour le concours d’écriture « Nos futurs ». L’éditrice recrute aussi de nouvelles autrices sur la plateforme Wattpad : « Pour nous, lecture et production d’écrits s’inscrivent dans un même mouvement, c’est un cercle vertueux. »

Via les réseaux sociaux, les influenceuses parviennent à établir et à développer un lien étroit avec leurs abonné·es, qui se matérialise par les commentaires ou les interactions (comme lors des live « Read with me » animés par Mégane sur Twitch) mais aussi, parfois, par des rencontres physiques. « Twitch est incroyable pour l’échange avec la communauté, mais également entre followers. Certain·es ont organisé des rencontres « IRL » (in real life – dans la vie réelle), sont devenu·es ami·es, voire se sont mis·es en couple ! », raconte Mégane. Audrey se souvient avec émotion de sa séance de dédicaces au Salon de la littérature et de la presse jeunesse à Montreuil pour son Carnet de lectures (2024) : « C’était mon objectif de vie de dédicacer quelque chose ! » Cécile Terouanne évoque aussi les témoignages de libraires « un peu démuni·es par rapport à ce public, ces hordes qui déboulent » lors de séances de signatures avec leurs autrices favorites.

Plus qu’un simple engouement post-confinement pour la lecture, la prescription littéraire sur les réseaux sociaux témoigne de l’émergence d’une nouvelle génération de lectrices qui affirme ses goûts, ses envies, ses manières de lire, avec énergie et enthousiasme. Le tout, sous les radars des médias et de la critique littéraire traditionnelle.


portrait photographique de Cécile Terouanne
Cécile Terouanne © Hachette Romans

Cécile Térouanne
Directrice générale du département Hachette Romans

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Sa recommandation

Clara Héraut, Nos plus belles années, Hachette Romans, 2023

Portait photographique de l'influenceuse Mégane Madame Point-Virgule
Mégane/Madame Point-Virgule© Madame Point-Virgule

Mégane / Madame Point-Virgule

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Ses recommandations
Maiwenn Alix, Noblesse oblige, Slalom, 2024

Aurélie Wellenstein, Le Désert des couleurs, Pocket, 2023

Portrait photographique d'Audrey dans un champ de tournesol, un livre ouvert à la main
Audrey, Le Souffle des mots © Juliette Rouillon, @instabookeuse

Audrey / Le Souffle des mots

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@lesouffledesmots


Sa recommandation
Salla Simuka, Dans le noir je peux être à toi,
Actes Sud Jeunesse, 2024

Publié le 20/01/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« Les influenceurs littéraires, nouveaux gourous du livre », Florence Euzéby, Juliette Passebois-Ducros et Sarah Machat | The Conversation, 14 octobre 2024

Ils rendent la lecture tendance. Dans des vidéos courtes, les influenceurs littéraires critiquent leurs dernières lectures pour leur jeune public. Un nouvel outil marketing pour les éditeurs.

« Le potentiel viral des influenceurs littéraires », Stéphanie Parmentier | Les Cahiers du numérique (2022-1, vol18) sur cairn.info

« Cet article s’intéresse aux influenceurs du livre qui investissent les réseaux sociaux, notamment ceux présents sur TikTok, appelés les BookTokeurs. Suivis par de multiples abonnés, qui sont ces activistes du codex ? Quelles coopérations et interactions mettent-ils en place avec les acteurs traditionnels de la chaîne du livre ? En définitive, l’espace immatériel de TikTok, originellement axé sur la diffusion de courtes vidéos, est-il devenu un lieu de prescription littéraire incontournable ? » (Résumé)

Les recommandations d'Eurêkoi

Ce réseau de réponses à distance par des bibliothécaires proposent également des recommandations de livres, de films, BD et séries télévisuelles en fonction de critères personnalisés. Cette recommandation prend plusieurs formes : l’envoi de listes à la demande, des listes de recommandations sur les sites eurekoi.org et Sens critique, et des booktubes à destination des ados et jeunes adultes sur la chaîne Youtube Eurêkoi, 1 question : 1 réponse.

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